
Qatar, la diplomatie par le sport
Les footballeurs plus forts que les ambassades ? Sans doute. Car à cela s’ajoute la force de sa chaine de télévision beIN Sport, filliale française d'Al-Jazeera Sport. "Si le Qatar n'avait pas investi dans les droits TV, il n'y aurait plus de Ligue 1", a même déclaré l'ancien président de la Ligue de football professionnelle (LFP), Frédéric Thiriez. Avant la Coupe du monde de football en 2022, le pays aura accueilli les Championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d'athlétisme en 2019, en attendant ceux de natation en 2023. En 2013, l’émirat s’était fixé un objectif ambitieux de 50 compétitions internationales en 2030. Soit une par semaine ! L'organisation du Mondial 2022 doit aussi paver la voie en vue de l’obtention des Jeux Olympiques. Une ambition que la nécessaire égalité entre athlètes hommes et femmes rend de facto impossible, pour des questions évidentes d’application de la charia au sein de l’émirat. Pas de quoi décourager le Qatar pour autant.
Pour autant, la diplomatie par le sport a aussi ses limites. D’abord quand le climat, la chaleur, poussent les organismes des sportifs à leurs limites extrêmes. Ensuite quand les sportifs se mesurent devant des tribunes quasi vides, comme ce fut le cas en octobre 2019 lors des Mondiaux d’athlétisme, à Doha. À quoi bon climatiser des stades vides, au mépris de tout souci d'écologie ? Mais le plus grave est encore sans doute à venir, avec les appels au boycott qui se multiplient quant au prochain Mondial de foot 2022. Non pas du fait des conditions douteuses de son obtention, les soupçons de corruption planant sur la décision, mais en raison d’une récente enquête menée par le quotidien The Guardian. Comme l’a récemment résumé Nicolas Kssis-Martov, journaliste sportif pour le mensuel français So Foot, "les footballeurs vont jouer sur des cimetières". Plus de 6500 ouvriers auraient perdu la vie sur les chantiers de l'émirat. En effet, au total, le Qatar a fait construire sept nouveaux stades et lancé des douzaines de projets gigantesques, dont un nouvel aéroport, des routes, des systèmes de transport public, des hôtels, et même une ville nouvelle pour accueillir la finale. Selon les informations de sources gouvernementales indiennes, bangladaises, pakistanaises, sri-lankaises et népalaises compilées par le quotidien britannique, en moyenne, 12 travailleurs venus de ces pays ont perdu la vie chaque semaine, du fait de la chaleur, de chutes ou d'insuffisances cardiaques. Des chiffres sans doute en-deçà de la réalité, le journal n’ayant pas eu accès aux données des Philippines et du Kenya, autres grands pays fournisseurs de main d’œuvre à l’émirat qatari. De quoi inciter des fédérations, telle la Norvège, à se poser la question d’un boycott. Même si jouer la coupe d’une monde reste le rêve d’une vie de footballeur, et que la boycotter reviendrait à subir d’éventuelles sanctions, voire une exclusion des coupes du monde suivante, par l’omnipotente Fifa… Alors, est-ce que les joueurs, si prompts à dénoncer le racisme dans le sport, seront prêts à refuser de jouer dans un cimetière au mépris des droits de l’homme ?