Le piège mortel des armes à sous-munitions
Les bombes (ou armes) à sous-munitions sont des bombes lancées par voie terrestre ou aérienne qui, une fois en l'air dispersent des centaines de « sous-munitions » des munitions à peine plus grosses qu'une bille qui explosent lorsqu'elles touchent le sol. Ce format leur permet de toucher une zone très vaste, qui peut aller jusqu'à plus de 30 000 m², ce qui en fait des armes extrêmement efficaces sur le champ de bataille. L'inconvénient en revanche, c'est qu'elles sont assez peu précises et touchent donc indistinctement installations militaires et civiles. Le deuxième gros inconvénient, c'est qu'une partie non négligeable des sous-munitions n'explose pas au sol (le chiffre varie selon les pays mais les experts estiment la moyenne à 20 % des sous munitions). Elles peuvent rester dans le sol et exploser plusieurs années plus tard lorsqu'une personne non informée tente de les manier. Les enfants sont particulièrement touchés, attirés par leur format semblable à celui d'une bille, et leur aspect brillant. Des centaines de ces armes ont été lâchées sur le Laos par les États-Unis durant les années 1960, dans le contexte de la guerre du Vietnam. Aujourd'hui encore, chaque année, des innocents sont tués ou mutilés par la faute des résidus. On estime à 25 000 le nombre de personnes tuées ou blessées à cause des résidus. Plusieurs personnes estiment même qu'il faudra attendre la fin du siècle pour que les zones concernées soient totalement déminées. En 2022, 1 172 personnes ont été tuées ou blessées à cause de ces armes dans le monde, dont 95 % de civils, selon Human Rights Watch.
En juillet dernier, le gouvernement américain a annoncé qu'il allait livrer des sous-munitions à l'Ukraine. Le président cambodgien, dont le pays a également été durement touché par les bombardements américains des années 1960, a mis en garde contre ces armements. Il a appelé les Etats-Unis à ne pas les fournir à l'Ukraine et les Ukrainiens à ne pas les utiliser, au regard de l'expérience de son pays. Plus de 120 pays ont adhéré à la convention d'Oslo, signée en 2008, qui interdit l'utilisation, la production, le transfert et le stockage d'armes à sous-munitions. La France, l'Angleterre ou l'Allemagne sont signataires quand plusieurs grands pays d'envergure mondiale ne l'ont pas signée : la Chine, la Russie, les États-Unis, mais aussi le Brésil, l'Inde… En livrant des bombes à sous-munitions à l'Ukraine, les Etats-Unis prennent le risque de se mettre en porte-à-faux avec leurs alliés occidentaux qui ont interdit ce genre d'armes. Ainsi, l'Espagne, la Grande Bretagne, le Canada entre autres condamnent ou découragent l'utilisation de telles armes. Ce conflit autour de leur utilisation reflète bien ce double aspect des armes à sous-munitions : un grand intérêt tactique allié avec des dommages collatéraux considérables.
Quelques mois plus tard, on peut commencer à évaluer l'impact de ces armes dans le conflit ukrainien. Les premiers retours du front font état d'un succès certain. John Kirby, porte-parole du département de la Défense des États-Unis, rapportait dès le 21 juillet dernier « Nous avons eu des retours ukrainiens et ils semblent utiliser efficacement ces bombes ». Anatoliy Kharchenko, capitaine de l'armée ukrainienne estimait quant à lui que « les bombes à sous-munitions sont utiles et efficaces ». L'exemple de Robotyne, où les bombes à sous-munitions ont permis la libération d'un peloton bloqué de l'armée ukrainienne, est emblématique de ce succès.
Pour apaiser les réserves occidentales, les États-Unis ont affirmé que leurs bombes avaient un taux de raté de 2,35 %, chiffre invérifiable car la méthode de calcul est classifiée. De leur côté les Ukrainiens ont annoncé ne viser que les espaces où des militaires étaient concentrés et éviter les zones urbaines. Ils ont également annoncé tenir une liste précise des lieux visés, pour pouvoir les déminer à la fin de la guerre. Cependant alors que Kiev est en difficulté dans sa contre-offensive, ces armes pourraient participer d'un rééquilibrage, ce qui pourrait pousser l'Ukraine à les utiliser massivement.
De son côté la Russie nie utiliser ce type d'armes mais plusieurs sources font état de dégâts causés par des armes qui y ressemblent fortement. L'observatoire des armes à sous-munitions fait état de centaines d'attaque d'armes à sous-munitions par les forces russes.