Le projet de loi sur l'immigration, marathon dans un labyrinthe d'impasses
Examiné en séance publique au Sénat depuis le 6 novembre, le projet de loi pour « contrôler l'immigration et améliorer l'intégration » présenté par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a été corrigé dès le 7 novembre. Par un de ces compromis auxquels est rompue la Chambre haute, les sénateurs LR et UDI (centristes) sont parvenus à un accord sur la régularisation des travailleurs clandestins dans les métiers dits « en tension » prévue par l'article 3 du projet. Cet article focalisait précisément... les tensions suscitées par le projet de loi. Alors que l'Union centriste présidée par Hervé Marseille était initialement favorable à cet article 3, Les Républicains le refusaient pour « l'appel d'air » ou « la pompe aspirante » à l'immigration qu'il constituait selon eux.
Ces derniers mois, la publication de chiffres montrant une flambée de l'immigration puis l'assassinat du professeur Dominique Bernard ont rendu difficilement admissible la régularisation automatique de clandestins qu'introduisait l'article 3. Les deux responsables de la majorité sénatoriale, le LR Bruno Retailleau et le centriste Hervé Marseille, sont donc finalement tombés d'accord pour supprimer cette disposition. En conséquence, les parlementaires de la Chambre haute ont voté majoritairement (191 pour et 138 contre) dès le 8 novembre un amendement supprimant cet article 3 du projet de loi. Ils lui ont substitué un autre article, le 4B, qui inscrit dans la loi et durcit les critères de la circulaire Valls (entrée en vigueur en 2012, cette circulaire autorise la demande de titre de séjour aux étrangers en situation irrégulière qui vivent en France depuis au moins cinq ans, qui ont travaillé au moins huit mois dans les deux dernières années et disposent d'un contrat de travail ou d'une promesse d'embauche, laissant aux préfets la responsabilité de vérifier au cas par cas que le requérant présente un « degré d'insertion sociale et familiale » satisfaisant, et le « respect de l'ordre public et des principes de la République ainsi que l'absence de condamnation pénale »). Dans le même esprit restrictif, la majorité sénatoriale a aussi supprimé l' « aide médicale d'État » (AME), réservée aux sans-papiers et chère à la gauche (mais chère tout court : 1,14 milliard d'euros selon la loi de finances initiale pour 2023 ), en la transférant, pour protéger la santé publique, à l' « aide médicale d'urgence » (AMU, qui ne coûte, dans son application actuelle, que 86 millions d'euros).
Les articles 3 et 4 supprimés ou modifiés par les sénateurs, de nouveaux amendements plus restrictifs seront ajoutés pour permettre, sauf accident, l'adoption du projet de loi par le Sénat la semaine prochaine (mardi 14 novembre). Restera alors pour ce texte à réussir son examen de passage devant l'Assemblée nationale au mois de décembre, ce qui sera une tout autre affaire…Si l'amendement de la majorité sénatoriale a été aussitôt jugé « évidemment acceptable » par Gérald Darmanin (cette disposition de régularisation ne figurait pas dans la première mouture de son projet de loi avant qu'il soit raboté par le « en même temps » macronien), la gauche, y compris gouvernementale, ne l'entend pas de cette oreille. Alors que la majorité n'a pas...la majorité (absolue) à l'Assemblée nationale, l'aile gauche de la macronie, composée d'une cinquantaine de députés, menace de ne pas voter pour le projet de loi. « À l'Assemblée, nous rétablirons le texte ambitieux de l'exécutif, tout le texte de l'exécutif », annonce déjà Sacha Houlié, député Renaissance et président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, dans un entretien au Figaro (8 novembre). A droite de l'hémicycle, Olivier Marleix, le président des députés LR, brandit le dépôt d'une motion de censure si la révision sénatoriale du texte n'était pas respectée. Quant à Marine Le Pen, elle avait créé la surprise en déclarant préférer « une petite loi à pas de loi du tout ». Interrogée sur RTL le 8 novembre, elle s'est montrée plus évasive, regrettant qu'on « bidouille une petite loi », faute d'oser le recours au référendum qui permettrait de modifier la Constitution pour imposer le primat de la volonté populaire sur des décisions judiciaires ou des injonctions de cours européennes. Tiens ! Autre surprise, la veille du débat sénatorial sur la loi Darmanin, Emmanuel Macron a pour la première fois évoqué l'éventualité d'un tel référendum sur l'immigration, en précisant qu'une modification de l'article 11 de la Constitution permettrait de l'envisager. S'il ne s'agit pas d'un simple clin d'œil en direction de la droite, le président de la République aurait-il fini par se convaincre de l'inutilité d'une « petite loi », la trentième sur l'immigration en près de 40 ans ?