International
Petites réflexions sur la chute du Mur (III)
Comment le Mur est-il tombé ? 30 ans plus tard, on spécule toujours sur les causes de sa dislocation que nul n’avait prédite et qui, en l’espace de quelques heures, fit dire aux journalistes de l’AFP que la frontière la plus gardée du monde (avec la DMZ coréenne) « ne divise plus rien ».
N’en déplaise aux marxistes, cet événement montre que le sens de l’Histoire n’existe pas. Car ce grand chambardement sans violence résulte de la méprise d'un apparatchik pris au dépourvu par l’exercice médiatique. De quoi rassurer tous les professionnels de la communication sur l’utilité de leur métier !
L’homme s’appelle Günter Schabowski, membre du politburo chargé de l'information. Depuis plusieurs mois, rien ne va plus dans le paradis socialiste. La RDA est secouée par des manifestations sans précédent. En mai 1989, la Hongrie décide d'ouvrir sa frontière avec l'Autriche, ce qui sera la première brèche dans le rideau de fer. Le 19 août, plus de 600 Allemands de l'Est, en vacances en Hongrie, participent au fameux pique-nique paneuropéen de Sopron. Ils profitent de l'ouverture du poste-frontière avec l'Autriche pour fuir à l'Ouest, premier exode massif de ce genre depuis 1961.
Les régimes communistes d'Europe de l'Est se fissurent et l'URSS refuse d’intervenir pour « normaliser » la situation comme à Prague (1968) ou Budapest (1956) ou Berlin-Est (1953). Pis que cela, à Moscou, Gorbatchev ne parle que de « perestroïka » et de « glasnost ». Venu à Berlin-Est en octobre pour « fêter » le 40° anniversaire de la RDA, le dirigeant soviétique lance cette mise en garde prophétique à Erich Honecker, l'homme fort du régime : « La vie punit ceux qui sont en retard ».
Et le soir du 9 novembre, cette prophétie va se vérifier : afin de faire baisser la pression, le parti communiste va soulever le couvercle. Grave erreur. Mais lâché par Moscou, a-t-il une autre solution, mise à part la répression tous azimuts ? Apparemment, la nomenklatura est-allemande ne s'aperçoit toujours pas que son sort ne dépend que du "grand frère" soviétique. Afin d'apaiser les choses, Günter Schabowski se voit donc confier une mission périlleuse : annoncer en direct à la télévision les mesures d'assouplissement relatives aux visa décidées le jour même en petit comité. Il s'agit de libéraliser les voyages à compter du lendemain matin. L'idée est d'autoriser des sorties avec visa obligatoire tout en maintenant les installations frontalières. Mais Schabowski, mal préparé, se fait piéger par le correspondant de l’agence italienne Ansa, Riccardo Ehrman. Le journaliste pose la question du siècle (l’incroyable échange est raconté ci-joint dans les pages du Nouvel Obs). Les images montrent l'apparatchik se gratter la tête, chausser ses lunettes, farfouiller dans ses notes manuscrites. Visiblement, il cherche à comprendre ce qu'il est en train de lire puis répond de manière fébrile : « Pour autant que je sache, cela entre en vigueur immédiatement, sans délai… ». Il est environ 19 heures ce 9 novembre 1989. Ce dernier mot (unverzüglich) résonne comme le premier coup de marteau sur le Mur en béton.
Ce qui est inouï, c’est que parmi ses confrères de la presse internationale, Ehrman est le seul à décrypter illico que Schabowski vient de faire tomber le Mur à lui tout seul. Un seul homme vient d’abattre le système policier le plus verrouillé d’Europe. Et il va jouer sa carrière là-dessus car si la dépêche était partie et que le Mur n’était pas tombé, Ehrman serait allé dormir jusqu’à sa mort sous le pont Saint-Ange. Par la suite, on s’interrogera, comme le fait l’AFP, sur cette « bourde » de l’apparatchik : « Erreur de jugement sous la pression ou geste calculé ? Jusqu'à son décès en 2015 à 86 ans, [il] n'a jamais clairement répondu à la question. » En 2009, Schabowski déclare simplement au Tageszeitung : « Nous en sommes venus à la conclusion que si nous voulions sauver la RDA il nous fallait laisser partir les gens qui voulaient fuir. »
Au Bundestag, encore installé à Bonn, les élus, saisissant l'ampleur du séisme, entonnent l'hymne national. On voit pleurer l'ancien chancelier Willy Brandt, père de l'Ostpolitik, la politique d’ouverture à l'Est.
À 22h40, Hanns Joachim Friedrichs, présentateur vedette du journal du soir de la télévision publique ouest-allemande, annonce en titre : « Berlin-Est ouvre le Mur ». Le maire de Berlin-Ouest Walter Momper parle d'une journée « historique ». Souvent, les journalistes abusent de ce mot. Ici, l'épithète se justifie pleinement.
N’en déplaise aux marxistes, cet événement montre que le sens de l’Histoire n’existe pas. Car ce grand chambardement sans violence résulte de la méprise d'un apparatchik pris au dépourvu par l’exercice médiatique. De quoi rassurer tous les professionnels de la communication sur l’utilité de leur métier !
L’homme s’appelle Günter Schabowski, membre du politburo chargé de l'information. Depuis plusieurs mois, rien ne va plus dans le paradis socialiste. La RDA est secouée par des manifestations sans précédent. En mai 1989, la Hongrie décide d'ouvrir sa frontière avec l'Autriche, ce qui sera la première brèche dans le rideau de fer. Le 19 août, plus de 600 Allemands de l'Est, en vacances en Hongrie, participent au fameux pique-nique paneuropéen de Sopron. Ils profitent de l'ouverture du poste-frontière avec l'Autriche pour fuir à l'Ouest, premier exode massif de ce genre depuis 1961.
Les régimes communistes d'Europe de l'Est se fissurent et l'URSS refuse d’intervenir pour « normaliser » la situation comme à Prague (1968) ou Budapest (1956) ou Berlin-Est (1953). Pis que cela, à Moscou, Gorbatchev ne parle que de « perestroïka » et de « glasnost ». Venu à Berlin-Est en octobre pour « fêter » le 40° anniversaire de la RDA, le dirigeant soviétique lance cette mise en garde prophétique à Erich Honecker, l'homme fort du régime : « La vie punit ceux qui sont en retard ».
Et le soir du 9 novembre, cette prophétie va se vérifier : afin de faire baisser la pression, le parti communiste va soulever le couvercle. Grave erreur. Mais lâché par Moscou, a-t-il une autre solution, mise à part la répression tous azimuts ? Apparemment, la nomenklatura est-allemande ne s'aperçoit toujours pas que son sort ne dépend que du "grand frère" soviétique. Afin d'apaiser les choses, Günter Schabowski se voit donc confier une mission périlleuse : annoncer en direct à la télévision les mesures d'assouplissement relatives aux visa décidées le jour même en petit comité. Il s'agit de libéraliser les voyages à compter du lendemain matin. L'idée est d'autoriser des sorties avec visa obligatoire tout en maintenant les installations frontalières. Mais Schabowski, mal préparé, se fait piéger par le correspondant de l’agence italienne Ansa, Riccardo Ehrman. Le journaliste pose la question du siècle (l’incroyable échange est raconté ci-joint dans les pages du Nouvel Obs). Les images montrent l'apparatchik se gratter la tête, chausser ses lunettes, farfouiller dans ses notes manuscrites. Visiblement, il cherche à comprendre ce qu'il est en train de lire puis répond de manière fébrile : « Pour autant que je sache, cela entre en vigueur immédiatement, sans délai… ». Il est environ 19 heures ce 9 novembre 1989. Ce dernier mot (unverzüglich) résonne comme le premier coup de marteau sur le Mur en béton.
Ce qui est inouï, c’est que parmi ses confrères de la presse internationale, Ehrman est le seul à décrypter illico que Schabowski vient de faire tomber le Mur à lui tout seul. Un seul homme vient d’abattre le système policier le plus verrouillé d’Europe. Et il va jouer sa carrière là-dessus car si la dépêche était partie et que le Mur n’était pas tombé, Ehrman serait allé dormir jusqu’à sa mort sous le pont Saint-Ange. Par la suite, on s’interrogera, comme le fait l’AFP, sur cette « bourde » de l’apparatchik : « Erreur de jugement sous la pression ou geste calculé ? Jusqu'à son décès en 2015 à 86 ans, [il] n'a jamais clairement répondu à la question. » En 2009, Schabowski déclare simplement au Tageszeitung : « Nous en sommes venus à la conclusion que si nous voulions sauver la RDA il nous fallait laisser partir les gens qui voulaient fuir. »
Au Bundestag, encore installé à Bonn, les élus, saisissant l'ampleur du séisme, entonnent l'hymne national. On voit pleurer l'ancien chancelier Willy Brandt, père de l'Ostpolitik, la politique d’ouverture à l'Est.
À 22h40, Hanns Joachim Friedrichs, présentateur vedette du journal du soir de la télévision publique ouest-allemande, annonce en titre : « Berlin-Est ouvre le Mur ». Le maire de Berlin-Ouest Walter Momper parle d'une journée « historique ». Souvent, les journalistes abusent de ce mot. Ici, l'épithète se justifie pleinement.