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Le Portugal, 50 ans après la « Révolution des œillets »

Par Peter Bannister. Synthèse n°2194, Publiée le 14/05/2024 - Photo : Avenida da Liberdade, Lisbonne, le 25 avril 2024. (Guillaume Penaud / Hans Lucas via AFP)
Le Portugal vient de fêter les 50 ans de la révolution pacifique qui lui a permis de sortir de la dictature salazariste. Retour sur un demi-siècle de transition pour l'ancien empire mondial devenu modeste nation européenne.

Le 25 avril, le Portugal a fêté le 50e anniversaire de la « Révolution des œillets » qui a mis fin à la dictature de Antonio de Oliveira Salazar et de son successeur Marcelo Caetano. L'événement mythique est déclenché en 1974 par un signal émis à la radio juste après minuit : celui de la chanson censurée Grândola. Les jeunes militaires du Mouvement des forces armées saisissent les bâtiments clés de Lisbonne, des foules descendent dans les rues et offrent des fleurs aux soldats ; en moins de 24 heures, le régime capitule, les seules victimes de la révolution étant quatre manifestants tués par les forces de sécurité. 50 ans plus tard, le pays a connu une transformation radicale malgré des difficultés importantes, surmontant notamment une grande crise budgétaire en 2010-2013 et l'imposition d'un plan massif de sauvetage par le FMI.

La survie du salazarisme pendant 48 ans après le coup militaire de 1926 peut paraître un anachronisme historique dans le contexte de l'Europe occidentale. Si l'Estado Novo (« État nouveau »), proche idéologiquement de l'Italie de Mussolini, a persisté après 1945, c'est en grande partie grâce à l'équilibrisme de la politique étrangère de Salazar. Malgré sa sympathie pour l'Axe (il décréta le deuil national suite au suicide d'Hitler), le Portugal resta neutre pendant la Deuxième Guerre Mondiale, tout en armant les deux côtés. En 1943, Salazar décida finalement de permettre aux Alliés d'utiliser les Îles Açores à des fins militaires, une décision qui contribua à l'acceptation du Portugal en tant que membre fondateur de l'OTAN en 1949. Cette entrée assit la légitimité internationale de la dictature portugaise. Jusqu'à son remplacement en 1968 suite à un AVC, Salazar resta au pouvoir dans un Portugal que certains qualifiaient de « pays des trois F » : fado, football et Fátima — en clair, la culture populaire, le sport et la religion qui étaient instrumentalisés par le régime pour assurer la cohérence et la paix sociale. En parallèle, le dictateur et son gouvernement insistaient sur le maintien de l'empire portugais, censé garantir le prestige international du pays. La décision s'avéra fatale pour le salazarisme. Dans les années 1960, le Portugal se ruina dans des campagnes brutales et sans issue pour garder ses colonies africaines (l'Angola, le Mozambique et surtout la Guinée-Bissau, qualifiée de « Vietnam portugais »). La révolte des jeunes militaires en 1974 était principalement motivée par le désir d'arrêter ces guerres auxquelles la jeunesse portugaise était forcée de prendre part via un service militaire de 4 ans, dont 2 en colonies.

Les bienfaits de la transition vers la démocratie et l'Europe plutôt que vers le « pluricontinentalisme » sont évidents. Ils ont permis avant tout le développement économique du Portugal. Entré dans l'UE en 1986, le pays connaît jusqu'en 2000 des taux de croissance du PIB qui dépassent la moyenne européenne. Durement touché par la crise de la dette de la zone euro, il se trouve cependant au bord de la faillite en 2011 et doit appliquer un programme d'austérité en échange de 78 milliards d'euros d'aide versés par l'UE et le FMI. Contre toute attente, les années suivantes ont été celles d'un « miracle économique » auquel ont notamment contribué un boom touristique et d'importants investissements étrangers. Le système de « visas dorés » mis en place en 2012, a offert un titre de séjour pour des non-européens contre l'achat d'une maison coûtant plus de 500 000 € ou l'investissement d'un million d'euros dans l'économie du pays. Ces visas, interrompus en 2023, ont provoqué une flambée du prix des logements. Ils ont néanmoins rapporté 6,8 milliards d'euros sur 10 ans.

Toutefois, si le Portugal est vu par beaucoup d'économistes comme le « bon élève » de l'UE, dégageant un excédent budgétaire de 1,2 % du PIB en 2023, ses ressortissants ne sont pas tous satisfaits. Après la chute du gouvernement socialiste d'Antonio Costa pour corruption, le parti anti-système de droite populiste Chega (« Assez ! »), mené par l'ex-commentateur sportif André Ventura, a créé la surprise. Lors des élections de mars 2024, il a obtenu un score de 18 %, devenant une véritable troisième force au Parlement portugais. Employant parfois une rhétorique sciemment salazariste, tout en critiquant le dictateur pour son manque de « modernité », Ventura ne s'identifie pas avec la Révolution des œillets, ni avec la décolonisation célébrée le 25 avril à Lisbonne par les présidents des ex-colonies portugaises. Quand le président actuel Marcelo Rebelo de Sousa a suggéré que le Portugal devrait payer des réparations pour sa participation à la traite transatlantique des esclaves, Ventura a dit que le Parlement devrait condamner de Sousa pour « trahison du pays ». L'avenir dira si l'essor inattendu de Chega n'était que le reflet d'une protestation éphémère contre la corruption des élites et les problèmes sociaux — tels que la crise du logement. Peut-être s'agit-il d'une réaction plus profonde au niveau identitaire, résultant de la nostalgie de certains pour l'idée d'un« grand Portugal », disparu lorsque l'empire global s'est fondu en un modeste pays européen parmi tant d'autres.

La sélection
Des œillets pour la révolution
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