Politique

La fracture territoriale est aussi idéologique

Par Louis Daufresne - Publié le 10/07/2024 - Résultats à Paris du premier tour des élections législatives 2024. Source : ministère de l'Intérieur
L'une des leçons des législatives, c'est que nos métropoles ouvertes sur le monde se ferment toujours plus au reste de la France. Que ce soit à Saint-Germain-des-Prés ou à Saint-Denis, à la Croix-Rousse ou à Vénissieux, le centre et la banlieue ont voté ensemble, à gauche. A l'inverse, le tiers-état, dans ses campagnes, a sorti les fourches du RN mais il est loin de menacer les citadelles intellectuelles.

Repassons le film : les 20 députés LFI élus dès le premier tour l'ont tous été dans des grandes villes, principalement Paris et sa banlieue. Ses deux pasionarias Danielle Obono et Sandrine Rousseau ont cartonné dans le XVIIIe (64 %) et le XIIIe (52 %). Quant au très chic VIIe arrondissement, il a offert la deuxième place au PC (28 %) et cela n'est pas seulement dû aux logements sociaux installés par Anne Hidalgo. Pendant ce temps, à Saint-Amand-les-Eaux, clocher nordiste du « Ploukistan », le RN a noyé le communiste Fabien Roussel dès le premier tour.

Si les cités n'ont plus de remparts, des murailles invisibles les protègent bel et bien. Y aurait-il un « déterminisme spatial » ? Non, lit-on dans Le Monde : Le « vote des champs et [le] vote des villes [est] une question de diplômes plus que de géographie », indique le journal. Les campagnes ne sont point par nature conservatrices, pas plus que les villes seraient par essence progressistes. Le Monde parle ici pour ne rien dire : aucun vote ne provient de l'identité réelle ou supposée d'un territoire. C'est la concentration sociale qui fabrique une géographie, laquelle n'est que de l'histoire humaine cristallisée. En régime démocratique, on peut mesurer cette concentration puisque la loi du nombre permet de se compter et se savoir qui vit où.

Malgré la participation élevée, la fracture territoriale a douché l'idéal républicain. Le secret de l'isoloir postule un vote solitaire, raisonnable, en conscience, et à l'abri des pressions. Or le réflexe grégaire (ou communautaire) a assuré l'hégémonie à un bloc dont le nom était connu d'avance. Ainsi le RN a-t-il gagné les campagnes, quand les grandes villes se sont données au NFP ou à la Macronie. Ce duel s'est noué autour du clivage soulevé par Jordan Bardella lui-même, entre ceux qui voient l'immigration de près comme un « problème » et ceux qui en sont issus ou qui la regardent de loin comme un « projet ». Le bloc central penche idéologiquement pour le « projet » mais, pris en tenaille entre les deux pôles, il s'est efforcé d'en desserrer l'étau en plaidant la modération.

Dans les métropoles, bobos et allogènes se rendent mutuellement service. Via tous les mécanismes de redistribution étatiques, les premiers entretiennent les faubourgs des seconds, lesquels fournissent la main d'œuvre bon marché à la population de l'hypercentre. Pendant ce temps, le tiers-état de souche est chassé au désert de la ruralité, où nul ne s'occupe de lui. La ville-monde s'organise pour le tenir à distance. Une novlangue le dissuade de s'en approcher. Ainsi en est-il des zones à faible émission (ZFE) qui sont en fait des zones à forte exclusion (Socialalter). La vague RN a beau submerger les campagnes, inondant jusqu'à la Bretagne profonde, elle se fracasse sur une frontière bétonnée par un coût de la vie et un marché immobilier plus dissuasifs que la herse d'un pont-levis. Pour vivre en ville, soit les gueux doivent devenir riches, soit ils doivent aller habiter dans des banlieues où ils se sentiront étrangers.

Pourquoi la gauche des métropoles condamne-t-elle le peuple à l'exil intérieur ? Pourquoi s'entiche-t-elle du lointain dont le migrant est la figure archétypique ? Ce choix tient au messianisme et au dogmatisme de l'idéologie issue de la Révolution, sorte de nouvelle Église vouée à l'universalité des droits de l'homme. C'est une particularité française car dans d'autres pays, comme en Scandinavie, la gauche est capable de pragmatisme sur le terrain migratoire.

Le philosophe Gilles Deleuze disait qu' « être de gauche c'est d'abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite c'est l'inverse », ce que le comédien Fabrice Lucchini rend par une image : « Être de droite, c'est ouvrir sa porte et regarder son palier, son petit palier. Être de gauche, c'est ouvrir sa porte et voir le monde. » ... ce qui est certes plus facile dans certains quartiers que dans d'autres.

Dans une société où les media libèrent la parole, que propose la droite qui ne sait que regarder son petit palier ? C'est ainsi que des enfants nés dans les familles de beaux quartiers sont, une fois cornaqués par Sciences Po, enrôlés par les professionnels de l'ingénierie sociétale. Nul ne remet plus en cause le « mariage pour tous » et il en sera de même pour l'euthanasie. Le lexique féministe et LGBT s'est implanté de manière stupéfiante. Ni les LR ni le RN ne livrent la bataille des idées. Les métropoles manifestent dans ce domaine leur plein pouvoir. Faute de concurrent, la gauche y anime les « idéopôles », « ces villes-centres les plus intégrées à la globalisation » (Slate) dont les influences naissent le plus souvent en Amérique, dans le management comme dans les mœurs. Le mépris social des villes engendre une colère dans les urnes, laquelle est aussi forte qu'impuissante. Aucun concept ne l'exprimant, celle-ci se limite au pouvoir... d'achat.

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Législatives 2024 : vote des champs et vote des villes, une question de diplômes plus que de géographie
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1 commentaire
Le 13/07/2024 à 10:33
Quel mépris pour ceux qui ne sont pas de gauche, ce clivage est stupéfiant. Lorsque Les beaux quartiers se melangeront à une immigration qui ne s'intègrent pas, on en reparlera. L'immigration existe depuis toujours en France, et ce ne sont pas ceux qui aiment la France qui posent problème.
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