Peine de vie
Société

Peine de vie

Par Louis Daufresne. Synthèse n°852, Publiée le 06/01/2020
Exit. Le mot est à la mode, pas seulement outre-Manche. En Suisse, c’est le nom de l’une des principales associations d’aide au suicide. Là-bas, on peut aider quelqu’un à mettre fin à ses jours pour peu qu’il n’y ait pas de « mobile égoïste ». C’est l’article 115 du Code pénal (qui empêche qu’une incitation à se donner la mort maquille un crime). Si on agit pour des motifs d’amitié, on ne s’expose donc à aucunes poursuites. Nos voisins sont de culture protestante, germanique et libérale, même dans la partie francophone : ils perçoivent l’aide au suicide comme un acte éthique et civique. Bien que celui-ci remonte légalement à 1942, on ne peut l’amalgamer à l’eugénisme promu par l’Allemagne nazie. Hormis la Suisse, seuls cinq pays dans le monde autorisent l’aide au suicide (les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, cinq États des États-Unis et le Canada) mais des nuances existent entre eux. En Suisse, le suicidant doit avoir une capacité de discernement intacte et s’administrer lui-même la dose létale. C’est le seul pays du monde qui accepte que des non-médecins pratiquent l’aide au suicide, ce qui crée un « tourisme de la mort ».

Pourquoi en parler aujourd’hui ? Pour plusieurs raisons :

- d’abord, la Suisse se trouve à la pointe des pays les plus avancés de l’Occident. Son esprit mixe le sens de la rigueur poussé à l’extrême dans le monde germanique et celui de l’émancipation très présent dans les sociétés anglo-saxonnes ;

- ensuite, la Suisse est un pays du consensus. Les décisions reflètent vraiment ce que pense la société. Ce ne sont pas des directives imaginées par un « bloc élitaire », pour reprendre la terminologie macronienne de Jérôme Sainte-Marie ;

- enfin, les cantons expérimentent des initiatives portées ensuite à l’échelle fédérale. C’est un monde en miniature que la division linguistique n’affaiblit pas. On eût aimé que l’Union européenne s’inspire de la Confédération helvétique, à la fois modèle et laboratoire.

Pour ces trois raisons, ce qui se passe de l’autre côté de Ferney-Voltaire mérite toute notre attention. Or la Suisse doit répondre à une question : peut-on aider un détenu malade à se suicider ? C’est le cas inédit de Peter Vogt qui en est à l’origine. A 69 ans, ce violeur récidiviste purgea sa peine il y a plus de dix ans avant d'être interné à vie, une mesure – la plus dure de l'arsenal pénal suisse – introduite en 2004 lors d'un vote populaire. Ses troubles psychiques le rendent très dangereux. Peter Vogt dit souffrir de multiples maladies telles que des insuffisances rénale et cardiaque. Mais cela ne suffit pas à remplir les conditions pour prétendre au suicide assisté. Selon les règles d’Exit, seul un patient atteint d’une maladie incurable, de souffrances intolérables ou de polypathologies invalidantes peut y avoir recours. Peter Vogt aimerait mourir le 13 août 2020, jour de ses 70 ans.

En octobre, un comité d’experts estima que le suicide assisté dans les prisons devrait être possible, à certaines conditions, en raison du « droit à l'autodétermination » des individus. Au-delà du cas Vogt, « il est tout à fait concevable que le sujet gagne en importance, car il y a aura de plus en plus de détenus âgés et malades dans les prisons en raison du vieillissement de la population carcérale », relève la juriste Barbara Rohner, membre du Centre suisse de compétences en matière d'exécution des sanctions pénales (CSCSP). Ce phénomène est intéressant à plusieurs titres :

- pour une fois, les prisonniers ne servent pas de cobayes. La plupart des juristes et criminologues jugent inconcevable de les priver de l'aide au suicide alors que le reste de la population en Suisse y a droit. Pour l'éthicienne Céline Ehrwein, interrogée par la télévision RTS, empêcher une personne qui souffre de se suicider peut devenir une « forme de torture » ;

- ce premier point en amène un second. Peter Vogt assure que cette « vie sans avenir n'est pas une vie ». Joint par l’AFP, il déclare de manière lapidaire : « Mieux vaut être mort que derrière des murs à végéter. » Il affirme connaître quatre autres détenus voulant aussi en finir. « Personne ne mérite de se suicider seul dans sa cellule », sans assistance. Peut-on habiter l’enfermement d’un sens et d’un horizon ? Nulle autorité ne répond à cette question. Le cas de Peter Vogt montre les limites des politiques carcérales qui, là comme ailleurs, se bornent à mettre à l’écart (pas toujours) les individus jugés dangereux. Peter Vogt vit dans une cellule de 8 mètres carrés et n’a droit à aucun contact physique. L’exfiltration de Carlos Ghosn témoigne du caractère insupportable de l’enfermement, même dans des conditions sanitaires de pays riches.

Par le biais du suicide assisté, on observe une résurgence insolite du débat sur la peine de mort, même si celui-ci ne dit évidemment pas son nom. Cette peine ultime deviendrait-elle un droit ? Son abolition est perçue comme un marqueur du progrès. En serait-il de même de son retour, même sous des formes déguisées ? On va dire que les deux sujets – suicide et peine capitale – n’ont rien à voir puisque se donner la mort ne relève pas d’une décision de justice. Certes. De même que « neutraliser » un djihadiste armé d’un couteau (et non l’arrêter) n’a rien à voir non plus avec la peine de mort… Cependant, le fait que le suicide soit réclamé par des détenus dans un pays réellement démocratique distille l’idée que prolonger la vie d’un homme est une sanction plus lourde que de l’abréger. « C'est aux victimes et à leur famille que devrait revenir la décision, ce qui dans les faits n'est malheureusement pas possible », s’écrie Christine Bussat, fondatrice de l'association helvétique Marche Blanche. La Suisse a le mérite de lever un tabou. En France, certains prisonniers (comme Francis B. à Lille) sont en prison depuis 40 ans ! Les jeunes matons qu’il a vus arriver en 1980 sont déjà partis à la retraite...
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Aider les prisonniers malades à se suicider ? La Suisse y songe
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