Surveillance de masse en Chine et JO de Paris
La révolution numérique offre une deuxième vie à la formule de Mao « le parti contrôle tout » selon le journal québécois Le devoir. Le système appelé « kējì qiángguó », mot qui décrit l'alliance de la puissance et de la technologie, permet une surveillance à très grande échelle. Cette surveillance utilise des millions de caméras et implique un système de notation appelé le crédit social (voir la sélection). Les données sont extrêmement précises : on peut savoir, par exemple, qu'en mai 2017, dans la seule ville de Jinan, 6 000 piétons ont brûlé un feu rouge.
Toujours selon le Devoir, le régime présente ce système comme l'accomplissement du contrat social chinois. Celui-ci est simple : sécurité contre surveillance. La propagande du gouvernement de Xi Jinping insiste donc sur l'insécurité régnant dans les autres pays, particulièrement les démocraties, pour qu'éclate en miroir la sécurité chinoise. Des contestataires du régime préfèrent y voir une nouvelle étape dans la mise en place d'un système totalitaire. Ainsi, dans le « pays le plus sûr du monde », les habitants vivent avec la peur au ventre, craignant d'être ciblés à la moindre faute comme le rappelle Zhang Zhulin, journaliste chinois émigré à Paris.
Il faut dire que ce système classe les citoyens et que leurs droits fondamentaux en dépendent. D'un « citoyen exemplaire » (noté AAA) à un « malhonnête » (noté D) le traitement n'est pas le même. En cas de mauvais classement, tout individu peut se retrouver sans crédits bancaires, ne pas avoir accès à certains services sociaux publics, ne pas pouvoir prétendre à certains emplois et à l'inscription de ses enfants dans des écoles privées.
La mise en place de ce système de surveillance extrêmement développé participe ainsi d'un plus grand projet de contrôle des populations, même hors des frontières. Zhang Zhulin raconte : « Pékin veut tout contrôler et pense pouvoir y arriver. C'est très pénible pour les Chinois à l'étranger, qui sont constamment surveillés pour ne pas nuire à l'image de la Chine ». Il révèle aussi que des paroles de chanson sont changées pour magnifier la Chine ou encore que le sens de certains mots, comme « démocratie » ou « liberté » sont détournés.
Par ailleurs, la relation caméras-sécurité n'est pas si évidente que ça. Une récente étude de Comparitech met en relation le nombre de caméras publiques et l'indice criminel de Numbeo. De grandes disparités apparaissent : par exemple, l'indice criminel est plus de trois fois supérieur à Mexico qu'à Fukuoka avec pourtant plus de 13 fois plus de caméras pour 1000 habitants à Mexico.
La question qui demeure est celle des conséquences en France. En mars dernier, la fameuse « loi olympique » a été votée par l'Assemblée Nationale sans les voix de la gauche, qui s'opposait notamment à son article 7. Celui-ci concerne le recours à la vidéo-surveillance dite « intelligente » pendant les Jeux olympiques de cet été. Les caméras seront en effet reliées à un algorithme chargé d'analyser toutes les informations collectées. Ces caméras – pour précision – pourront être embarquées sur drone. L'algorithme sera chargé de repérer tout comportement ou événement suspect, par exemple, un départ de feu, un colis abandonné, ou encore la présence ou l'utilisation d'une arme. Huit types d'événements anormaux ou dangereux ont ainsi été répertoriés par le ministère de l'intérieur. Une fois la situation dangereuse repérée, un avis humain sera donné qui permettra de déclencher – ou non – l'intervention des forces de l'ordre. Notons que la reconnaissance faciale a cependant été écartée pour l'instant. Le dispositif est censé être provisoire en se limitant au temps des JO. Ces caméras intelligentes seront testées début mars à Paris, lors de concerts.
Noémie Levain est chargée d'analyses juridiques et politiques pour La Quadrature du Net, une association de promotion des droits et libertés sur Internet. Elle rappelle au journal 20 minutes que « quasiment tous les pays qui ont accueilli des grands événements sportifs ont passé des lois sécuritaires. Et les infrastructures sont restées. On craint de passer à la généralisation, puis à d'autres technologies biométriques de surveillance, comme la reconnaissance faciale ou la reconnaissance des émotions, qui sont déjà proposées par des députés ».
Plutôt que 1984, cela fait surtout penser au film de Steven Spielberg Minority Report avec Tom Cruise. Dans ce film dystopique, la sécurité dans la ville de Washington est assurée par trois mutants qui prédisent les crimes quelques heures avant qu'ils ne soient perpétrés. La police peut alors agir et d'arrêter les criminels avant qu'ils ne commettent leur acte. Bien qu'utopique, cette vision peut rejoindre le système du crédit social qui a la capacité d'alerter sur des profils « dangereux ». Quel prix sommes-nous vraiment prêts à payer pour notre sécurité ? Tocqueville en son temps posait déjà cette question, voyant dans la démocratie les ferments de l'illibéralisme : le peuple pourrait accepter à terme d'échanger sa liberté contre son confort.