Qu’est-ce que la théorie critique de la race ?
Politique

Qu’est-ce que la théorie critique de la race ?

Par Judikael Hirel. Synthèse n°1599, Publiée le 30/05/2022
La nomination de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l’Éducation Nationale suscite la polémique. En cause : les idées et opinions de cet enseignant-chercheur de métier, directeur général depuis 2021 du palais de la Porte Dorée et du musée de l’Histoire de l’Immigration, à Paris. L’auteur notamment de La Condition noire. Essai sur une minorité française (Calmann-Lévy, 2008) et Les Noirs américains. En marche pour l’égalité (Gallimard, 2009), est un ardent défenseur de ce que l’on pourrait appeler la pensée décoloniale. Cet ancien membre du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), favorable aux réunions en « non mixité raciale » dont seraient exclus les blancs, a étudié, vécu et enseigné aux États-Unis. Là-bas, il prend conscience de la condition noire afro-américaine. Mais en considérant qu’elle est identique en France et aux États-Unis, il passe de l’histoire au militantisme, du creuset républicain à l’Amérique des communautés.

Il devient ainsi le porte-drapeau au sein même du gouvernement de la théorie critique de la race (CRT), distinguant les blancs déterminant les normes oppressives de la société des « non-blancs » qui en sont les victimes. Vu au travers de ce prisme d’un racisme systémique, police, justice, école, sont autant de manifestations institutionnelles de ce système oppressif blanc. À l'origine, la théorie critique de la race (CRT) est apparue dans les années 1980, dans la lignée des premières « Critical Legal Studies » marquées à gauche, estimant déjà que le droit était un outil aux mains des puissants visant à légitimer leur pouvoir. Dans la droite ligne du mouvement des droits civiques américain, la CRT prétend mettre en lumière la façon dont les lois, mais aussi la jurisprudence, perpétuent des discriminations raciales en réalité ancrées dans les institutions américaines. Une vision prônée par le mouvement Black Live Matters.

Par le passé, Pap Ndiaye, s’est déjà dit convaincu de l’existence d’un racisme systémique en France. Pour lui, "le « racisme d’État » suppose que les institutions de l’État soient au service d’une politique raciste, ce qui n’est évidemment pas le cas en France. (…) En revanche, il existe bien un racisme structurel en France, par lequel des institutions comme la police peuvent avoir des pratiques racistes. Il y a du racisme dans l’État, il n’y a pas de racisme d’Etat." Or en combattant ce racisme, les tenants de la théorie critique de la race en créent et promeuvent un autre, considéré comme légitime : face à un mauvais racisme, un apartheid à combattre, existerait un racisme positif visant à réparer les torts de celui-ci. "En d'autres termes, on peut désormais être raciste à son corps défendant, raciste sans malveillance, raciste sans haine, voire raciste par gentillesse", ironise Xavier-Laurent Salvador, de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires.

Dans cette logique, ne pas être antiraciste est déjà être raciste. Un mode de pensée que l’on retrouve dans bien des argumentations Woke et de défense des minorités importées d’outre-Atlantique. En adoptant ce regard communautariste américain, l’universalisme républicain à la française devient en fait raciste puisqu’indifférent par principe à la couleur de peau… Quel peut être le pouvoir de nuisance de ces théories dites de DEI (diversité, équité et inclusion) ? "Comment mettre fin au racisme… en le voyant partout ?", s’interrogeait ainsi Laetitia Strauch-Bonart dans les colonnes du Point. Rappelant au passage que, loin d'être nouveaux, les concepts de "privilège blanc" ou de "racisme systémique" sont bel et bien issus de la "critical race theory" née aux États-Unis, elle s’étonnait "qu'une pensée aussi américaine ait pu prendre pied chez nous, notamment via les propos de Rokhaya Diallo, Danièle Obono ou Lilian Thuram."

Le nouvel hôte de la rue de Grenelle est le chantre assumé de l’analyse des rapports sociaux au travers d’un prisme racial. Il représente ainsi une ligne politique diamétralement opposée à celle, républicaine et laïque, défendue jusque-là par Jean-Michel Blanquer. Avec quelles conséquences dans les mois et années à venir ? Lutter contre les discriminations systémiques n’empêche en tout cas pas celui qui se présente comme un "pur produit de la méritocratie républicaine" d’avoir inscrit ses deux enfants à la célèbre École Alsacienne, établissement privé de l’élite parisienne. Une sorte de "en même temps" personnel, sans doute, pour le nouveau ministre de l’Éducation Nationale d’Emmanuel Macron…
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Pourquoi la nomination de Pap Ndiaye à l'Éducation nationale marque un tournant idéologique
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