Économie
Quand l'Allemagne nous donne du temps
Depuis quinze jours, le climat de l'UE est agité : le 5 mai, l’orage éclate avec l’arrêt de Karlsruhe. La foudre tombe sur la Banque centrale. Accusée d’outrepasser ses compétences, la BCE est sommée par la Cour constitutionnelle allemande (CCA) de justifier son rachat massif de dettes publiques de 2015 à 2018. Si la BCE ne donne pas satisfaction, le tribunal germanique obligera la Bundesbank à sortir de ce programme anti-crise. L’ultimatum expire dans trois mois. Pour l’Union européenne, c’est perdant-perdant. Si la BCE se couche, elle abandonne une part de son indépendance. Si la BCE se cabre, elle met en porte-à-faux la Bundesbank et en péril toute la politique monétaire.
Le 18 mai, le soleil cogne : « L'amour enfin de retour », « Le moteur franco-allemand de nouveau là », titre l’hebdomadaire Die Zeit. Emmanuel Macron et Angela Merkel s’affichent en couple. Cette fois, il s’agit d’amortir le choc de la récession attendue dans l'UE après des semaines de confinement. Le plan de relance de 500 mds € repose sur une mutualisation des emprunts. Il semble briser le tabou allemand en matière de solidarité financière. Comme une réponse à Karlsruhe... Paris et Berlin proposent que ce plan soit financé sur les marchés « au nom de l'UE ». L’argent sera ensuite versé en « dépenses budgétaires (…) aux secteurs et régions les plus touchés ». Et surtout : les sommes « ne seront pas remboursées par les bénéficiaires ».
Certes, rien n’est encore fait. Le plan doit être validé par les 27. Les pays du Nord (Autriche, Pays-Bas, Danemark), par la voix du chancelier autrichien Sebastian Kurz, font savoir qu’ils veulent « des prêts et non des subventions ». À ce stade, nul ne sait si ce plan va s’affirmer ou s’enliser. Le fiasco de la déclaration de Meseberg (juin 2018) hante toujours les esprits. Quoi qu’il en soit, 500 mds, c'est de l'ordre de 3% du PIB de l'UE, alors qu'on parle d'une récession de 8%. Même adoptée, l’initiative franco-allemande ne couvrirait qu’une partie des besoins. Néanmoins, aux yeux de Jean-Yves Le Drian, « C'est un vrai électrochoc qui montre que l'Europe, dans les moments de crise, sait se dépasser ». Le chef de la diplomatie française n'hésite pas à comparer ce plan à la création de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) en 1950 !
Cet engouement appelle cependant quelques réserves :
Avec le mâle teuton, c’est toujours la France qui simule l’orgasme. Son partenaire sait que sa belle n’en veut qu’à son argent. D’ailleurs, outre-Rhin, on utilise très peu l’expression de « couple franco-allemand ». La lune de miel, c’était De Gaulle-Adenauer et les années 1950-1980. Rien à voir aujourd’hui. Quand François Mitterrand et Helmut Kohl se donnèrent la main à Verdun (1984), Paris s’apprêtait à sacrifier l’enseignement de l’allemand, langue jugée trop sélective. En RFA aussi, l’idiome de Molière reculait peu à peu, alors qu’en RDA l’élite anticommuniste rêvait en français. Avec l’intégration européenne, on dilapida tout le capital culturel accumulé après-guerre, à l’image du tarissement des échanges scolaires franco-allemands. Et les Germains se (re)mirent en marche vers l’est.
Si Berlin reste notre premier partenaire commercial, les Français comprennent de moins en moins l’Allemagne, le génie auquel sa langue donne accès. Ils mythifient la puissance de son industrie et voient peu que cette nation de vieux rentiers, frappée par la dénatalité, s’en sort par la pression sur les salaires et que sa dépendance aux exportations (46% du PIB) la fragilise. L’Allemagne est prise au piège de son modèle. Difficile de penser toujours à soi quand on dépend autant des autres. L’arrêt de Karlsruhe et le plan Macron/Merkel reflètent un même moment : biberonnée depuis la guerre aux vertus de l’austérité budgétaire, l’Allemagne est en train de faire son deuil de l’endettement zéro. Si le plan est bien adopté, Berlin mettra sur la table 135 mds à lui tout seul. Il s'agit d'un pas vers les « Coronabonds » tels que l'Italie, soutenue par la France, les réclame. Des économistes ou des partis comme Les Verts y sont favorables. Angela Merkel, en tête des sondages, prend la présidence de l'UE en juillet. Le chancelier pourrait finir son 4e et dernier mandat sur cette idée généreuse d'une mutualisation des dettes en Europe. Édouard Philippe a sans doute raison quand il voit l'Allemagne « bouger ». En a-t-elle le choix dans l'immédiat ?
Aujourd'hui donc tout devrait se résoudre, mais l'heure de vérité pourrait venir dans 6 mois ou dans 1 an, car les déficits devraient exploser à la suite de la crise du Covid-19 : l'opinion publique allemande voudra-t-elle continuer à garantir les dettes des pays trop « laxistes » ou exigera-t-elle un encadrement « à la grecque » ? En imposant que ce choix soit toujours ouvert et ne dépende que de la décision allemande, l'arrêt de Karlsruhe - telle une bombe à retardement - conditionne l'avenir de l'Europe.
Le 18 mai, le soleil cogne : « L'amour enfin de retour », « Le moteur franco-allemand de nouveau là », titre l’hebdomadaire Die Zeit. Emmanuel Macron et Angela Merkel s’affichent en couple. Cette fois, il s’agit d’amortir le choc de la récession attendue dans l'UE après des semaines de confinement. Le plan de relance de 500 mds € repose sur une mutualisation des emprunts. Il semble briser le tabou allemand en matière de solidarité financière. Comme une réponse à Karlsruhe... Paris et Berlin proposent que ce plan soit financé sur les marchés « au nom de l'UE ». L’argent sera ensuite versé en « dépenses budgétaires (…) aux secteurs et régions les plus touchés ». Et surtout : les sommes « ne seront pas remboursées par les bénéficiaires ».
Certes, rien n’est encore fait. Le plan doit être validé par les 27. Les pays du Nord (Autriche, Pays-Bas, Danemark), par la voix du chancelier autrichien Sebastian Kurz, font savoir qu’ils veulent « des prêts et non des subventions ». À ce stade, nul ne sait si ce plan va s’affirmer ou s’enliser. Le fiasco de la déclaration de Meseberg (juin 2018) hante toujours les esprits. Quoi qu’il en soit, 500 mds, c'est de l'ordre de 3% du PIB de l'UE, alors qu'on parle d'une récession de 8%. Même adoptée, l’initiative franco-allemande ne couvrirait qu’une partie des besoins. Néanmoins, aux yeux de Jean-Yves Le Drian, « C'est un vrai électrochoc qui montre que l'Europe, dans les moments de crise, sait se dépasser ». Le chef de la diplomatie française n'hésite pas à comparer ce plan à la création de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) en 1950 !
Cet engouement appelle cependant quelques réserves :
Avec le mâle teuton, c’est toujours la France qui simule l’orgasme. Son partenaire sait que sa belle n’en veut qu’à son argent. D’ailleurs, outre-Rhin, on utilise très peu l’expression de « couple franco-allemand ». La lune de miel, c’était De Gaulle-Adenauer et les années 1950-1980. Rien à voir aujourd’hui. Quand François Mitterrand et Helmut Kohl se donnèrent la main à Verdun (1984), Paris s’apprêtait à sacrifier l’enseignement de l’allemand, langue jugée trop sélective. En RFA aussi, l’idiome de Molière reculait peu à peu, alors qu’en RDA l’élite anticommuniste rêvait en français. Avec l’intégration européenne, on dilapida tout le capital culturel accumulé après-guerre, à l’image du tarissement des échanges scolaires franco-allemands. Et les Germains se (re)mirent en marche vers l’est.
Si Berlin reste notre premier partenaire commercial, les Français comprennent de moins en moins l’Allemagne, le génie auquel sa langue donne accès. Ils mythifient la puissance de son industrie et voient peu que cette nation de vieux rentiers, frappée par la dénatalité, s’en sort par la pression sur les salaires et que sa dépendance aux exportations (46% du PIB) la fragilise. L’Allemagne est prise au piège de son modèle. Difficile de penser toujours à soi quand on dépend autant des autres. L’arrêt de Karlsruhe et le plan Macron/Merkel reflètent un même moment : biberonnée depuis la guerre aux vertus de l’austérité budgétaire, l’Allemagne est en train de faire son deuil de l’endettement zéro. Si le plan est bien adopté, Berlin mettra sur la table 135 mds à lui tout seul. Il s'agit d'un pas vers les « Coronabonds » tels que l'Italie, soutenue par la France, les réclame. Des économistes ou des partis comme Les Verts y sont favorables. Angela Merkel, en tête des sondages, prend la présidence de l'UE en juillet. Le chancelier pourrait finir son 4e et dernier mandat sur cette idée généreuse d'une mutualisation des dettes en Europe. Édouard Philippe a sans doute raison quand il voit l'Allemagne « bouger ». En a-t-elle le choix dans l'immédiat ?
Aujourd'hui donc tout devrait se résoudre, mais l'heure de vérité pourrait venir dans 6 mois ou dans 1 an, car les déficits devraient exploser à la suite de la crise du Covid-19 : l'opinion publique allemande voudra-t-elle continuer à garantir les dettes des pays trop « laxistes » ou exigera-t-elle un encadrement « à la grecque » ? En imposant que ce choix soit toujours ouvert et ne dépende que de la décision allemande, l'arrêt de Karlsruhe - telle une bombe à retardement - conditionne l'avenir de l'Europe.