Quand Le Figaro crie haro sur les nouveaux inquisiteurs... pas si nouveaux que ça
Médias

Quand Le Figaro crie haro sur les nouveaux inquisiteurs... pas si nouveaux que ça

Par Louis Daufresne. Synthèse n°1519, Publiée le 25/02/2022
Dans une enquête écrite par trois journalistes, Le Figaro sort du confort de ses habitudes respectables pour se livrer à une charge assez courageuse contre quelques parrains du milieu médiatique. Le fait est assez rare. Ce genre d'offensive ad hominem est plus coutumière des nervis de la police de la pensée, Libé, Le Monde ou Mediapart. Que le quotidien de Serge Dassault veuille ainsi « porter la plume dans la plaie », selon l’expression d’Albert Londres, s’explique peut-être par le regain de tension idéologique propre à la campagne présidentielle. Si cela ne dure pas, profitons de cet assaut hors de la tranchée du conformisme mondain.

Le journal pointe sa baïonnette sur le ventre mou et les idées dures de nos Tartuffes audiovisuels, « ces juges de la pensée qui rêvent de réduire au silence ceux qui ne pensent pas comme eux ». La plume est aiguisée comme un échafaud et dans le panier de la vindicte roulent les têtes des « nouveaux intolérants ». Qui trouve-t-on dans la charrette ? « Cinq figures de la gauche politiquement correcte » : Laure Adler, « le cerbère du vivre ensemble », Jean-Michel Apathie, « le père la morale », Aymeric Caron, « l’homme qui murmure à l’oreille des moustiques », Rokhaya Diallo, « la victime idéale » et Edwy Plenel, « un censeur sachant chasser ». Bref, que des curés qui vous disent quoi penser !

Si l'humour n'est pas absent de cette galerie de portraits, celle-ci est précédée d’une longue déploration sur les ravages du sectarisme de la gauche intellectuelle. Comme Bernardo Gui dans le Nom de la rose, les inquisiteurs allument les bûchers, se raidissant à mesure que leur pouvoir perd de leur superbe, c’est-à-dire de leur monopole. Et Le Figaro de citer l’universitaire québécois Mathieu Bock-Côté : « La gauche a été si longtemps dominante qu’il lui suffit d’être contestée pour se croire assiégée et la droite a été si longtemps dominée qu’il lui suffit d’être entendue pour se croire dominante. » L’irruption de Cnews et de Vincent Bolloré dans le paysage rend nerveux la cléricature médiatique, prompte à taper sur les dissidents de son propre camp qui seraient tentés de sacrifier leurs illusions sur l'autel de la réalité.

Car, ici, la gauche est victime de la gauche, qu’il s’agisse de Sylviane Agacinski ou d’Élisabeth Badinter, de Cécile Pina, de Michel Onfray ou du jeune Paul Melun (ex-Unef). On excommunie, on met à l’index. Dans la bonne tradition révolutionnaire, l’enjeu mérite toutes les purges car il ne suffit pas d’être au pouvoir, encore faut-il y rester. Cet avantage n’est pas inné. Il se fait au prix d’une discipline collective que tout petit soldat du journalisme, dès son incubation dans les écoles labellisées, apprend à respecter. Á l'arrivée, comme le remarque Bock-Côté, « la gauche (...) conserve le pouvoir idéologique et normatif même quand elle perd les élections ». 

Serait-ce cela ce que certains appellent l'État profond, cette notion à la fois confuse et diffuse ? Une sorte de superstructure des idées se joue des alternances politiques, des évolutions techniques et des mutations économiques. Car, contrairement à ce qu’écrit Le Figaro, ces « intolérants » n’ont rien de nouveau. Ce qui frappe même, c’est l’inusable suzeraineté qu’ils exercent sur leurs pairs. Depuis combien de temps un Edwy Plenel vidange-t-il le milieu politique ? Dans une LSDJ consacrée à l’affaire François de Rugy (n°705), nous montrions que ce personnage n’est pas un contre-pouvoir mais un pilier de la régulation des idées, que « son statut tient du justicier extra-judiciaire » dont les informations assassines proviennent le plus souvent des rouages institutionnels.

Quand on parle de « police de la pensée », il faut prendre l’expression à la lettre, dans son sens clinique. On a bien affaire à des chefs de la police. Ce rôle est inavouable en démocratie où toutes les opinions sont censées s’équivaloir. Le propre de l’inquisiteur est le droit de tuer qui leur est tacitement (et non formellement) reconnu. Un papier bien chargé dans le barillet du Canard enchaîné peut éliminer un candidat à la présidentielle, comme le montra l'affaire Fillon. La même chose n’est pas vraie de l’autre côté, où des journalistes dépourvus de cette fonction inquisitoriale, voient leur jugement sans effet sur le cours des choses et le destin des hommes.

Cette inégalité de traitement se voit aussi dans le sort réservé aux journaux. Comme le note dans Le Figaro la journaliste Élisabeth Lévy, l’État « a sauvé Libération, mais je ne compte sur aucun gouvernement pour sauver Causeur ». Notons que la bonne santé ou l’audience du media ne jouent pas sur son pouvoir. Libé a des ventes dérisoires en kiosques et son lectorat a plus de 70 ans. La régulation des idées s'épanouit dans l’ordre de la légitimité symbolique et du pouvoir judiciaire.

Il n'y a pas non plus l'ombre d'un complot. Edwy Plenel et consorts appartiennent à ce que le journaliste Thomas Vallières appelle « une communauté d’inspiration » qui « rend inutile la conspiration ».
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Quand Le Figaro crie haro sur les nouveaux inquisiteurs... pas si nouveaux que ça
Les nouveaux intolérants, ces juges de la pensée qui rêvent de réduire au silence ceux qui ne pensent pas comme eux
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