Le projet de loi sur la fin de vie promeut « l'aide active à mourir »
En septembre 2022, le Comité Consultatif National d'Éthique (CCNE), jusque-là opposé à la légalisation de l'euthanasie, a émis un avis favorable. Ce verrou ayant sauté, une « Convention citoyenne sur la fin de vie » a été lancée sous l'égide du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE). Au terme de séances réunissant quelques 185 citoyens de décembre 2022 à avril 2023, une majorité de participants s'est prononcée en faveur d'une légalisation. Dès la clôture de la Convention, Emmanuel Macron annonçait un projet de loi d'ici la fin de l'année 2023. En décembre de cette même année, des médias dévoilaient un avant-projet de loi pour une « aide à mourir », expression englobant le suicide assisté et l'euthanasie sans jamais, toutefois, employer ces mots. Plus surprenant, on découvrait l'expression « secourisme à l'envers » qualifiant l'acte de donner la mort. Elle résume la philosophie du projet de loi qu'Emmanuel Macron a officiellement annoncé le 10 mars 2024. Le Conseil d'État ayant donné un avis favorable, le Conseil des ministres a validé le projet de loi sur la fin de vie le 10 avril dernier. Examiné par une commission spéciale de 71 députés pouvant proposer des amendements, le projet remanié sera débattu en première lecture à l'Assemblée à partir du 27 mai, avant un vote prévu le 11 juin. Ce sont là les premières étapes d'un long parcours législatif qui pourra s'étaler jusqu'à la fin de 2025.
La commission spéciale de l'Assemblée nationale a auditionné les partisans et adversaires du projet de loi jusqu'au 30 avril (La Croix, 1er mai). Militante de l'euthanasie, Marina Carrère d'Encausse, journaliste et médecin échographiste, se dit « fière de vivre dans un pays où la Convention citoyenne a existé ». Elle dénonce néanmoins certains points du projet de loi, qui ne va pas assez loin pour elle d'après le site Gènéthique (2 mai). Comme Marisol Touraine, ministre de la Santé de 2012 à 2017, elle déplore en particulier l'exclusion dans ce texte de « personnes qui souffrent de pathologies neurodégénératives, comme la maladie de Charcot ou les personnes lourdement handicapées après un AVC ou un accident ». Elle craint également que des « médecins réticents à l'aide à mourir freinent voire bloquent le processus » — ce qui cible leur liberté de conscience.
Au premier rang des opposants, l'association Alliance Vita (25 avril), représentée par son porte-parole Tugdual Derville et son conseiller médical, Olivier Trédan, cancérologue. Ils ont qualifié le « secourisme à l'envers » de « fraternité à l'envers ». Leurs arguments : « l'aide à mourir » est un euphémisme derrière lequel se cachent le suicide assisté et l'euthanasie. Les critères annoncés pour les autoriser sont l'un et l'autre invérifiables et fluctuants, ce qui ouvre une boîte de Pandore. Celle-ci est d'ailleurs évoquée à mots couverts par le président du CCNE, Jean-François Delfraissy, lorsqu'il qualifie le projet actuel de « loi d'étape » pour justifier que les mineurs en soient exclus. Cela augure de nouvelles « avancées » du type belge ou canadien où des majeurs ou des mineurs malades, handicapés ou dépressifs optent pour l'euthanasie.
Que devient la prévention du suicide, un des fléaux de notre société ? La tentation du suicide serait encouragée par cette « solution » de désespoir, objectent encore les intervenants d'Alliance Vita… C'est d'autant plus paradoxal que « la médecine en général et la cancérologie en particulier améliorent l'espérance de vie des patients avec une rapidité jamais observée », relève le cancérologue Olivier Trédan en soulignant l'importance de l'accompagnement précoce des patients. Pour Tugdual Derville, ce projet de loi mine la confiance qui doit présider à « l'alliance thérapeutique » entre les équipes soignantes et les malades. La légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie consacrerait l'abandon des plus fragiles et le renoncement à la solidarité. En effet, a-t-il souligné, « nous ne sommes pas des îles d'auto-détermination. La culture nous influence et cette dévalorisation sous-jacente, ce mépris des faibles (…) risque de les pousser à l'auto-exclusion », chacun pouvant dans un moment de grande fragilité se demander : « Suis-je de trop ? » Du côté des soignants, ce serait la fin de l'interdit de tuer qui les protège de la toute-puissance depuis le serment d'Hippocrate. Le pacte de confiance entre les soignants et le malade serait « abîmé par une réponse immédiate et irréversible à une demande d'en finir ». Voilà pourquoi Tugdual Derville a déclaré, en faisant allusion au « secourisme à l'envers » apparu dans l'avant-projet de loi, que« la fraternité dont se réclament les promoteurs de cette loi est une fraternité à l'envers ». En fixant l'échéance de la vie, elle priverait le malade et ses proches de moments précieux, irremplaçables mais imprévisibles. Et de conclure : « Nous estimons que le devoir de fraternité nous incite à aider à vivre, sans acharnement thérapeutique, ni euthanasie, ni incitation au suicide. » Un avis analogue a été exprimé par des psychologues dans une tribune publiée par Le Nouvel Obs du 25 avril (en lien ci-dessous).