Christianisme
Rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l'Église : points forts et commentaires (I)
« C'est de l'enfer que vous revenez, des fosses communes des âmes déchiquetées de l'Église ». Une phrase, parmi tant d’autres, entendue hier matin par tous les journalistes, en préambule de la conférence de presse de la Ciase, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église. Créée à l'automne 2018, cette équipe de 22 membres, bénévoles, aux compétences pluridisciplinaires, a rendu un rapport de 485 pages et de 2500 pages d’annexes. Un travail unanimement salué, financé par l'épiscopat et les instituts et congrégations religieux (à hauteur de 3 millions d'euros). Le clergé et la droite avaient refusé que ce fût une commission d’enquête parlementaire qui se chargeât de ce dossier sensible. Mais Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase et seule personnalité choisie par l’Église, s’acquitta au mieux de sa tâche.
Pour cet article, distinguons et commentons des points saillants :
1. 216 000 mineurs ont été victimes de prêtres, diacres et religieux en France depuis 1950, a-t-il révélé hier. Si l'on ajoute les enfants agressés par des laïcs, le chiffre grimpe à 330 000. Cette donnée résulte de l’enquête menée par l'Inserm, à la demande de la Ciase. L’échantillon représentatif de 28 000 personnes révèle que 5,5 millions de personnes de plus de 18 ans ont été sexuellement agressées pendant leur minorité dans l'ensemble de la population française. L'Église catholique représente 4 % du total des victimes.
Commentaire : cette estimation (216 000/330 000) ne concerne que les personnes encore vivantes et qui auraient donc pu témoigner. Où en serions-nous s’il avait fallu compter les morts ?
Autre point : il s’agit bien d’une estimation statistique, nullement d’un décomptage. L’« intervalle de confiance » est de plus ou moins 50 000, ce qui n’est pas rien. C’est une des faiblesses du rapport : le décalage entre le nombre de contacts obtenus via France Victimes (6471), le nombre d’auditions réalisées (243) et l’extrapolation sur laquelle communique la Ciase dans l’opinion. Il fallait certes avoir un ordre de grandeur. Reste que celui-ci ramène l’étude au caractère aléatoire et superficiel du sondage. Bien sûr, cet écart s’explique : la souffrance des victimes est encore si vive que malgré l’appel à en témoigner, seules quelques milliers de personnes ont eu le courage de parler.
Autre point : un tiers (33 %) des agressions vient des laïcs (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse...). C’est considérable. Le chiffre anéantit la thèse que le célibat serait la cause d’un passage à l’acte pédocriminel. Les évêques, par la voix de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, ont rappelé que « [leur] engagement à tous dans le célibat est un choix d'amour, de délicatesse, de respect, d'humilité ». Circulez, il n’y a rien à voir.
2. Entre 2900 et 3200 agresseurs hommes, soit 2,5 % à 2,8 % de la population des prêtres et religieux hommes dans la période.
Commentaire : il s’agit là encore d’une estimation, certes minimale, mais inférieure aux taux allemand (4,4 %), américain (4,8 %), australien (7 %) et irlandais (7,5 % dans certains diocèses). Ce chiffre est fondé sur les traces trouvées dans les archives et sur les témoignages à la Ciase. La France, ici, s’en sort plutôt bien, si l'on peut dire...
3. L'Église catholique est davantage concernée. La Ciase compare la prévalence des violences sexuelles dans l'Église à celle identifiée dans d'autres institutions (associations sportives, école...) et dans le cercle familial. Ainsi, 1,16 % des personnes en lien avec l'Église catholique ont subi des agressions sexuelles de diverses natures, dont 0,82 % par des clercs, religieux et religieuses. Ce taux est deux à trois fois supérieur à celui d'autres milieux : 0,36 % dans les centres et colonies de vacances, 0,34 % dans l'école publique (hors internats) et 0,28 % dans le sport.
Commentaire : cette info annihile l’un des arguments les plus spécieux du système de défense catho, selon lequel l’Éducation nationale et les clubs sportifs seraient plus touchés. C’est faux et cela se comprend très bien. On reçoit le prêtre le dimanche à sa table, on baise l’anneau de l’évêque, pas les baskets du prof de gym ni les dreadlocks de l’animateur de colo. On ne peut comparer l’Église catholique à aucune autre institution, même religieuse, sans commettre une erreur de perspective. Cette organisation se présente comme dépositaire exclusive de la Vérité. Le contre-témoignage des clercs abuseurs est incommensurable. De plus, la Ciase observe aussi que le mal tient du vice, pas de l’accident. Les actes pédocriminels des clercs sont moins occasionnels, plus durables, et donc plus corrosifs encore. La part des viols est certes inférieure à celle constatée dans le reste de la société mais pas de manière flagrante (32 % contre 38 %). Ici, l’Église va devoir travailler sur le phénomène de la sacralité du prêtre dans le regard des fidèles. Ceux-ci ont souvent la mauvaise idée de l’aduler, d’en faire un autre Christ dans tous les aspects de sa vie. Cette sanctuarisation/sanctification totale – qui vise à le révérer autant qu’à le protéger des tentations du monde – peut se révéler être un fardeau, un enfermement et – est-ce absurde de l'imaginer ? – une mise en danger.
Pour cet article, distinguons et commentons des points saillants :
1. 216 000 mineurs ont été victimes de prêtres, diacres et religieux en France depuis 1950, a-t-il révélé hier. Si l'on ajoute les enfants agressés par des laïcs, le chiffre grimpe à 330 000. Cette donnée résulte de l’enquête menée par l'Inserm, à la demande de la Ciase. L’échantillon représentatif de 28 000 personnes révèle que 5,5 millions de personnes de plus de 18 ans ont été sexuellement agressées pendant leur minorité dans l'ensemble de la population française. L'Église catholique représente 4 % du total des victimes.
Commentaire : cette estimation (216 000/330 000) ne concerne que les personnes encore vivantes et qui auraient donc pu témoigner. Où en serions-nous s’il avait fallu compter les morts ?
Autre point : il s’agit bien d’une estimation statistique, nullement d’un décomptage. L’« intervalle de confiance » est de plus ou moins 50 000, ce qui n’est pas rien. C’est une des faiblesses du rapport : le décalage entre le nombre de contacts obtenus via France Victimes (6471), le nombre d’auditions réalisées (243) et l’extrapolation sur laquelle communique la Ciase dans l’opinion. Il fallait certes avoir un ordre de grandeur. Reste que celui-ci ramène l’étude au caractère aléatoire et superficiel du sondage. Bien sûr, cet écart s’explique : la souffrance des victimes est encore si vive que malgré l’appel à en témoigner, seules quelques milliers de personnes ont eu le courage de parler.
Autre point : un tiers (33 %) des agressions vient des laïcs (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse...). C’est considérable. Le chiffre anéantit la thèse que le célibat serait la cause d’un passage à l’acte pédocriminel. Les évêques, par la voix de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, ont rappelé que « [leur] engagement à tous dans le célibat est un choix d'amour, de délicatesse, de respect, d'humilité ». Circulez, il n’y a rien à voir.
2. Entre 2900 et 3200 agresseurs hommes, soit 2,5 % à 2,8 % de la population des prêtres et religieux hommes dans la période.
Commentaire : il s’agit là encore d’une estimation, certes minimale, mais inférieure aux taux allemand (4,4 %), américain (4,8 %), australien (7 %) et irlandais (7,5 % dans certains diocèses). Ce chiffre est fondé sur les traces trouvées dans les archives et sur les témoignages à la Ciase. La France, ici, s’en sort plutôt bien, si l'on peut dire...
3. L'Église catholique est davantage concernée. La Ciase compare la prévalence des violences sexuelles dans l'Église à celle identifiée dans d'autres institutions (associations sportives, école...) et dans le cercle familial. Ainsi, 1,16 % des personnes en lien avec l'Église catholique ont subi des agressions sexuelles de diverses natures, dont 0,82 % par des clercs, religieux et religieuses. Ce taux est deux à trois fois supérieur à celui d'autres milieux : 0,36 % dans les centres et colonies de vacances, 0,34 % dans l'école publique (hors internats) et 0,28 % dans le sport.
Commentaire : cette info annihile l’un des arguments les plus spécieux du système de défense catho, selon lequel l’Éducation nationale et les clubs sportifs seraient plus touchés. C’est faux et cela se comprend très bien. On reçoit le prêtre le dimanche à sa table, on baise l’anneau de l’évêque, pas les baskets du prof de gym ni les dreadlocks de l’animateur de colo. On ne peut comparer l’Église catholique à aucune autre institution, même religieuse, sans commettre une erreur de perspective. Cette organisation se présente comme dépositaire exclusive de la Vérité. Le contre-témoignage des clercs abuseurs est incommensurable. De plus, la Ciase observe aussi que le mal tient du vice, pas de l’accident. Les actes pédocriminels des clercs sont moins occasionnels, plus durables, et donc plus corrosifs encore. La part des viols est certes inférieure à celle constatée dans le reste de la société mais pas de manière flagrante (32 % contre 38 %). Ici, l’Église va devoir travailler sur le phénomène de la sacralité du prêtre dans le regard des fidèles. Ceux-ci ont souvent la mauvaise idée de l’aduler, d’en faire un autre Christ dans tous les aspects de sa vie. Cette sanctuarisation/sanctification totale – qui vise à le révérer autant qu’à le protéger des tentations du monde – peut se révéler être un fardeau, un enfermement et – est-ce absurde de l'imaginer ? – une mise en danger.