Christianisme
Quand le Vatican tire à hue et à Diat
Une fois de plus, l’Église catholique livre au monde le spectacle d’une grande confusion et en France, celle-ci s’ajoute à l’étalage judiciaire de l'affaire Preynat, si fait qu'on ne sait plus très bien par quel bout prendre le catholicisme pour essayer d’en expliquer le fonctionnement.
Le conflit met en présence Benoît XVI, 92 ans, et le cardinal Robert Sarah, chef de file de la mouvance conservatrice. Après 48 heures de remous, le pape émérite demanda que son nom et sa signature fussent retirés d'un livre sur le sujet sensible du célibat ecclésiastique, Des profondeurs de nos cœurs. Problème : le livre était déjà imprimé ! En librairie depuis hier, l’ouvrage édité par Fayard présente en couverture les photos des deux prélats et tout semble indiquer qu’il s‘agit d’une collaboration à parts égales. C’est sous cet angle que Le Figaro en publia des extraits dimanche dernier. Mais dès le lendemain, plusieurs correspondants étrangers à Rome assuraient que Benoît XVI n'avait pas coécrit ce livre. Le cardinal guinéen s’en défendit aussitôt sur Twitter : « J'affirme solennellement, protesta-t-il, que Benoît XVI savait que notre projet prendrait la forme d'un livre. Je peux dire que nous avons échangé plusieurs épreuves pour établir les corrections. » Dans la foulée, le haut prélat publiait un communiqué se terminant par ces mots : « La polémique qui vise depuis plusieurs heures à me salir en insinuant que Benoît XVI n'était pas informé de la parution du livre est profondément abjecte. (…) Mon attachement à Benoît XVI reste intact et mon obéissance au pape François absolue. » Pour sincères qu'elles soient, ces réactions du cardinal furent rendues publiques avant la déclaration du secrétaire particulier de Joseph Ratzinger. Car mardi, le scandale éclate par la voix de Mgr Georg Gaenswein, cité par l'agence italienne ANSA : « Je peux confirmer que ce matin, sur indication du pape émérite, j'ai demandé au cardinal Robert Sarah de contacter les éditeurs du livre en les priant d'enlever le nom de Benoît XVI. » Gaenswein n’est pas n’importe qui : cet archevêque allemand est aussi préfet de maison pontificale. Il fait ainsi l'interface entre le pape émérite et le pape actuel. Voici sa version : « Le pape émérite savait que le cardinal préparait un livre et il lui avait envoyé un de ses articles sur le sacerdoce en lui permettant de l'utiliser comme bon lui semblait. Il n'avait pas cependant approuvé un quelconque projet de livre avec une double signature et il n'avait ni vu ni autorisé la page de couverture. » Et d’ajouter : « Il s’est agi d'un malentendu qui ne remet pas en cause la bonne foi du cardinal Sarah. »
Malentendu ou manipulation ? Sans donner de leçon à qui que ce soit, ce cafouillage n'aurait-il pas pu être évité ? L’ouvrage est publié sous la direction de Nicolas Diat, homme lige du cardinal Sarah – qui n’en est pas à son premier coup éditorial. Benoît XVI est cité comme affirmant « Silere non possum ! » (Je ne peux pas me taire). Ce n’est pas rien. Une multitude de questions viennent pêle-mêle à l’esprit :
- s’était-il vu remettre le livre avant impression ?
- a-t-on la preuve qu’il approuva tous les termes de cette entreprise ?
- existe-t-il un contrat formalisant les rôles des deux « auteurs » ?
- quid des droits d'« auteurs » ?
- le pape François était-il au courant d’une telle publication ?
- etc.
Pour l’heure, Nicolas Diat ne souhaite pas répondre à nos sollicitations. L'éditeur américain Ignatius Press annonçait simplement que sa version du livre garderait la double signature car « les deux hommes ont collaboré sur cet ouvrage pendant plusieurs mois ».
Si je puis oser une appréciation personnelle, ce texte me semble porter la marque de Joseph Ratzinger. Sa vision du célibat est à la fois subtilement et catégoriquement exposée. On y décèle un chemin de pensée bien à lui, cette façon de récapituler les choses en les approfondissant par paliers. Page 48, il fait advenir son jugement à la suite d’une mise en perspective avec les Écritures : « Étant donné que les prêtres de l’Ancien Testament ne devaient se consacrer au culte que durant des périodes déterminées, le mariage et le sacerdoce étaient compatibles. Mais, en raison de la célébration eucharistique régulière et souvent même quotidienne, la situation des prêtres de l’Église de Jésus-Christ se trouve radicalement changée. Désormais, leur vie entière est en contact avec le mystère divin. Cela exige de leur part l’exclusivité à l’égard de Dieu. (…) On peut dire que l’abstinence sexuelle qui était fonctionnelle s’est transformée d’elle-même en une abstinence ontologique. »
Pour Benoît XVI, cette abstinence « relève de l’être » (ontologique). Elle est inamovible, alors que d'autres la perçoivent comme une question de discipline pouvant fluctuer avec les circonstances.
En octobre, le synode sur l'Amazonie s’interrogea sur la possibilité d'ordonner prêtres des hommes mariés d'âge mûr (appelés « viri probati ») afin de faire face à un manque de religieux. Des profondeurs de nos cœurs demande à toute l'Église catholique de ne pas se laisser « impressionner » par « les mensonges diaboliques, les erreurs à la mode qui veulent dévaloriser le célibat sacerdotal ». Impression rimerait ici avec pressions… le pape François devant bientôt faire connaître sa position. « Au synode, Sarah n'avait pas été entendu », juge Nicolas Senèze, correspondant au Vatican du quotidien La Croix, interrogé par l’AFP. Un autre vaticaniste, Christopher Lamb, estime que la controverse ne porte pas tant sur le contenu du livre que sur « l'utilisation de l'autorité d'un pape à la retraite ». Ce point est un sujet en soi, surtout si François démissionne à son tour, ce que laisserait présager, selon certains observateurs, la récente nomination de Mgr Luis Tagle au poste de préfet de la congrégation pour l'évangélisation des peuples. Pour le reste, ajoute Christopher Lamb sur Twitter, « personne ne doute que Benoît XVI est d'accord avec le principe de base du livre ».
Le conflit met en présence Benoît XVI, 92 ans, et le cardinal Robert Sarah, chef de file de la mouvance conservatrice. Après 48 heures de remous, le pape émérite demanda que son nom et sa signature fussent retirés d'un livre sur le sujet sensible du célibat ecclésiastique, Des profondeurs de nos cœurs. Problème : le livre était déjà imprimé ! En librairie depuis hier, l’ouvrage édité par Fayard présente en couverture les photos des deux prélats et tout semble indiquer qu’il s‘agit d’une collaboration à parts égales. C’est sous cet angle que Le Figaro en publia des extraits dimanche dernier. Mais dès le lendemain, plusieurs correspondants étrangers à Rome assuraient que Benoît XVI n'avait pas coécrit ce livre. Le cardinal guinéen s’en défendit aussitôt sur Twitter : « J'affirme solennellement, protesta-t-il, que Benoît XVI savait que notre projet prendrait la forme d'un livre. Je peux dire que nous avons échangé plusieurs épreuves pour établir les corrections. » Dans la foulée, le haut prélat publiait un communiqué se terminant par ces mots : « La polémique qui vise depuis plusieurs heures à me salir en insinuant que Benoît XVI n'était pas informé de la parution du livre est profondément abjecte. (…) Mon attachement à Benoît XVI reste intact et mon obéissance au pape François absolue. » Pour sincères qu'elles soient, ces réactions du cardinal furent rendues publiques avant la déclaration du secrétaire particulier de Joseph Ratzinger. Car mardi, le scandale éclate par la voix de Mgr Georg Gaenswein, cité par l'agence italienne ANSA : « Je peux confirmer que ce matin, sur indication du pape émérite, j'ai demandé au cardinal Robert Sarah de contacter les éditeurs du livre en les priant d'enlever le nom de Benoît XVI. » Gaenswein n’est pas n’importe qui : cet archevêque allemand est aussi préfet de maison pontificale. Il fait ainsi l'interface entre le pape émérite et le pape actuel. Voici sa version : « Le pape émérite savait que le cardinal préparait un livre et il lui avait envoyé un de ses articles sur le sacerdoce en lui permettant de l'utiliser comme bon lui semblait. Il n'avait pas cependant approuvé un quelconque projet de livre avec une double signature et il n'avait ni vu ni autorisé la page de couverture. » Et d’ajouter : « Il s’est agi d'un malentendu qui ne remet pas en cause la bonne foi du cardinal Sarah. »
Malentendu ou manipulation ? Sans donner de leçon à qui que ce soit, ce cafouillage n'aurait-il pas pu être évité ? L’ouvrage est publié sous la direction de Nicolas Diat, homme lige du cardinal Sarah – qui n’en est pas à son premier coup éditorial. Benoît XVI est cité comme affirmant « Silere non possum ! » (Je ne peux pas me taire). Ce n’est pas rien. Une multitude de questions viennent pêle-mêle à l’esprit :
- s’était-il vu remettre le livre avant impression ?
- a-t-on la preuve qu’il approuva tous les termes de cette entreprise ?
- existe-t-il un contrat formalisant les rôles des deux « auteurs » ?
- quid des droits d'« auteurs » ?
- le pape François était-il au courant d’une telle publication ?
- etc.
Pour l’heure, Nicolas Diat ne souhaite pas répondre à nos sollicitations. L'éditeur américain Ignatius Press annonçait simplement que sa version du livre garderait la double signature car « les deux hommes ont collaboré sur cet ouvrage pendant plusieurs mois ».
Si je puis oser une appréciation personnelle, ce texte me semble porter la marque de Joseph Ratzinger. Sa vision du célibat est à la fois subtilement et catégoriquement exposée. On y décèle un chemin de pensée bien à lui, cette façon de récapituler les choses en les approfondissant par paliers. Page 48, il fait advenir son jugement à la suite d’une mise en perspective avec les Écritures : « Étant donné que les prêtres de l’Ancien Testament ne devaient se consacrer au culte que durant des périodes déterminées, le mariage et le sacerdoce étaient compatibles. Mais, en raison de la célébration eucharistique régulière et souvent même quotidienne, la situation des prêtres de l’Église de Jésus-Christ se trouve radicalement changée. Désormais, leur vie entière est en contact avec le mystère divin. Cela exige de leur part l’exclusivité à l’égard de Dieu. (…) On peut dire que l’abstinence sexuelle qui était fonctionnelle s’est transformée d’elle-même en une abstinence ontologique. »
Pour Benoît XVI, cette abstinence « relève de l’être » (ontologique). Elle est inamovible, alors que d'autres la perçoivent comme une question de discipline pouvant fluctuer avec les circonstances.
En octobre, le synode sur l'Amazonie s’interrogea sur la possibilité d'ordonner prêtres des hommes mariés d'âge mûr (appelés « viri probati ») afin de faire face à un manque de religieux. Des profondeurs de nos cœurs demande à toute l'Église catholique de ne pas se laisser « impressionner » par « les mensonges diaboliques, les erreurs à la mode qui veulent dévaloriser le célibat sacerdotal ». Impression rimerait ici avec pressions… le pape François devant bientôt faire connaître sa position. « Au synode, Sarah n'avait pas été entendu », juge Nicolas Senèze, correspondant au Vatican du quotidien La Croix, interrogé par l’AFP. Un autre vaticaniste, Christopher Lamb, estime que la controverse ne porte pas tant sur le contenu du livre que sur « l'utilisation de l'autorité d'un pape à la retraite ». Ce point est un sujet en soi, surtout si François démissionne à son tour, ce que laisserait présager, selon certains observateurs, la récente nomination de Mgr Luis Tagle au poste de préfet de la congrégation pour l'évangélisation des peuples. Pour le reste, ajoute Christopher Lamb sur Twitter, « personne ne doute que Benoît XVI est d'accord avec le principe de base du livre ».