Société

Sexe ou genre : le féminisme se déchire

Par Albane Le Conte. Synthèse n°2312, Publiée le 05/11/2024 - Photo : Shutterstock
Né d'une volonté de lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes, le féminisme se trouve aujourd'hui confronté à la question de l'identité de genre qui met à mal les principes sur lesquels il s'est édifié. Comment défendre en effet l'égalité des sexes quand on en prône l'abolition ? Comment lutter pour les droits de la femme quand on se refuse à lui reconnaître des caractéristiques propres ? Au sein du mouvement, la question divise et interroge les principes historiques du féminisme.

Alors qu'il s'est imposé aujourd'hui comme un thème majeur dans les débats politiques, sur les réseaux sociaux, dans les médias et les séries télévisées, le féminisme se heurte aujourd'hui à la question de l'identité du genre qui divise violemment ses rangs. En témoignent les très nombreuses attaques subies par Marguerite Stern et Dora Moutot depuis la sortie de leur livre Transmania sur les « dérives de l'idéologie trans ». Le 5 octobre dernier à Paris, une séance de dédicace de leur livre a ainsi été perturbée par une soixantaine de militants antifascistes cagoulés et armés de matraques télescopiques.

Marguerite Stern et Dora Moutot sont toutes les deux des figures du mouvement féministe : la première est une ancienne Femen qui s'est fait connaître en lançant une grande vague de collages contre les féminicides ; la seconde s'est distinguée par le succès de son compte Instagram T'as joui ? suivi par deux millions d'abonné(e)s, sur lequel elle discute de sexualité féminine. C'est pourtant au sein même du mouvement féministe que leur livre déchaîne les critiques. On reproche en effet aux auteurs leur refus d'inclure les revendications transgenres dans leur combat, revendications qu'elles considèrent comme contraires aux intérêts de la cause féministe. Marguerite Stern et Dora Moutot se disent ainsi être les véritables féministes, fidèles aux principes fondateurs du mouvement. Un tel débat interroge les bases historiques du féminisme.

Le mot « féminisme » est formulé pour la première fois sous la plume d'Alexandre Dumas en 1872. Il désigne alors un terme médical utilisé pour qualifier un défaut de virilité chez les sujets masculins – bien loin donc de la signification qu'on lui connaît aujourd'hui. Le terme prend son sens politique quelques années plus tard, dans la bouche de la suffragiste Hubertine Auclert et des militantes françaises qui luttent pour acquérir le droit de vote et plus généralement les mêmes droits civiques que les hommes, dans le sillage de la Déclaration des droits de la femme rédigée un siècle plus tôt par Olympe de Gouges, en 1791.

En 1949, la parution du livre le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir inaugure une nouvelle forme de féminisme qui ne se contente plus de la lutte pour l'égalité des droits civiques, mais dénonce un rapport de domination structurel de l'homme sur la femme. La cause de l'asservissement de la femme n'est plus seulement le système politique et juridique, nous dit Beauvoir, mais la structure même de la société qui place l'homme en situation de domination et ce, au cœur même de la sphère privée. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) est alors créé dans les années 1960 pour lutter contre ce système de domination auquel il donne le nom de « patriarcat ».

Dès l'origine, le mouvement féministe s'est donc affirmé comme un mouvement de lutte pour l'égalité des sexes. C'est sur ce principe que s'appuient Marguerite Stern, Dora Moutot et les féministes dites « radicales », pour lesquelles la défense de la femme ne peut se faire sans la reconnaissance de la différence des sexes. Les auteurs de Transmania dénoncent ainsi un féminisme qui « s'est fait manger par la théorie du genre », mais qui a aussi « sa part de responsabilité » dans l'émergence de la doctrine transgenre : « Le féminisme a participé à glorifier le masculin, expliquent-elles dans leur livre, en le désignant comme but à atteindre, et a réduit la féminité à quelque chose de peu enviable. » En présentant alors à la femme l'archétype de la girl boss comme idéal à atteindre, regrettent-elles auprès de Boulevard Voltaire, on la pousse à reproduire des stéréotypes masculins et à rejeter sa « femellité », c'est-à-dire les « choses primaires du corps », la réalité biologique, en définitive, ce qui fait d'elle une femme.

Ces TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminist), qui désignent ces féministes radicales excluant les trans comme aiment à les désigner leurs ennemis, se placent à l'opposé d'une large frange du courant féministe. Une frange qui s'indigne de leur refus de prendre en compte les revendications des personnes transgenres et qualifie de « transphobes » les thèses de Marguerite Stern et Dora Moutot. C'est la thèse « transféministe », portée par de nombreux mouvements emblématiques du féminisme français comme le collectif #NousToutes. Connu pour ses grandes marches nationales organisées depuis 2019, le mouvement a annoncé en 2022 sa rupture avec le collectif Féminicides par compagnons ou ex, en raison des propos jugés transphobes que ce dernier a tenus sur Twitter.

Dans un tweet, Féminicides par compagnons ou ex s'indignait en effet de la disparition du mot « femme » dans la documentation du Planning familial qui souhaitait ainsi « utiliser un vocabulaire plus inclusif ». Jugé transphobe par #NousToutes, le tweet aura scellé la rupture entre les deux collectifs et mis fin à trois années de collaboration. Depuis 2019 en effet, Féminicides par compagnons ou ex fournissait le décompte des féminicides à #NousToutes, comme il l'avait fait pour le Grenelle des violences conjugales ouvert en 2019, s'imposant ainsi comme une référence en la matière.

Le débat autour de la question transgenre a conduit désormais à une profonde rupture entre deux mouvances féministes. L'une, traditionnelle, reconnaît la différence biologique entre les hommes et les femmes. L'autre, plus récente, la nie. Deux tendances irréconciliables...

La sélection
Séance de dédicace Marguerite Stern et Dora Moutot
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