Politique
Présidentielle 2022 : une France cassée en trois
Ainsi, selon des résultats définitifs, Emmanuel Macron arrive en tête à l'issue du premier tour de la présidentielle (27,85%), devant Marine Le Pen (23,15%) et Jean-Luc Mélenchon (21,95%).
Derrière ce trio, Éric Zemmour obtient moins de 10% (7,07%) ; Valérie Pécresse (4,78%) et Yannick Jadot (4,63%) finissent sous la barre des 5%, cruciale pour le remboursement des frais de campagne.
Chez les petits candidats, Jean Lassalle fait bonne figure (3,13%), les autres étant laminés par le vote utile : Fabien Roussel (2,28%), Nicolas Dupont-Aignan (2,06%), Anne Hidalgo (1,75%), Philippe Poutou (0,77%) et Nathalie Arthaud (0,56%).
L'abstention (26,31%) atteint son plus haut niveau depuis 2002, soit près de 13 millions d'électeurs sur 48,74 millions d'inscrits. Ceux-ci sont un enjeu du match retour du 24 avril : se bougeront-ils et combien ? La bataille de terrain Macron/Le Pen les mobilisera-t-elle ? Leur débat télévisé du 20 avril sera-t-il décisif ?
Jean-Luc Mélenchon est l’arbitre de l’élection. « Vous ne devez pas donner une voix à Marine Le Pen », répéta hier soir le chef des Insoumis, sans appeler à faire barrage à l’extrême-droite ni à voter pour le président sortant.
Ce qui laisse le jeu plus ouvert qu'il n'y paraît, sans être vraiment imprévisible.
En 2017, selon un sondage, 54% des électeurs LFI avaient voté pour Emmanuel Macron, 32% s’étaient abstenus et 14% avaient choisi Marine Le Pen. Un quinquennat plus tard, on peut présumer que le report de voix mélenchoniste sur Emmanuel Macron baissera, que la part de l’abstention augmentera, tout comme le report de voix LFI sur la candidate RN (certains oracles parlent de 30%).
L’électorat de Mélenchon est composé de deux couches : classe moyenne salariée et banlieues. Grâce à la « porosité confusionniste » (concept de l’universitaire Philippe Corcuff), la première couche sera sensible au discours social de Marine Le Pen, même hybridé avec le référent identitaire. Ainsi existe-t-il, selon Corcuff, « des zones d’intersection et d’interactions » entre des familles politiques que tout éloigne a priori. Confusion n'est pas raison mais ces électeurs-là sont plus proches du RN idéologiquement et sociologiquement que d’Emmanuel Macron.
Quant à la seconde couche LFI – les banlieues –, son épaisseur est le principal enseignement de ce scrutin. Pour la première fois, un candidat de gauche recueille massivement les dividendes électoraux de l’immigration, de la « créolisation », l’équivalent mélioratif du grand remplacement. La carte parle d'elle-même. Citons seulement : Jean-Luc Mélenchon fait 85% dans les quartiers nord de Marseille, 61% à Saint-Denis (93), 30,24% en Île-de-France, devant Macron. « Le vote Mélenchon, c’est le vote arabe ou musulman », disent certains. Ce premier tour ancre le pays dans des logiques plus communautaires que républicaines.
Cela résulte aussi d’une évolution des mœurs politiques. Les partis se résument à des écuries pour étalons. L’hyperpersonnalisation y remplace depuis longtemps l’intelligence collective. Les milieux intellectuels ne fécondent plus ce milieu. Sans idées à promouvoir, il faut une sociologie à refléter.
On voit trois blocs se sédimenter : la diversité, les nationaux, les riches. La dynamique est à la diversité : Mélenchon séduit plus d'un tiers des 18 et 24 ans (35-36%), suivi par Macron (21-24%) et Le Pen (18%). À l'inverse, Macron capte les 65 ans et plus (37-39%), loin devant les candidats du RN (18%) et de LFI (11-13%).
Le cas d’Éric Zemmour vérifie la fragmentation sociologique. Si la guerre en Ukraine fit chuter sa courbe, son résultat équivaut finalement aux 8,48% de François-Xavier Bellamy aux européennes de 2019. Comme chez Mélenchon, son camp y croyait à fond, sans voir que Zemmour n’était pas le Trump français et que le vote caché n’existait pas.
Au lieu d’empêcher Le Pen d’arriver au second tour, Zemmour lui servit de marchepied. Sa campagne anti-immigration modéra et centrisa l’image de la candidate RN, lui offrit aussi une réserve de voix dans des milieux plutôt aisés et intello. In fine, Zemmour ne pouvait déstabiliser Le Pen, son discours étant trop patricien et surtout trop libéral. L’identitaire, en France, est plébéien et social.
Son résultat est pour lui un moindre mal : qu’aurait-il subi comme avanies si en prenant beaucoup de voix à la candidate RN, il avait envoyé Mélenchon au second tour ? Quoi qu'il en soit, l’opération destinée à éjecter Le Pen pour recomposer la droite est un échec. Zemmour se rattrape par son offensive réussie sur le terrain des concepts interdits et aujourd’hui davantage banalisés (comme le grand remplacement ou la remigration).
Le second tour est-il incertain ? En 2017, le match Macron/Le Pen finit à 66-33. Sera-t-il cette fois de 58-42, 55-45 ou 52-48 ? Hier, les électeurs de François Fillon choisirent surtout Emmanuel Macron, le représentant de l'ordre, face aux gilets jaunes, au virus, à la guerre. En 2017, le candidat LREM siphonna le PS. Cinq ans plus tard, il liquide LR.
Le « en même temps », cet art de marcher en titubant, est mis à l'épreuve. Emmanuel Macron doit convaincre des Insoumis et garder son électorat riche et vieux. Son discours vu comme antisocial (sur la retraite à 65 ans en particulier) complique sa campagne de séduction.
Derrière ce trio, Éric Zemmour obtient moins de 10% (7,07%) ; Valérie Pécresse (4,78%) et Yannick Jadot (4,63%) finissent sous la barre des 5%, cruciale pour le remboursement des frais de campagne.
Chez les petits candidats, Jean Lassalle fait bonne figure (3,13%), les autres étant laminés par le vote utile : Fabien Roussel (2,28%), Nicolas Dupont-Aignan (2,06%), Anne Hidalgo (1,75%), Philippe Poutou (0,77%) et Nathalie Arthaud (0,56%).
L'abstention (26,31%) atteint son plus haut niveau depuis 2002, soit près de 13 millions d'électeurs sur 48,74 millions d'inscrits. Ceux-ci sont un enjeu du match retour du 24 avril : se bougeront-ils et combien ? La bataille de terrain Macron/Le Pen les mobilisera-t-elle ? Leur débat télévisé du 20 avril sera-t-il décisif ?
Jean-Luc Mélenchon est l’arbitre de l’élection. « Vous ne devez pas donner une voix à Marine Le Pen », répéta hier soir le chef des Insoumis, sans appeler à faire barrage à l’extrême-droite ni à voter pour le président sortant.
Ce qui laisse le jeu plus ouvert qu'il n'y paraît, sans être vraiment imprévisible.
En 2017, selon un sondage, 54% des électeurs LFI avaient voté pour Emmanuel Macron, 32% s’étaient abstenus et 14% avaient choisi Marine Le Pen. Un quinquennat plus tard, on peut présumer que le report de voix mélenchoniste sur Emmanuel Macron baissera, que la part de l’abstention augmentera, tout comme le report de voix LFI sur la candidate RN (certains oracles parlent de 30%).
L’électorat de Mélenchon est composé de deux couches : classe moyenne salariée et banlieues. Grâce à la « porosité confusionniste » (concept de l’universitaire Philippe Corcuff), la première couche sera sensible au discours social de Marine Le Pen, même hybridé avec le référent identitaire. Ainsi existe-t-il, selon Corcuff, « des zones d’intersection et d’interactions » entre des familles politiques que tout éloigne a priori. Confusion n'est pas raison mais ces électeurs-là sont plus proches du RN idéologiquement et sociologiquement que d’Emmanuel Macron.
Quant à la seconde couche LFI – les banlieues –, son épaisseur est le principal enseignement de ce scrutin. Pour la première fois, un candidat de gauche recueille massivement les dividendes électoraux de l’immigration, de la « créolisation », l’équivalent mélioratif du grand remplacement. La carte parle d'elle-même. Citons seulement : Jean-Luc Mélenchon fait 85% dans les quartiers nord de Marseille, 61% à Saint-Denis (93), 30,24% en Île-de-France, devant Macron. « Le vote Mélenchon, c’est le vote arabe ou musulman », disent certains. Ce premier tour ancre le pays dans des logiques plus communautaires que républicaines.
Cela résulte aussi d’une évolution des mœurs politiques. Les partis se résument à des écuries pour étalons. L’hyperpersonnalisation y remplace depuis longtemps l’intelligence collective. Les milieux intellectuels ne fécondent plus ce milieu. Sans idées à promouvoir, il faut une sociologie à refléter.
On voit trois blocs se sédimenter : la diversité, les nationaux, les riches. La dynamique est à la diversité : Mélenchon séduit plus d'un tiers des 18 et 24 ans (35-36%), suivi par Macron (21-24%) et Le Pen (18%). À l'inverse, Macron capte les 65 ans et plus (37-39%), loin devant les candidats du RN (18%) et de LFI (11-13%).
Le cas d’Éric Zemmour vérifie la fragmentation sociologique. Si la guerre en Ukraine fit chuter sa courbe, son résultat équivaut finalement aux 8,48% de François-Xavier Bellamy aux européennes de 2019. Comme chez Mélenchon, son camp y croyait à fond, sans voir que Zemmour n’était pas le Trump français et que le vote caché n’existait pas.
Au lieu d’empêcher Le Pen d’arriver au second tour, Zemmour lui servit de marchepied. Sa campagne anti-immigration modéra et centrisa l’image de la candidate RN, lui offrit aussi une réserve de voix dans des milieux plutôt aisés et intello. In fine, Zemmour ne pouvait déstabiliser Le Pen, son discours étant trop patricien et surtout trop libéral. L’identitaire, en France, est plébéien et social.
Son résultat est pour lui un moindre mal : qu’aurait-il subi comme avanies si en prenant beaucoup de voix à la candidate RN, il avait envoyé Mélenchon au second tour ? Quoi qu'il en soit, l’opération destinée à éjecter Le Pen pour recomposer la droite est un échec. Zemmour se rattrape par son offensive réussie sur le terrain des concepts interdits et aujourd’hui davantage banalisés (comme le grand remplacement ou la remigration).
Le second tour est-il incertain ? En 2017, le match Macron/Le Pen finit à 66-33. Sera-t-il cette fois de 58-42, 55-45 ou 52-48 ? Hier, les électeurs de François Fillon choisirent surtout Emmanuel Macron, le représentant de l'ordre, face aux gilets jaunes, au virus, à la guerre. En 2017, le candidat LREM siphonna le PS. Cinq ans plus tard, il liquide LR.
Le « en même temps », cet art de marcher en titubant, est mis à l'épreuve. Emmanuel Macron doit convaincre des Insoumis et garder son électorat riche et vieux. Son discours vu comme antisocial (sur la retraite à 65 ans en particulier) complique sa campagne de séduction.