Politique
Présidentielle 2022 : le triomphe sans gloire d'Emmanuel Macron
Ce n’est pas une surprise puisque tout s’est passé comme il le prévoyait. Emmanuel Macron avait désiré ce duel avec Marine Le Pen, pour se servir d’elle comme repoussoir et marchepied, la battre et prolonger son bail élyséen. Son calcul a fonctionné, sa victoire est nette et sans bavure.
Certes, il n’a pas fait campagne mais qu’importe puisque les Français ne lui en ont pas tenu rigueur. Tous les pouvoirs étaient avec lui ; il y avait une dissymétrie entre un vote autorisé et valorisé et un vote honteux et stigmatisé. Pointons aussi l’écart entre un orateur brillant, dominateur et séducteur et une rivale sur le retour et la défensive, et « toujours pas au niveau », comme le notait Libération.
Ainsi Emmanuel Macron est-il devenu le premier président de la Ve République réélu pour un second mandat, hors cohabitation (François Mitterrand et Jacques Chirac avaient également bissé). Mieux que cela : avec 58 %, il a fait mentir le dégagisme, cette passion violente et triste qui avait marqué les deux précédents scrutins. Avec 58 %, il n’a aucune raison de changer d’attitude. Pour ce dernier quinquennat, Jupiter pourra se choisir deux costumes : le capitaine Fracasse ou le roi fainéant. Brutaliser ou somnoler.
Libre à lui.
Car l’homme est fort bien élu, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon. Certes, 35% des inscrits ont refusé de choisir entre les deux candidats et on n’a jamais vu une abstention aussi forte (28%) à un second tour de présidentielle, à l’exception de 1969, quand la gauche, à l'appel du communiste Jacques Duclos, refusa de choisir entre Georges Pompidou et Alain Poher (« bonnet blanc et blanc bonnet »). Mais cet argument est de piètre valeur, le mode de scrutin ignorant ceux qui s’en excluent. L’histoire ne retient que des pourcentages.
Au second tour, les musulmans ont massivement voté pour Macron (85%). Les catholiques l’ont aussi majoritairement soutenu (55%), selon une enquête Ifop pour La Croix et Le Pèlerin publiée aujourd’hui.
Le président sortant est plébiscité dans les grandes villes de plus de 100.000 habitants. Outre ses 85,1% à Paris, il s’est massivement imposé à Rennes (84,15%), à Nantes (81,15%), Bordeaux (80%) et Lyon (79,80%). Son succès est plus modéré à Marseille (59,84%).
Malgré tout, une lumière crue flétrit les lauriers jupitériens. Emmanuel Macron a perdu 2 millions de suffrages, quand son adversaire en gagnait 2,5 millions. Jamais autant de voix ne se sont portées sur le nom de Le Pen. En vingt ans, le front du refus n’a cessé de reculer (82 % puis 66 % et 58 %). Le sursaut mobilisateur n’a pas eu lieu et le président sortant n’a pas enrayé la progression du FN/RN. La gauche castor a symboliquement perdu le monopole du « faire barrage ». Pour la première fois, cette injonction du front républicain, si longtemps efficace contre l’extrême-droite, a joué dans les deux sens. Beaucoup de Français ont voté Le Pen pour faire barrage à Macron, en particulier en outre-mer et de manière frappante.
Son succès rime avec sursis. Le camp macroniste a eu le sentiment d’élire le sauveur de la France. Que serait-elle devenue si elle s’était abandonnée à la coalition de « ceux qui ne sont rien », des « sans dents », des assistés, des passéistes, des boulets accrochés aux basques de ceux qui réussissent, créent et se battent pour le monde de demain ?
Un clivage est même désormais bien installé : Emmanuel Macron, c’est la France qui gagne et qui cogne quand ses intérêts et sa survie sont menacés par la France qui rame et qui grogne.
Mais cette image de gagnant n'est pas sans paradoxes. Citons-en quatre :
1. Le grand vieillissement : 70 % des plus de 70 ans ont soutenu Emmanuel Macron. Il a mobilisé les inactifs, rentiers effrayés par les gilets jaunes, le covid ou Poutine. Il est moins le Jupiter d’une ère nouvelle que le Cavaignac d’une bourgeoisie louis-philipparde, soixante-huitarde, conservatrice jusqu’à la moelle.
2. Le grand déracinement : malgré ses 66 % au second tour de 2017, Emmanuel Macron n’a gagné aucune élection en cinq ans, ne s’est ancré nulle part, LREM étant un parti unique, obèse au Parlement et maigrelet hors ses murs, sans squelette ni âme. Le chef de l’État n’est jamais descendu de son trône, sauf pour sermonner les maires, ces agités du local.
3. Le grand rétrécissement : Emmanuel Macron n’a pas renouvelé la vie politique. Il l’a plutôt asséchée et caporalisée. En se plaçant au centre pour repousser l’opposition vers les extrêmes, il a rendu illusoire le recours à la cohabitation. Celle-ci reposait sur l’alternance entre partis de gouvernement, de droite et de gauche. Le défi des législatives sera d’héberger les oppositions afin qu’elles ne se déversent pas dans la rue.
4. Le grand enfermement. Sans épiloguer sur la crise covid – dont il n’a pas eu à répondre – Emmanuel Macron s’est adonné à un libéral-étatisme à caractère autoritaire dont les conseils de défense, dans les sous-sols de l’Élysée, ont fait de la vie démocratique une réalité close et verrouillée sur des principes policiers. Soyons taquins : c'est peut-être pour cette raison que Vladimir Poutine a félicité le président sortant pour sa réélection.
Certes, il n’a pas fait campagne mais qu’importe puisque les Français ne lui en ont pas tenu rigueur. Tous les pouvoirs étaient avec lui ; il y avait une dissymétrie entre un vote autorisé et valorisé et un vote honteux et stigmatisé. Pointons aussi l’écart entre un orateur brillant, dominateur et séducteur et une rivale sur le retour et la défensive, et « toujours pas au niveau », comme le notait Libération.
Ainsi Emmanuel Macron est-il devenu le premier président de la Ve République réélu pour un second mandat, hors cohabitation (François Mitterrand et Jacques Chirac avaient également bissé). Mieux que cela : avec 58 %, il a fait mentir le dégagisme, cette passion violente et triste qui avait marqué les deux précédents scrutins. Avec 58 %, il n’a aucune raison de changer d’attitude. Pour ce dernier quinquennat, Jupiter pourra se choisir deux costumes : le capitaine Fracasse ou le roi fainéant. Brutaliser ou somnoler.
Libre à lui.
Car l’homme est fort bien élu, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon. Certes, 35% des inscrits ont refusé de choisir entre les deux candidats et on n’a jamais vu une abstention aussi forte (28%) à un second tour de présidentielle, à l’exception de 1969, quand la gauche, à l'appel du communiste Jacques Duclos, refusa de choisir entre Georges Pompidou et Alain Poher (« bonnet blanc et blanc bonnet »). Mais cet argument est de piètre valeur, le mode de scrutin ignorant ceux qui s’en excluent. L’histoire ne retient que des pourcentages.
Au second tour, les musulmans ont massivement voté pour Macron (85%). Les catholiques l’ont aussi majoritairement soutenu (55%), selon une enquête Ifop pour La Croix et Le Pèlerin publiée aujourd’hui.
Le président sortant est plébiscité dans les grandes villes de plus de 100.000 habitants. Outre ses 85,1% à Paris, il s’est massivement imposé à Rennes (84,15%), à Nantes (81,15%), Bordeaux (80%) et Lyon (79,80%). Son succès est plus modéré à Marseille (59,84%).
Malgré tout, une lumière crue flétrit les lauriers jupitériens. Emmanuel Macron a perdu 2 millions de suffrages, quand son adversaire en gagnait 2,5 millions. Jamais autant de voix ne se sont portées sur le nom de Le Pen. En vingt ans, le front du refus n’a cessé de reculer (82 % puis 66 % et 58 %). Le sursaut mobilisateur n’a pas eu lieu et le président sortant n’a pas enrayé la progression du FN/RN. La gauche castor a symboliquement perdu le monopole du « faire barrage ». Pour la première fois, cette injonction du front républicain, si longtemps efficace contre l’extrême-droite, a joué dans les deux sens. Beaucoup de Français ont voté Le Pen pour faire barrage à Macron, en particulier en outre-mer et de manière frappante.
Son succès rime avec sursis. Le camp macroniste a eu le sentiment d’élire le sauveur de la France. Que serait-elle devenue si elle s’était abandonnée à la coalition de « ceux qui ne sont rien », des « sans dents », des assistés, des passéistes, des boulets accrochés aux basques de ceux qui réussissent, créent et se battent pour le monde de demain ?
Un clivage est même désormais bien installé : Emmanuel Macron, c’est la France qui gagne et qui cogne quand ses intérêts et sa survie sont menacés par la France qui rame et qui grogne.
Mais cette image de gagnant n'est pas sans paradoxes. Citons-en quatre :
1. Le grand vieillissement : 70 % des plus de 70 ans ont soutenu Emmanuel Macron. Il a mobilisé les inactifs, rentiers effrayés par les gilets jaunes, le covid ou Poutine. Il est moins le Jupiter d’une ère nouvelle que le Cavaignac d’une bourgeoisie louis-philipparde, soixante-huitarde, conservatrice jusqu’à la moelle.
2. Le grand déracinement : malgré ses 66 % au second tour de 2017, Emmanuel Macron n’a gagné aucune élection en cinq ans, ne s’est ancré nulle part, LREM étant un parti unique, obèse au Parlement et maigrelet hors ses murs, sans squelette ni âme. Le chef de l’État n’est jamais descendu de son trône, sauf pour sermonner les maires, ces agités du local.
3. Le grand rétrécissement : Emmanuel Macron n’a pas renouvelé la vie politique. Il l’a plutôt asséchée et caporalisée. En se plaçant au centre pour repousser l’opposition vers les extrêmes, il a rendu illusoire le recours à la cohabitation. Celle-ci reposait sur l’alternance entre partis de gouvernement, de droite et de gauche. Le défi des législatives sera d’héberger les oppositions afin qu’elles ne se déversent pas dans la rue.
4. Le grand enfermement. Sans épiloguer sur la crise covid – dont il n’a pas eu à répondre – Emmanuel Macron s’est adonné à un libéral-étatisme à caractère autoritaire dont les conseils de défense, dans les sous-sols de l’Élysée, ont fait de la vie démocratique une réalité close et verrouillée sur des principes policiers. Soyons taquins : c'est peut-être pour cette raison que Vladimir Poutine a félicité le président sortant pour sa réélection.