Sciences

Aurores boréales et « roulette solaire » : Internet pourrait-il sombrer à cause de l'activité du soleil ?

Par Peter Bannister. Synthèse n°2036, Publiée le 15/11/2023 - Image : Aurores boréales à Lofoten, Norvège, 8 novembre 2023. Crédit photo : Jorge Mantilla / NurPhoto via AFP

La nuit du 5 au 6 novembre, le ciel au-dessus de beaucoup de pays européens a été illuminé par un spectacle surprenant : des aurores boréales, phénomène assez courant au Grand Nord mais très rare, voire inédit au Sud de l'Europe (Bulgarie, Roumanie). Provoquées par l'interaction de tempêtes solaires avec les gaz atmosphériques de la terre, les aurores boréales (australes en hémisphère sud) pourraient pourtant devenir plus courantes dans les 12 mois à venir avec l'arrivée du « maximum solaire ». C'est pendant cette période qu'aura lieu un pic au sein du cycle (d'une durée d'environ 11 ans) de l'activité du soleil, avec des éruptions solaires et éjections de masse coronale (CME), dont certaines pourraient atteindre la terre. Des prédictions faites en 2019 par rapport au cycle actuel ont récemment été révisées par les scientifiques, qui prévoient désormais un pic plus élevé (avec plus de 200 taches solaires) et plus précoce (janvier-octobre 2024). Une bonne nouvelle pour les amateurs de photographie nocturne et autres chasseurs d'aurores, mais qui donne du fil à retordre aux autorités publiques responsables pour la sécurité des réseaux de télécommunications et d'électricité.

Les disruptions possibles en cas de tempêtes géomagnétiques sont déjà bien connues, l'exemple le plus célèbre étant l' « effet Carrington » survenu lors d'une grande éruption solaire en 1859, qui avait mis les liaisons télégraphiques hors service en raison de perturbations électriques intenses sur la surface de la terre. Les experts s'accordent pour dire qu'une telle éruption aujourd'hui, bien que sans incidence pour la santé humaine, pourrait avoir des répercussions dévastatrices à cause de notre grande dépendance par rapport à nos infrastructures électriques performantes mais vulnérables. Notamment en ce qui concerne Internet : développé pendant des décennies d'activité solaire faible, il n'a jamais connu un « stress test » comparable à la tempête de 1859. On a néanmoins observé une CME double en juillet 2012 d'une magnitude similaire : cette éruption n'a pas touché la terre, mais a fourni des informations précieuses grâce aux observations du vaisseau spatial STEREO de la NASA. Selon Daniel Baker de l'Université du Colorado, l'impact de cette éruption aurait pu être catastrophique, affectant tout appareil connecté à une prise murale et même des toilettes, en raison des pompes électriques utilisées par les services d'eau dans les villes.

En 2021, Sangeetha Abdu Jyothi de l'Université de Californie (Irvine) a suscité beaucoup de commentaires avec un papier intitulé « Solar Superstorms  : Planning for an Internet Apocalypse » (Super-tempêtes solaires – comment planifier pour une apocalypse d'Internet). Si l'auteure a par la suite regretté son titre assez sensationnel, le contenu de cet article largement cité est plutôt factuel et sobre. Jyothi note par exemple que le risque posé aux réseaux terrestres n'est pas uniforme, l'impact probable d'une super-tempête solaire étant plus grave vers les pôles que près de l'Equateur, ce qui est problématique pour Internet, dont les installations matérielles se trouvent principalement en Amérique du Nord et en Europe. Les câbles sous-marins fibre-optiques sont également à risque : même s'ils transportent la lumière plutôt que l'électricité, leur grande longueur nécessite l'utilisation de composants électriques (répéteurs) sensibles aux perturbations géomagnétiques. Plus exposés encore sont les satellites, qui peuvent être affectés directement par les particules émanant d'une CME : selon Jyothi, ce sont surtout les équipements en orbite basse (tels que les Starlink d'Elon Musk) qui risqueraient de retomber sur terre de façon incontrôlée. Cette hypothèse a été confirmée en février 2022 quand 40 satellites de SpaceX ont été détruits dans l'atmosphère au lendemain de leur lancée à cause d'une tempête solaire.

Cette année, la marine américaine a entamé une collaboration avec une équipe de George Mason University sous la direction du Prof. Peter Becker pour étudier de telles tempêtes, ainsi que pour améliorer les mécanismes prédictifs afin de protéger les infrastructures et atténuer les dégâts éventuels. Comme Jyothi, Becker souligne le problème du rôle incontournable d'Internet dans notre société actuelle (information, communications, commerce) : « Internet n'a tout simplement pas été conçu pour supporter un tel niveau d'interférence dans les communications et, par conséquent, il est considéré comme un type d'infrastructure très "mou"" […] « Il est donc concevable que l'ensemble d'Internet soit mis hors service pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois pendant la période 2024-2028, en cas d'éruption solaire vraiment extrême. » Tous les spécialistes soulignent l'urgence de travailler pour augmenter la résilience des systèmes électriques : quant à savoir si on réussira avant que la « roulette solaire » ne nous fasse cadeau d'une grande éjection qui provoquerait le grand black-out redouté, c'est une autre question.

La sélection
Et si la plus grande tempête solaire jamais enregistrée était à venir ?
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