Politique

Souveraineté énergétique européenne, la voie de la subsidiarité

Par Martin Dousse. Synthèse n°2417, Publiée le 08/03/2025 - Photo : L'Union européenne a tout intérêt à prendre en compte les particularités de chaque État membre en matière de politique énergétique . Crédits : Shutterstock
Les grands exploitants d'énergie français sont aujourd'hui confrontés à un défi majeur : suivre une feuille de route imposée par l'Union européenne pour atteindre la neutralité carbone, à l'horizon 2050, grâce aux énergies renouvelables. Dès 2030, l'UE demande de réduire à 55 % la part des énergies fossiles et du nucléaire dans la consommation des États membres. Mais l'équation paraît impossible : la souveraineté énergétique ne peut exister sans permettre à chaque pays d'exploiter ses principales ressources.

Régis Passerieux, nommé commissaire à la transition industrielle, écologique et énergétique de la zone Fos-Berre (Bouches-du-Rhône), était l'invité de l'Institut Éthique et Politique lors d'un débat organisé à Paris, le 25 novembre 2024, sur la souveraineté énergétique européenne. Voici un compte rendu prenant appui sur son intervention.

L'UE veut mettre en place un marché des énergies renouvelables, alors même qu'elle ne représente que 6 % des émissions mondiales de CO2. La feuille de route imposée aux États vise à atteindre la neutralité carbone en 2050. Une enveloppe de 40 milliards d'euros est destinée aux entreprises pour qu'elles puissent innover. Mais alors que cet objectif répond à un imaginaire de politique climatique, c'est en réalité la survie énergétique de l'Europe qui se joue en ce moment. Aujourd'hui, l'industrie européenne paie son électricité à un prix trois fois plus élevé que celui de la Chine et presque deux fois supérieur à celui des États-Unis (les prix du gaz sont eux quatre fois moins chers outre-Atlantique), malgré la baisse des prix du marché global. Seuls les pays nordiques, riches de ressources hydrauliques, bénéficient de prix comparables aux États-Unis et à l'Australie qui disposent de ressources fossiles sur leur territoire (gaz de schiste et charbon).

Un regard factuel mène à constater que plusieurs pays membres de l'UE ont obéi à des contraintes allant à l'encontre de leurs intérêts énergétiques et économiques. Des directives européennes ont en effet décidé de soumettre le marché de l'énergie à la concurrence à la fin des années 1990. En France, cela a signé la fin du monopole d'EDF et des taux abordables fixés par l'État, qui étaient le moteur des 30 glorieuses. C'est désormais l'énergie la plus chère qui fait référence. En parallèle, l'idéologie verte a gagné du terrain. D'abord en Allemagne, où elle est devenue un objet de conquête politique, poussant le pays à sortir du nucléaire, malgré l'efficacité et l'empreinte carbone très faible de cette ressource. Mais aussi en France, où François Hollande puis Emmanuel Macron ont par le passé déclaré vouloir ramener à 50 % la part du nucléaire dans l'électricité.

Un recours trop enthousiaste aux énergies renouvelables s'avère risqué, notamment pour l'industrie qui a besoin de flux constants et adaptés à la demande. Il y a d'abord l'intermittence du solaire et de l'éolien qui, contrairement au nucléaire, empêche d'en faire des sources constantes d'approvisionnement. Puis leur coût, plutôt élevé dès que les prix du marché baissent. Le recours à l'hydrogène « vert » est, lui aussi, peu efficace.

ArcelorMittal, deuxième producteur d'acier au monde, en fournit un bon exemple. Principal émetteur de CO2 de l'industrie française, le sidérurgiste prévoyait de réduire de 40 % les émissions de ses sites de Dunkerque et Fos-sur-Mer d'ici 2030. L'Europe avait autorisé une aide publique de 850 millions d'euros pour mener à bien ce projet. Engagé à créer des unités de réduction directe du fer (Direct Reduced Iron ou DRI), à base d'hydrogène et non plus de charbon, ArcelorMittal a retardé son projet. Pessimiste, le groupe déclare aujourd'hui : « L'hydrogène vert évolue très lentement vers un statut de source d'énergie viable et la production d'acier par un DRI au gaz naturel en Europe n'est pas encore compétitive comme solution de transition. » Il faut ajouter à cela la concurrence des pays exportateurs d'acier extra-européens, moins impactés par les taxes carbone. Selon ArcelorMittal, pour faire face aux surcapacités chinoises, « le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) actuel présente des faiblesses importantes ». Empêtré dans la crise de l'acier, ArcelorMittal a annoncé la fermeture de ses sites de Reims et Denain.

Pour bâtir enfin une politique énergétique cohérente et souveraine à l'échelle européenne, l'Europe doit prendre en compte les richesses et les particularités « physiques » des pays membres. Cette politique de « subsidiarité » implique de trouver un terrain d'entente avec l'Allemagne, qui refuse que l'énergie atomique soit financée par des fonds européens, et la France, dont la souveraineté énergétique repose sur le parc nucléaire. Favoriser l'exploitation du charbon par la Pologne, 1er producteur européen, et encourager la Norvège qui dispose de sources hydrauliques majeures, permettant de fournir gratuitement l'électricité à plusieurs villages, serait bien sûr cohérent avec un tel programme.

Cette stratégie du mix énergétique, respectueuse des particularités de chaque pays européen, pourrait donc reposer sur trois piliers fondamentaux : d'abord le nucléaire (énergie rentable et décarbonée), ensuite le gaz importé qui reste indispensable et enfin les énergies renouvelables qui, peu à peu, sont amenées à être développées et mieux stockées. Il y a par exemple le projet « Carbon » qui envisage d'ouvrir la première grande usine de panneaux photovoltaïques d'Europe, à Fos-sur-Mer, pour s'affranchir de la dépendance à la Chine, principal producteur.

Par ailleurs, le marché de l'énergie n'a aucun intérêt à rester soumis à une concurrence qui, depuis qu'elle existe, n'a pas bénéficié aux consommateurs. Il revient à l'État de financer ce marché avec une stratégie à long terme, pour des prix accessibles (car il s'agit d'un besoin primaire), et avec des forces militaires, si nécessaire, pour protéger géopolitiquement ses sources.

De nouvelles technologies, comme les SMR (small modular reactors), pourraient représenter l'avenir du marché énergétique européen. Prévus pour être utilisés à l'horizon 2035, ces petits réacteurs nucléaires peuvent être fabriqués en série en usine et assemblés sur site. Un écosystème de startups dédié à leur développement est en train de se former en France et devrait bénéficier d'une aide publique d'un milliard d'euros. La France les utilise déjà dans ses sous-marins et ses porte-avions. Qu'est-ce qui empêche de reproduire ces technologies pour les utiliser sur nos porte-conteneurs polluants, mais aussi pour nourrir localement en électricité les centres de données qui alimentent l'intelligence artificielle ?

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Lire l'article sur le site de l'Institut Montaigne
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1 commentaire
Le 09/03/2025 à 06:47
avec ses "dictats" dignes de technocrates inconscients, l'Europe semble bien avoir "perdu la tête" d'autant qu'en matière de gestion de projets, elle apparaît comme plutôt nulle et incapable, étant systématiquement prise de court dans les procédures de mise en oeuvre de ses projets (voir la défense, la mise en oeuvre de la transition écologique pour les industriels, les constructeurs automobiles dont on ne peut que penser qu'elle s'évertue, avec rage, à les détruire un à un faisant preuve d'une inconscience et d'un écolo-gauchisme dangereux pour les Européens. Cette Europe-là, - je vais avoir 80 ans - je fini par la haïr alors qu'au départ j'ai "adoré" le projet. Dans TOUS les domaines elle montre une écrasante nullité et un gestion uniquement administrative
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