
Comment les réseaux sociaux ont créé une génération d'anxieux
Ces enfants nés après 1995 auront été les cobayes d'une expérience planétaire qui les dépasse tous et qui se trouve désormais hors de contrôle. « Appelons cela "le grand recâblage de l'enfance". C'est un peu comme s'ils étaient la première génération à grandir sur Mars », explique Jonathan Haidt. « Les membres de la génération Z sont les cobayes d'une éducation totalement inédite, loin des interactions tangibles entre petites communautés au sein desquels les humains ont évolué jusque-là. » Il s'agit de la première génération à avoir grandi intégralement connectée aux réseaux sociaux. Ces jeunes de la génération Z sont ainsi « les premiers de l'histoire à traverser la puberté avec un portail en poche qui les éloigne de leur entourage et les attire dans un univers alternatif excitant, addictif et instable ». Mais avec des conséquences dévastatrices…
Dépression, privation sociale, fragmentation de l'attention… Le bilan de cette addiction est terrible. L'auteur de cet ouvrage, vendu à plus d'un million d'exemplaires outre-Atlantique, établit un lien direct entre l'utilisation massive des smartphones et des réseaux sociaux et la vague de troubles mentaux des adolescents depuis 2010. « Nous avons découvert un grand pic d'anxiété et de dépression, apparu dans les années 2012-2013, touchant "la génération Z" » – une tendance confirmée depuis pour tout le monde anglo-saxon comme pour l'Europe, explique-t-il. Le pourcentage de jeunes adolescents diagnostiqués, toutes origines et classes sociales confondues, pour des troubles d'anxiété et de dépression s'est alors mis à flamber – respectivement de +135 % et de +106 %. En une décennie, l'anxiété est devenue le trouble dominant de cette génération : près de 25 % des collégiens en souffrent, suivie par la dépression (20 %) et les troubles de l'attention.
« Pourquoi l'impact des réseaux sociaux est-il plus grave sur les adolescents que sur les adultes ? », interroge Eugénie Bastié dans les colonnes du Figaro (voir notre sélection). « Parce que le cortex frontal, essentiel pour la maîtrise de soi, la gratification différée et la résistance à la tentation arrive à maturité à la vingtaine : les plus jeunes peuvent moins réfréner leur addiction. D'autre part, à la puberté, le cerveau est particulièrement plastique, et la sensibilité des jeunes à la comparaison sociale s'accroît. D'ailleurs les Facebook Leaks ont documenté que l'entreprise de Mark Zuckerberg a intentionnellement cherché à rendre les adolescents accros par le biais de techniques comportementales. » De quoi relancer le débat sur la dangerosité des réseaux sociaux pour le cerveau des adolescents, dont ils contribuent à façonner les comportements comme la vision du monde.
Si les réseaux sociaux ont été « la cause majeure d'une épidémie internationale de maladie mentale chez les adolescents », celle-ci a des conséquences différentes chez les garçons et chez les filles. En effet, ils nuisent davantage aux filles : elles y sont davantage accros, notamment à Instagram, où le fait de se comparer en permanence entraîne des troubles dépressifs, alimentaires, et parfois mimétisme dans la dysphorie de genre. « Les garçons, eux, auront tendance à devenir addicts aux jeux vidéo et à la pornographie, ce qui peut entraîner décrochage scolaire et retrait du réel. Le monde virtuel blesse les filles et consume les garçons. »
L'une des solutions face à ces dangers ? Au-delà des constats, l'inspirateur du concept de « génération anxieuse » propose également des solutions. Notamment ne pas avoir le moindre compte sur un réseau social avant l'âge de 16 ans, et même interdire l'usage des smartphones avant 14 ans. Mais aussi, pour les parents, cesser de surprotéger leurs enfants dans la vraie vie. En effet, on constate une « inflexion, certes bien intentionnée, mais néanmoins désastreuse, vers la surprotection des enfants et la réduction de l'autonomie dans le monde réel ». Pour faire simple, le cerveau humain fonctionnerait selon deux modes : « le mode découverte, permettant de saisir des opportunités, et le mode défensive pour déjouer les menaces ». Or, les jeunes nés après 1995 sont plus susceptibles de rester bloqués en mode défensif. Pourtant, tous les enfants ont par nature « besoin d'être confrontés à des revers, des échecs, des chocs, des trébuchements, pour gagner en force et apprendre à se faire confiance ». Pour « ramener l'enfance sur terre », les amener « à investir mieux et plus le monde réel », il faudrait donc en finir avec la sur-protection pour diminuer l'anxiété chez nos enfants ? Ce serait déjà un bon début...