
Récupérer à marche forcée notre énergie nucléaire après l’avoir abandonnée « au doigt mouillé » ?
Les auditions de la commission d’enquête sur « les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France » mise en place depuis l’automne à l’Assemblée nationale, ont révélé la légèreté stupéfiante avec laquelle notre énergie nucléaire avait été sacrifiée « au doigt mouillé » (Henri Proglio. ex-PDG d’EDF, 2009-2014). Avec « cet accord (PS-EELV) de coin de table, on s’est retrouvé avec un programme qui annonçait la fermeture de 24 réacteurs, et vogue la galère ! », a résumé devant la commission d’enquête Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Industrie (de 2012 à 2014) de François Hollande. Même son de cloche de Manuel Valls, ancien ministre puis premier ministre : « La décision des 50% était imposée par l’accord avec les Verts. Pour autant, aucune étude d’impact ou analyse de besoin ne justifiait le passage de 75% à 50% de nucléaire dans la consommation énergétique ». Une politique que Macron 1 avait poursuivie notamment en fermant Fessenheim, pour contenter les écologistes et les Allemands, et que Macron 2 prétend aujourd’hui totalement inverser. Au début de ce mois de mars, les députés examinant en commission le projet de loi d’accélération du nucléaire ont voté, comme l’avaient fait avant eux les sénateurs, la suppression dans la loi de deux objectifs qui y avaient été inscrits : la réduction à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité en France et le plafonnement à 63,2 GW de la puissance nucléaire. « La filière a besoin, après des années de signaux négatifs et contradictoires, d’un signal de confiance », a souligné le rapporteur du texte, la députée Renaissance Maud Bregeon.
Mais rattraper le temps perdu n’est jamais simple, a fortiori s’agissant d’énergie nucléaire. Ne risque-t-on pas à présent de brûler les étapes en bradant la sécurité après avoir agité des peurs irrationnelles sur nos centrales nucléaires ? Par exemple, dans le projet de réforme nucléaire, Agnès Pannier Runacher, ministre de la Transition énergétique, a proposé de fusionner l'ASN, l'Autorité de sûreté nucléaire avec l'IRSN, un institut public d'expertise créé il y a vingt ans, après la catastrophe de Tchernobyl. Le gouvernement voulait « fluidifier » les relations entre les deux organismes. Mais les syndicats de l'IRSN ont dénoncé un risque de désorganisation et une menace pour leur indépendance de veilleurs sur les risques de l'atome. Les alertes actuelles sur le vieillissement de certaines centrales, avec notamment l’apparition de fissures nécessitant des réparations, donnent plus de portée à leurs voix. Elles ont été entendues d’une majorité de députés : l'Assemblée nationale a rejeté hier, 15 mars, en première lecture, cette absorption de l'institut expert en France de la sûreté nucléaire dans l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
La relance du nucléaire aura un coût. 52 milliards d'euros au strict (et très improbable) minimum rien que pour les six premiers EPR2. Mais « il n’est de richesse que d’hommes » (Jean Bodin). La France a-t-elle encore les compétences pour reconstruire une filière nucléaire de premier plan ? On demande des ingénieurs en nucléaire et des soudeurs de haute précision, des emplois garantis pour près d’un demi-siècle ! « Il va falloir embaucher entre 10 000 et 15 000 personnes chaque année durant au moins dix ans. Colossal ! » souligne La Croix (article en lien, ci-dessous).
