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La réincarnation du Dalaï-Lama : une compétition entre l'Inde hindouiste et la Chine athée

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 02/09/2024 - Photo : Shutterstock
Le Dalaï-Lama aura 90 ans dans 1 an. Cet anniversaire revêt une importance majeure pour le monde bouddhiste car il a publiquement déclaré que ce serait aussi le moment de désigner son successeur. L'Inde hindouiste, qui est le refuge de l'actuel Dalaï-Lama, et la Chine communiste, qui contrôle le Tibet, sont les rivales de ce nouveau cycle de réincarnation bouddhiste - clé d'influence régionale.

L'actuel Dalaï-Lama (14ème de la lignée) fêtera ses 90 ans le 6 juillet 2025. Une date qui dépasse largement son entrée dans une nouvelle décennie puisqu'il a assuré que ce serait aussi le moment d'annoncer sa succession… La désignation du 15ème Dalaï-Lama – terme qui se traduit littéralement par "Océan (de sagesse) - Maître" – est un sujet contentieux de grande importance pour deux puissances rivales : la Chine et l'Inde. Cette question religieuse remet au cœur de la géopolitique régionale la place du Tibet et ses hauts plateaux aujourd'hui contrôlés par la Chine. Elle est aussi la clé pour exercer son influence en Asie du Sud-Est aux marches des empires renaissants selon Christopher Harding pour Unherd (voir notre sélection).

Les relations entre le Tibet et la Chine remontent loin… Au faîte de leur pouvoir pendant le 8ème siècle, les armées tibétaines ont conquis Chang'an, la grande capitale chinoise de la dynastie des Tang. C'est après le meurtre du dernier roi tibétain en 842 que les moines bouddhistes ont pris le pouvoir. Ils ont d'ailleurs aidé les Mongols à gouverner le Tibet au 13ème siècle. À partir de 1279, et l'établissement de la dynastie Yuan, le Tibet est rattaché à l'empire chinois. Or le degré d'influence des empereurs chinois par la suite allait varier. Mais ils ont en général préféré le contrôle indirect – en maintenant de bonnes relations avec les chef « tulkous » – ces lignées de sages bouddhistes qui sont censés se réincarner génération après génération pour assurer leur mission salvatrice dans le monde. Les Dalaï-lamas constituent la lignée la plus importante remontant au 15ème siècle. Le 5ème Dalaï-lama a d'ailleurs été le réunificateur du Tibet en 1642 – pris dans les luttes entre Chinois et Mongols. La victoire écrasante des Qing sur l'ennemi Mongol en 1720 a transformé le Tibet en protectorat chinois. Depuis, le processus de réincarnation de cette lignée est considéré par la Chine comme une affaire sensible…

Mais la tradition de la réincarnation bouddhiste est complexe, difficile à contrôler : le Dalaï-Lama vieillissant laisse en général des indications, la direction de la fumée lors de sa crémation est scrutée… Les lamas (qui enseignent le bouddhisme) les plus respectés parlent d'indices qu'ils ont détectés lors de songes. Bref, un processus pouvant échapper au contrôle de l'empereur qui a fini par trouver une solution. En 1792, une urne en or a été envoyée à Lhassa : un cadeau devant servir à recueillir les noms des candidats avant qu'un envoyé de l'empereur ne tire celui du nouveau Dalaï-Lama – une fois les prières rituelles dites. L'empereur ne cherchait pas forcément à imposer un candidat spécifique mais montrait – par la main de son fonctionnaire – qu'il était une sorte de parrain du nouveau guide bouddhiste.

La chute de la dynastie Qing et l'avènement d'une république en 1912 ont réveillé chez le 13ème Dalaï-Lama des velléités d'indépendance… La Chine communiste de 1949 n'a fait que prolonger les stratégies impériale et républicaine : le Tibet doit rester une province stratégique aux marches du pays. La fuite du 14ème Dalaï-Lama en 1959 vers l'Inde a poussé le Parti Communiste chinois (PCC) à consolider son emprise sur le Tibet. La crise a culminé en 1995 quand le PCC a réintroduit l'urne d'or pour élire le 11ème Lama Panchen (autre lignée de « tulkous » de moindre influence). La candidat favori du Dalaï-Lama exilé – et toute sa famille – ont été placés sous la « protection » des services de sécurité chinois. Le PCC ne s'est pas arrêté là : il a créé une liste des personnes autorisées à se réincarner… Une licence pour une nouvelle vie après la mort que Pékin se réserve le droit de retirer à tout candidat dont la fidélité serait devenue douteuse. Et il entend présider le processus de réincarnation du Dalaï-Lama actuel.

Il est essentiel, aux yeux de la Chine, que le prochain Dalaï-Lama soit bien disposé à son égard, contrairement au rebelle exilé en Inde. Or, le chef bouddhiste actuel – et son pays d'accueil – ont déjà prévenu que le retour de cette bonne vieille urne en or était inenvisageable… Il est donc raisonnable de penser que 2 Dalaï-lamas rivaux se disputeront bientôt le monde bouddhiste. Washington a affirmé dès 2015 que l'ingérence chinoise dans le processus de désignation du prochain Dalaï-Lama serait une infraction grave à la liberté religieuse. Le gouvernement tibétain en exil essaie d'obtenir le même soutien des pays européens. En vain pour l'instant…

Modi, le très hindouiste leader indien, fait face à une situation difficile. Il affirme son admiration pour le Bouddha, et il s'est montré aux côtés du Dalaï-lama en 2023 lors du congrès mondial du bouddhisme. L'Inde veut gagner en influence au Vietnam, au Sri Lanka, en Corée et au Japon en usant de son statut de protectrice des autorités tibétaines en exil. Modi veut aussi prévenir toute division au sein de la communauté bouddhiste en Inde. Sans compter que l'Inde et la Chine se disputent des zones frontalières dans l'Himalaya. Hindouistes, Communistes chinois, Occidentaux : la réincarnation du 15ème Dalaï-Lama sera pour tous un sujet stratégique en 2025…

La sélection
The race to choose the next Dalai Lama
Lire l'article sur : UnHerd
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