International
Pourquoi la Chine veut devenir un gigantesque garde-manger
À la fin de l’année, la Chine aura accumulé dans ses greniers 53% de la production mondiale de blé. Quant au maïs, ses réserves devraient atteindre 65%. Ces chiffres paraissent disproportionnés par rapport au poids démographique du pays (20% de la population mondiale) mais ils sont loin de satisfaire Pékin. En juin dernier, des mesures d’urgence drastiques ont été prises pour augmenter les réserves de grains et faire baisser les prix. Un plan massif d’investissement est aussi lancé pour subventionner l’agriculture et la logistique nécessaire à son expansion. Une « loi pour la sécurité alimentaire » va être publiée prochainement, signe de la très forte pression mise sur les pouvoirs locaux pour atteindre des objectifs de production et de réserves.
La conjoncture actuelle permet de comprendre une telle obsession. L’ONU a prévenu que le monde allait vivre ces deux prochaines années la pire crise alimentaire depuis 1945. Les politiques de confinement ont eu des effets désastreux, aggravés par la guerre en Ukraine. 323 millions de personnes pourraient souffrir de la faim et 49 autres millions en mourir… Si l’on ajoute que la Chine prévoit la plus faible récolte de blé jamais enregistrée sur son territoire cette année à cause des inondations combinées à des périodes de sécheresse, alors on peut comprendre l’urgence imposée par Pékin. Mais cette politique ne date pas d’hier et ses motivations ne se limitent pas à affronter des circonstances difficiles, selon le sinologue N.S. Lyons (voir son article en lien).
Dès mars 2021, le 14ème plan quinquennal qualifiait l’autosuffisance alimentaire de priorité stratégique, et imposait un objectif de 650 millions de tonnes de grains en production annuelle. Le plancher de 120 millions d’hectares de terres arables établi en 2007 a été renforcé. Alors qu’en Europe, la police néerlandaise réprimait durement les agriculteurs hollandais qui manifestaient contre les restrictions écologiques imposées par le gouvernement, les bulldozers chinois effaçaient des chantiers entiers de résidences et de villes nouvelles pour faire de la place aux champs. Un rapport des services secrets chinois, datant d’avril dernier et révélé par la presse japonaise, explique cette « grande marche en avant » agricole par le risque de crise alimentaire aigüe en Chine si les pays occidentaux imposaient un blocus pour répondre à une offensive sur Taïwan. C’est en effet le talon d’Achille de l’immense Chine qui ne détient que 7% des terres arables mondiales. Et la surface cultivable est tombée brutalement de 19% en 2010 à 13% en 2020 à cause de l’urbanisation galopante. La Chine produit certes 95% de ses besoins en blé et riz. Mais les 5% manquants font du pays le premier importateur mondial de maïs, par exemple. Le soja est aussi un défi majeur car c’est une protéine clé pour les immenses élevages de porcs. La Chine importe 62% de la production mondiale de soja (100 millions de tonnes par an) dont 30% depuis les États-Unis… Ces denrées viennent principalement par des lignes maritimes à la merci de puissances hostiles. Et la frénésie d’achats de terres cultivables à travers le monde ne résout pas ce problème.
La prise de conscience du risque alimentaire a des racines plus profondes. La guerre commerciale déclenchée en 2018 par les Américains a fait comprendre aux dirigeants chinois que l’âge d’or de la globalisation était terminé. L’ordre mondial dominé par Washington depuis la fin de la guerre froide se désintègre avec, pour corollaire, le raccourcissement des approvisionnements et la formation d’alliances régionales. En 2017, à Davos, Xi Jinping avait d’ailleurs présenté son pays comme le nouveau champion mondial de la globalisation face à une Amérique plus isolationniste. L’affirmation était loin d’être absurde car nul autre pays n’a autant profité des échanges libéralisés à l’échelle globale en permettant une industrialisation ultra rapide et en tirant des centaines de millions de Chinois de la pauvreté. Mais depuis 2020, Xi Jinping a dû se rendre à l’évidence : cet âge béni est terminé et une nouvelle ère instable autour d’une rivalité de plus en plus féroce avec Washington lui succède. D’où la nécessité absolue de parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Et une même stratégie sera suivie en ce qui concerne l’énergie.
Force est de constater que les dirigeants chinois ont identifié des enjeux stratégiques bien avant leurs homologues européens qui ressemblent quelque peu aux « ravis » de la crèche mondiale. L’exemple néerlandais est parlant… La « fin de l’abondance » d’Emmanuel Macron est une expression malheureuse venant d’une élite qui apparaît déconnectée de la réalité. Elle reconnaît néanmoins à demi-mot ce que Xi Jinping a bien identifié : la fin de la globalisation libérale comme axe directeur de la marche du monde. Le nouveau Timonier a d’ailleurs exhorté les cadres du Parti communiste chinois, en mars, de ne pas oublier les souffrances que leurs proches aînés ont endurées à cause de la faim…
La conjoncture actuelle permet de comprendre une telle obsession. L’ONU a prévenu que le monde allait vivre ces deux prochaines années la pire crise alimentaire depuis 1945. Les politiques de confinement ont eu des effets désastreux, aggravés par la guerre en Ukraine. 323 millions de personnes pourraient souffrir de la faim et 49 autres millions en mourir… Si l’on ajoute que la Chine prévoit la plus faible récolte de blé jamais enregistrée sur son territoire cette année à cause des inondations combinées à des périodes de sécheresse, alors on peut comprendre l’urgence imposée par Pékin. Mais cette politique ne date pas d’hier et ses motivations ne se limitent pas à affronter des circonstances difficiles, selon le sinologue N.S. Lyons (voir son article en lien).
Dès mars 2021, le 14ème plan quinquennal qualifiait l’autosuffisance alimentaire de priorité stratégique, et imposait un objectif de 650 millions de tonnes de grains en production annuelle. Le plancher de 120 millions d’hectares de terres arables établi en 2007 a été renforcé. Alors qu’en Europe, la police néerlandaise réprimait durement les agriculteurs hollandais qui manifestaient contre les restrictions écologiques imposées par le gouvernement, les bulldozers chinois effaçaient des chantiers entiers de résidences et de villes nouvelles pour faire de la place aux champs. Un rapport des services secrets chinois, datant d’avril dernier et révélé par la presse japonaise, explique cette « grande marche en avant » agricole par le risque de crise alimentaire aigüe en Chine si les pays occidentaux imposaient un blocus pour répondre à une offensive sur Taïwan. C’est en effet le talon d’Achille de l’immense Chine qui ne détient que 7% des terres arables mondiales. Et la surface cultivable est tombée brutalement de 19% en 2010 à 13% en 2020 à cause de l’urbanisation galopante. La Chine produit certes 95% de ses besoins en blé et riz. Mais les 5% manquants font du pays le premier importateur mondial de maïs, par exemple. Le soja est aussi un défi majeur car c’est une protéine clé pour les immenses élevages de porcs. La Chine importe 62% de la production mondiale de soja (100 millions de tonnes par an) dont 30% depuis les États-Unis… Ces denrées viennent principalement par des lignes maritimes à la merci de puissances hostiles. Et la frénésie d’achats de terres cultivables à travers le monde ne résout pas ce problème.
La prise de conscience du risque alimentaire a des racines plus profondes. La guerre commerciale déclenchée en 2018 par les Américains a fait comprendre aux dirigeants chinois que l’âge d’or de la globalisation était terminé. L’ordre mondial dominé par Washington depuis la fin de la guerre froide se désintègre avec, pour corollaire, le raccourcissement des approvisionnements et la formation d’alliances régionales. En 2017, à Davos, Xi Jinping avait d’ailleurs présenté son pays comme le nouveau champion mondial de la globalisation face à une Amérique plus isolationniste. L’affirmation était loin d’être absurde car nul autre pays n’a autant profité des échanges libéralisés à l’échelle globale en permettant une industrialisation ultra rapide et en tirant des centaines de millions de Chinois de la pauvreté. Mais depuis 2020, Xi Jinping a dû se rendre à l’évidence : cet âge béni est terminé et une nouvelle ère instable autour d’une rivalité de plus en plus féroce avec Washington lui succède. D’où la nécessité absolue de parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Et une même stratégie sera suivie en ce qui concerne l’énergie.
Force est de constater que les dirigeants chinois ont identifié des enjeux stratégiques bien avant leurs homologues européens qui ressemblent quelque peu aux « ravis » de la crèche mondiale. L’exemple néerlandais est parlant… La « fin de l’abondance » d’Emmanuel Macron est une expression malheureuse venant d’une élite qui apparaît déconnectée de la réalité. Elle reconnaît néanmoins à demi-mot ce que Xi Jinping a bien identifié : la fin de la globalisation libérale comme axe directeur de la marche du monde. Le nouveau Timonier a d’ailleurs exhorté les cadres du Parti communiste chinois, en mars, de ne pas oublier les souffrances que leurs proches aînés ont endurées à cause de la faim…