Écologie
Sans pilote, l'ENA s'installe dans la France rurale
Dans la touffeur de l’été, une expérience discrète, loin des villes, se présente comme une première mondiale. Elle se déroule au sud de Tours entre Châteauroux et Châtellerault, dans la Brenne, parc naturel réputé pour ses milliers d’étangs. Depuis mi-juillet, une sorte de Google Car des champs dessert quatre villages de l’Indre aux consonances pittoresques : Mézières-en-Brenne et Martizay, en passant par Paulnay et Azay-le-Ferron. La liaison couvre 17km en 36 minutes aller-retour, à raison de quatre ou cinq trajets par jour. Ce service gratuit pour les usagers concerne six habitants au km2, soit dix fois moins qu’à l’échelle du pays. Il dure jusqu’au 31 décembre.
L’expérience s’inscrit dans le cadre du programme Expérimentations navettes autonomes (ENA). Elle mobilise une dizaine de laboratoires, d'entreprises et de services de l'État sous l'égide de l'Université Gustave Eiffel de Lyon. Son montant s’élève à près de 800 000 euros, investis pour moitié par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Le véhicule est assemblé par la société française Milla, basée à Meudon (Hauts-de-Seine). Cette jeune pousse fournit déjà à la SNCF des navettes rail-route Flexy, cette solution 100% électrique destinée à faciliter l’accès des communes rurales aux gares et au train. La première navette Flexy circulera sur une ligne pilote dès 2024.
Celle traversant la Brenne est un fourgon rose, vert et bleu – que rien ne distingue d’un minibus ordinaire, hormis des capteurs LiDARS (télédétection laser) et quelques protubérances. S’il roule sans chauffeur, il ne dépasse jamais les 50km/h. Le volant tourne tout seul mais un opérateur peut reprendre la main pour, par exemple, dépasser un véhicule mal garé. Le freinage est jugé un peu brusque. Les obstacles ne sont pas toujours les mêmes qu’en ville. Que faire avec les herbes hautes pouvant gêner les capteurs ? Comment se comporter face à un sanglier ? Plus largement, comment évaluer un paysage variant au gré des saisons ? Ce sont quelques-unes des questions à l’étude.
« On ne cherche pas une expérimentation technique mais plutôt sociétale », tempère toutefois Jean-Bernard Constant, interrogé par l’AFP. Responsable numérique à la communauté de communes Cœur de Brenne, premier site rural à tester ce véhicule sans pilote, l’homme est persuadé que « la navette autonome est une solution pour le milieu rural ». « On sait bien, ajoute-t-il, que ce qui coûte dans le transport, c'est celui qui conduit. En l'absence de conducteur, la mobilité devient possible financièrement. » Aussi, pour les élus locaux, cette expérience grandeur nature n'a rien d’un coup de com’. À leurs yeux, elle préfigure même l’avenir.
Car tout le monde s’y retrouve, aussi bien les petites communes en état de disette budgétaire que les habitants pénalisés par un prix de l’essence inabordable. Jean-Bernard Constant imagine déjà, « d'ici quelques années », « une flotte de véhicules plus petits qui iront, à la demande, chercher les personnes pour les emmener à leur rendez-vous ou faire les courses ». En faisant aussi bouger la population la moins mobile (jeunes sans permis, personnes sans voiture ou âgées), ce dispositif dissuaderait les habitants de quitter la Brenne, pays de 5000 âmes touché comme tant d’autres par l’érosion démographique.
Ces navettes autonomes vont-elles révolutionner les territoires dits « périphériques », leur rendre tout leur attrait ? Le pilotage automatique est-il une panacée ? Jean-Bernard Constant insiste sur la dimension sociétale de cette expérience. Il a raison. La mobilité est moins une question de moyens que de représentation. C’est elle qui conditionne l’image de mon autonomie. Quand tout le monde est mobile, ne pas l’être est perçu comme une malédiction. Prendre sa voiture vous place dans le monde des actifs. Renoncer au volant vous précipite dans l’univers de l’Ehpad. J’existe aussi longtemps que c’est moi qui conduis. Le prix de ma liberté se confond ainsi avec le prix à la pompe, en particulier chez nos aînés, nombreux dans les campagnes.
Voudront-ils troquer leur voiture pour le bus ? C'est la navette qui est autonome, pas ceux qui montent dedans. Après les Gilets jaunes, la mise à l’isolement covidien et le recul du pouvoir d’achat suffiront-ils à convaincre les ruraux de changer de mode de transport ? S’il faut rallier une gare, pourquoi pas.
Ruraux et citadins ont un rapport inverse à la mobilité. À la campagne, l’éloignement et la faible densité obligent les hommes à nouer des relations. L’autonomie s'y entend comme la possibilité permanente d'aller vers les autres, sans toutefois en dépendre. En ville, c’est le contraire : on peut ignorer autrui tout en profitant d’une infinité de services, sans se déplacer en voiture. Les livraisons de repas à domicile, s'ils cartonnent en métropole, sont un échec en milieu rural. Le supermarché, avant l'église, y reproduit la place du village, lieu de sociabilité auquel il faut pouvoir se rendre soi-même librement, sous peine de mort sociale.
L’expérience s’inscrit dans le cadre du programme Expérimentations navettes autonomes (ENA). Elle mobilise une dizaine de laboratoires, d'entreprises et de services de l'État sous l'égide de l'Université Gustave Eiffel de Lyon. Son montant s’élève à près de 800 000 euros, investis pour moitié par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Le véhicule est assemblé par la société française Milla, basée à Meudon (Hauts-de-Seine). Cette jeune pousse fournit déjà à la SNCF des navettes rail-route Flexy, cette solution 100% électrique destinée à faciliter l’accès des communes rurales aux gares et au train. La première navette Flexy circulera sur une ligne pilote dès 2024.
Celle traversant la Brenne est un fourgon rose, vert et bleu – que rien ne distingue d’un minibus ordinaire, hormis des capteurs LiDARS (télédétection laser) et quelques protubérances. S’il roule sans chauffeur, il ne dépasse jamais les 50km/h. Le volant tourne tout seul mais un opérateur peut reprendre la main pour, par exemple, dépasser un véhicule mal garé. Le freinage est jugé un peu brusque. Les obstacles ne sont pas toujours les mêmes qu’en ville. Que faire avec les herbes hautes pouvant gêner les capteurs ? Comment se comporter face à un sanglier ? Plus largement, comment évaluer un paysage variant au gré des saisons ? Ce sont quelques-unes des questions à l’étude.
« On ne cherche pas une expérimentation technique mais plutôt sociétale », tempère toutefois Jean-Bernard Constant, interrogé par l’AFP. Responsable numérique à la communauté de communes Cœur de Brenne, premier site rural à tester ce véhicule sans pilote, l’homme est persuadé que « la navette autonome est une solution pour le milieu rural ». « On sait bien, ajoute-t-il, que ce qui coûte dans le transport, c'est celui qui conduit. En l'absence de conducteur, la mobilité devient possible financièrement. » Aussi, pour les élus locaux, cette expérience grandeur nature n'a rien d’un coup de com’. À leurs yeux, elle préfigure même l’avenir.
Car tout le monde s’y retrouve, aussi bien les petites communes en état de disette budgétaire que les habitants pénalisés par un prix de l’essence inabordable. Jean-Bernard Constant imagine déjà, « d'ici quelques années », « une flotte de véhicules plus petits qui iront, à la demande, chercher les personnes pour les emmener à leur rendez-vous ou faire les courses ». En faisant aussi bouger la population la moins mobile (jeunes sans permis, personnes sans voiture ou âgées), ce dispositif dissuaderait les habitants de quitter la Brenne, pays de 5000 âmes touché comme tant d’autres par l’érosion démographique.
Ces navettes autonomes vont-elles révolutionner les territoires dits « périphériques », leur rendre tout leur attrait ? Le pilotage automatique est-il une panacée ? Jean-Bernard Constant insiste sur la dimension sociétale de cette expérience. Il a raison. La mobilité est moins une question de moyens que de représentation. C’est elle qui conditionne l’image de mon autonomie. Quand tout le monde est mobile, ne pas l’être est perçu comme une malédiction. Prendre sa voiture vous place dans le monde des actifs. Renoncer au volant vous précipite dans l’univers de l’Ehpad. J’existe aussi longtemps que c’est moi qui conduis. Le prix de ma liberté se confond ainsi avec le prix à la pompe, en particulier chez nos aînés, nombreux dans les campagnes.
Voudront-ils troquer leur voiture pour le bus ? C'est la navette qui est autonome, pas ceux qui montent dedans. Après les Gilets jaunes, la mise à l’isolement covidien et le recul du pouvoir d’achat suffiront-ils à convaincre les ruraux de changer de mode de transport ? S’il faut rallier une gare, pourquoi pas.
Ruraux et citadins ont un rapport inverse à la mobilité. À la campagne, l’éloignement et la faible densité obligent les hommes à nouer des relations. L’autonomie s'y entend comme la possibilité permanente d'aller vers les autres, sans toutefois en dépendre. En ville, c’est le contraire : on peut ignorer autrui tout en profitant d’une infinité de services, sans se déplacer en voiture. Les livraisons de repas à domicile, s'ils cartonnent en métropole, sont un échec en milieu rural. Le supermarché, avant l'église, y reproduit la place du village, lieu de sociabilité auquel il faut pouvoir se rendre soi-même librement, sous peine de mort sociale.