Ça se corse pour la République une et indivisible
Le 12 mars fera-t-il date dans l'histoire de France ? Ce jour-là, le ministre de l'Intérieur et les élus de l'île sont parvenus à s'entendre sur un projet d'« écriture constitutionnelle » destiné à reconnaître le statut d'autonomie de la Corse. Le document tient en une page, consultable sur Public Sénat.
Les uns protestent, comme Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR. C'est selon lui « un pas dangereux à franchir ». Il dénonce une « constitutionnalisation du communautarisme » et une volonté de « contourner le Parlement ». À l'inverse, Gilles Simeoni exulte. Pour le président du Conseil exécutif de Corse, il s'agit d'« un pas décisif ». Il se félicite que « le principe d'un pouvoir de nature législative, soumis à un contrôle du Conseil constitutionnel, soit aujourd'hui clairement acté ». En l'état actuel du projet, se faire une opinion n'est pas chose aisée. Notons que cette démarche est un paradoxe de la Macronie, jugée centralisatrice et rivée à l'exercice solitaire du pouvoir.
Pourtant, c'est bien le chef de l'État qui est à la manœuvre : l'idée germe après la mort en mars 2022 du militant indépendantiste Yvan Colonna, agressé à la prison d'Arles. Le tueur du préfet Claude Érignac a encore des émules. Les manifestations violentes qui s'ensuivent sur l'île amènent l'exécutif à ouvrir des discussions pouvant « aller jusqu'à l'autonomie ». Le 28 septembre 2023, lors de sa visite en Corse, Emmanuel Macron donne six mois aux groupes politiques insulaires pour arriver à un « accord », lequel est scellé le 12 mars.
Que dit le texte ? La Corse est décrite sous l'angle de « ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre ». Comment savoir s'il y a un doute sur l'attachement à la France ? Observons que la crise de l'État, dont les services publics sont toujours plus défaillants, conduit certains territoires à se dire qu'ils y arriveraient mieux tout seuls. L'espoir est si fort chez les autonomistes que Corse Matin titrait « fumée blanche place Beauvau ». Le projet devra quand même être voté par les deux chambres du Parlement, puis adopté par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes. Les Corses hostiles à cette évolution espèrent que le Sénat jouera son rôle de garde-fou.
Pour Gérald Darmanin, « il n'y a pas de séparation de la Corse avec la République » puisqu'on « n'évoque ni le peuple, ni le statut de résident, ni la co-officialité de la langue » (Actu.fr). Rappelons que l'autonomie n'est pas l'indépendance, comme le note TF1 : « La Polynésie française, (…) [est] dotée de l'autonomie, en vertu de l'article 74 de la Constitution. (…) La collectivité peut agir sur un vaste périmètre : droit à l'emploi, fiscalité, formation professionnelle, commerce extérieur, desserte maritime, droit du travail, sécurité civile ou encore enseignement du second degré. »
La Corse n'aurait-elle pas à y perdre ? L'autonomie en ferait-elle une sorte de DOM-TOM ? L'Île de Beauté – cette montagne dans la mer – a toujours cherché à surmonter son insularité, en se plaçant sous suzeraineté continentale, de Gênes ou de Paris. Aucun État ne lui a jamais reconnu une quelconque indépendance. Le rattachement à la France en novembre 1789 se fit à la demande des députés corses. Et l'homme des Lumières Pascal Paoli (1725-1807) disait qu'il aimait« l'union avec la libre nation française car désormais nous sommes tous à égalité avec les autres citoyens ».
Justement, le risque d'une rupture d'égalité existe-t-il ? Si l'éducation devenait régionale, qui recruterait les enseignants et quelles perspectives s'offriraient aux étudiants ? Qu'adviendrait-il de la santé si la carte vitale venait à disparaître ? Déjà, la Corse ne dispose pas de CHU pour ses 350 000 habitants. L'autonomie serait un prétexte poli et commode qui accroîtrait le sentiment d'abandon.
Un risque de contagion se profile aussi : le président de la région Bretagne Loïg Chesnais-Girard (ex-PS) a déjà demandé à Gérald Darmanin de « reconnaître la diversité des territoires dans un cadre commun ». Selon lui, notre pays « crève de son centralisme ». Dès le 14 mars, Frédéric Bierry, président (LR) de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA), indiquait aussi qu'« on doit prendre en compte d'autres territoires qui ont une histoire particulière ». À ce compte-là, certains imaginent déjà que la Seine-Saint-Denis réclamera un jour son autonomie.