International
Quelles chances pour la diplomatie en Ukraine ? Le grand débat
Comment trouver la porte de sortie face à la guerre en Ukraine, bloquée dans une impasse sur le terrain, aucun des deux côtés n’ayant la force de remporter une victoire militaire ? Au niveau diplomatique, l’Italie vient de soumettre un plan avec 4 points à l’ONU et le G7 :
Pour l’Italie, une « solution juste et équitable » doit être fondée sur « l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». C’est justement cette question de principes directeurs pour la diplomatie qui était le sujet d’un débat contradictoire au célèbre Roy Thomson Hall à Toronto, avec d’un côté les politologues John Mearsheimer et Stephen Walt, et de l’autre Michael McFaul, ancien ambassadeur américain à Moscou, ainsi que Radek Sikorski, ancien ministre de la défense polonais. Les premiers ont soutenu l’idée qu’il faudrait d’abord prendre compte des intérêts russes en matière de sécurité (position partagée par 53% des auditeurs avant le débat). Mearsheimer, représentant de la théorie « réaliste » en géopolitique, a considéré qu’on peut certes déplorer la possibilité des grands pays de dicter leur volonté aux plus petits, mais qu’il faudrait finalement vivre avec : si l’Ukraine et les Occidentaux agacent l’ours russe avec un bâton (la supposée politique expansionniste de l’OTAN), cela ne peut que mener à la catastrophe.
Dans un article récent pour Le Figaro, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Henri Guaino a offert une lecture de la genèse du conflit proche de celle de Mearsheimer, fustigeant également ce qu’il voit comme la volonté actuelle de Washington d’acculer la Russie. Soulignant le danger d’une escalade analogue à celle de 1914, Guaino parle de « l’engrenage tragique de la violence mimétique que personne n’aurait voulu mais auquel tout le monde aurait contribué ». Pourtant, il se démarque du réalisme pur en disant : « Faire aujourd’hui des concessions à la Russie, c’est se plier à la loi du plus fort. N'en faire aucune, c’est se plier à la loi du plus fou. Tragique dilemme. ». Dans le cas d’une généralisation de la guerre, Guaino mentionne deux possibilités hautement indésirables. Si la destruction nucléaire de l’Europe est évidemment la plus dramatique, l’Occident pourrait également être tenté de céder à la « capitulation munichoise » en lâchant l’Ukraine, voire les Pays Baltes ou la Pologne.
De leur côté, McFaul et Sikorski ont soulevé des objections à Mearsheimer qui pourraient aussi s’appliquer à l’article de Guaino. Citant leur propre expérience diplomatique, ils rejettent comme trop simpliste le récit d’un conflit inévitable entre la Russie et l’OTAN qui aurait couvé depuis la fin de l’URSS en 1991, notant que jusqu’à la présidence de Dmitri Medvedev (2008-2012), la Russie n’était pas fermée à l’idée d’une collaboration avec l’Alliance Atlantique. Cette interprétation est confirmée par les souvenirs d’autres anciens interlocuteurs de Poutine comme Tony Blair, l’ancien secrétaire général de l’OTAN George Robertson ou Andrei Illarianov, conseiller économique du président russe jusqu’à 2005. L’évolution de la position du Kremlin envers l’Occident n’a pas été linéaire, évoquer des « intérêts de la Russie » invariables serait donc réducteur. Par ailleurs, McFaul a contesté la notion selon laquelle seul le pouvoir actuel aurait le droit de définir ces intérêts, citant son récent échange avec l’opposant Alexei Navalny qui présente une toute autre lecture de la situation. À ce sujet, McFaul rejoint un autre poids lourd de l'opposition russe, Garry Kasparov : l’ex-champion d’échecs affirme que ce serait plutôt la défaite définitive de Poutine qui serait dans le vrai intérêt de la Russie qui, libérée des rêves impérialistes, pourrait ensuite être un partenaire de l’Occident contre la Chine. L’argument de Sikorski est semblable : c’est seulement en reconnaissant l’altérité de ses voisins colonisés que la Russie pourrait enfin se redéfinir. Face au « réalisme » de Mearsheimer, McFaul a offert une vision plus idéaliste, disant que, même si l’histoire de l’Europe s’est effectivement déroulée selon la logique du plus fort, la voie du Realpolitik n’est pas seulement immorale mais a conduit à la guerre en Europe au XXe siècle.
Les participants du débat à Toronto se sont finalement révélés assez proches par rapport à la question initiale. Selon Sikorski, « nous devrions reconnaître les intérêts légitimes de la Russie en matière de sécurité, mais la Russie doit reconnaître le droit de ses voisins d’exister et d'avoir leurs propres intérêts. »
60% des auditeurs ont finalement soutenu la position de McFaul et Sikorski plutôt que celle de Mearsheimer et Walt.
- un cessez-le-feu et la démilitarisation du front sous le contrôle de l’ONU
- neutralité de l’Ukraine, qui aurait la possibilité de rejoindre l’UE mais pas l’OTAN
- un accord bilatéral concernant la Crimée et le Donbass, qui auraient l’autonomie tout en respectant la souveraineté territoriale ukrainienne
- un accord multilatéral au sujet de la paix et la sécurité en Europe
Pour l’Italie, une « solution juste et équitable » doit être fondée sur « l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». C’est justement cette question de principes directeurs pour la diplomatie qui était le sujet d’un débat contradictoire au célèbre Roy Thomson Hall à Toronto, avec d’un côté les politologues John Mearsheimer et Stephen Walt, et de l’autre Michael McFaul, ancien ambassadeur américain à Moscou, ainsi que Radek Sikorski, ancien ministre de la défense polonais. Les premiers ont soutenu l’idée qu’il faudrait d’abord prendre compte des intérêts russes en matière de sécurité (position partagée par 53% des auditeurs avant le débat). Mearsheimer, représentant de la théorie « réaliste » en géopolitique, a considéré qu’on peut certes déplorer la possibilité des grands pays de dicter leur volonté aux plus petits, mais qu’il faudrait finalement vivre avec : si l’Ukraine et les Occidentaux agacent l’ours russe avec un bâton (la supposée politique expansionniste de l’OTAN), cela ne peut que mener à la catastrophe.
Dans un article récent pour Le Figaro, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Henri Guaino a offert une lecture de la genèse du conflit proche de celle de Mearsheimer, fustigeant également ce qu’il voit comme la volonté actuelle de Washington d’acculer la Russie. Soulignant le danger d’une escalade analogue à celle de 1914, Guaino parle de « l’engrenage tragique de la violence mimétique que personne n’aurait voulu mais auquel tout le monde aurait contribué ». Pourtant, il se démarque du réalisme pur en disant : « Faire aujourd’hui des concessions à la Russie, c’est se plier à la loi du plus fort. N'en faire aucune, c’est se plier à la loi du plus fou. Tragique dilemme. ». Dans le cas d’une généralisation de la guerre, Guaino mentionne deux possibilités hautement indésirables. Si la destruction nucléaire de l’Europe est évidemment la plus dramatique, l’Occident pourrait également être tenté de céder à la « capitulation munichoise » en lâchant l’Ukraine, voire les Pays Baltes ou la Pologne.
De leur côté, McFaul et Sikorski ont soulevé des objections à Mearsheimer qui pourraient aussi s’appliquer à l’article de Guaino. Citant leur propre expérience diplomatique, ils rejettent comme trop simpliste le récit d’un conflit inévitable entre la Russie et l’OTAN qui aurait couvé depuis la fin de l’URSS en 1991, notant que jusqu’à la présidence de Dmitri Medvedev (2008-2012), la Russie n’était pas fermée à l’idée d’une collaboration avec l’Alliance Atlantique. Cette interprétation est confirmée par les souvenirs d’autres anciens interlocuteurs de Poutine comme Tony Blair, l’ancien secrétaire général de l’OTAN George Robertson ou Andrei Illarianov, conseiller économique du président russe jusqu’à 2005. L’évolution de la position du Kremlin envers l’Occident n’a pas été linéaire, évoquer des « intérêts de la Russie » invariables serait donc réducteur. Par ailleurs, McFaul a contesté la notion selon laquelle seul le pouvoir actuel aurait le droit de définir ces intérêts, citant son récent échange avec l’opposant Alexei Navalny qui présente une toute autre lecture de la situation. À ce sujet, McFaul rejoint un autre poids lourd de l'opposition russe, Garry Kasparov : l’ex-champion d’échecs affirme que ce serait plutôt la défaite définitive de Poutine qui serait dans le vrai intérêt de la Russie qui, libérée des rêves impérialistes, pourrait ensuite être un partenaire de l’Occident contre la Chine. L’argument de Sikorski est semblable : c’est seulement en reconnaissant l’altérité de ses voisins colonisés que la Russie pourrait enfin se redéfinir. Face au « réalisme » de Mearsheimer, McFaul a offert une vision plus idéaliste, disant que, même si l’histoire de l’Europe s’est effectivement déroulée selon la logique du plus fort, la voie du Realpolitik n’est pas seulement immorale mais a conduit à la guerre en Europe au XXe siècle.
Les participants du débat à Toronto se sont finalement révélés assez proches par rapport à la question initiale. Selon Sikorski, « nous devrions reconnaître les intérêts légitimes de la Russie en matière de sécurité, mais la Russie doit reconnaître le droit de ses voisins d’exister et d'avoir leurs propres intérêts. »
60% des auditeurs ont finalement soutenu la position de McFaul et Sikorski plutôt que celle de Mearsheimer et Walt.
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