Christianisme
Pape François : le grand dézemmour
Tous les soirs de la semaine à 19h00, Cnews offre une tribune à Éric Zemmour. Le rendez-vous s’appelle Face à l’info. Très suivi, il permet à la chaîne de Vincent Bolloré de faire jeu égal avec ses concurrents sur le marché hardnews, LCI et BFM TV. La polémique y est coutumière. En ce moment, le journaliste est poursuivi pour des propos tenus le 30 septembre sur les mineurs non accompagnés. L’émission du 5 octobre suscitera-t-elle la même réprobation ? À coup sûr, non. Pour défendre les migrants, il y a du monde. Mais pour le pape, pensez donc.
Pendant un quart d’heure, en début d’émission, Éric Zemmour donna son avis sur l’encyclique Tous frères. Avis, le mot est faible. La séquence restera un « grand » moment de télévision. Ou plutôt de délire télévisuel. Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI furent très sévèrement critiqués, y compris par des personnages de l’État (comme Alain Juppé). Sur la pilule, le mariage ou le préservatif, on les ridiculisa, on les culpabilisa même tous zizimuts.
Cette fois, c’est différent. L’attaque est brute et brutale. On sait Éric Zemmour toujours prompt à vilipender l’extrême-gauche – qui profane tout ce qu’elle renverse, décapite les statues, celles de nos églises comme celle de Colbert. Le mépris des institutions est son trait le plus saillant. Comment un homme de droite peut-il s’abaisser au niveau des sans-culottes ? Question d’éducation sans doute. Car le polémiste se comporta d’une manière analogue à ceux dont il dénonce l’idéologie délétère. Le verbatim est impressionnant. Le pape est aussi « naïf » qu’un « adolescent boutonneux ». Son texte est comparé à la mélopée du slameur de banlieue, Grand Corps Malade. Puis François est fustigé pour son tropisme « marxiste » hérité de la théologie de la libération (sans remettre dans le contexte de la dictature militaire argentine). Il est qualifié de « post-catholique ». Le journaliste lui reproche de « brader l’héritage catholique », d’être « bisounoursien », de « détourner le dogme », et tout à l’avenant. Bref, ce n’est pas la curie mais la curée. Si Jean-Paul II prit une balle, François se mange une rafale. L’acmé de ce pope bashing survient quand Zemmour se fait injonctif en s’écriant à plusieurs reprises que « les catholiques ne sont pas obligés d’obéir au pape. »
Quelle leçon tirer d’une pareille séquence ?
En premier lieu, c’est le signe d’une dégradation continue du débat public. Les TV s’asseyent dessus depuis longtemps, il est vrai. Qui s’intéresse encore à l’éthique de la discussion chère à Habermas ? Néanmoins, on est surpris qu’une personne si attachée à ce que la France incarne ne se conforme pas davantage à l’idéal de l’honnête homme. Celui-ci s’efforce de livrer une analyse équilibrée et argumentée, audible. Zemmour aurait pu nous aider à comprendre l’intention du pape, à la fois chef d’État et conscience universelle. François pas plus que ses prédécesseurs ne sont les porte-parole des peuples européens en pleine déréliction. En revanche, l’acuité de son regard sur nos modes de vie post-modernes éclaire le malaise spirituel, culturel, identitaire dont s’inquiète justement le journaliste.
François n’est pas responsable de la déchristianisation, il en hérite comme un fardeau. Il ne sacrifie pas l'Europe, c’est elle qui se sacrifie toute seule. Le pape regarde ailleurs, et raisonne à l’échelle du monde. C’est le propre de l’Église catholique de ne pas privatiser son discours, de se sentir concernée par la destinée de toute l’humanité. Aucune autre religion, aucune autre institution n’offre un regard aussi profond et aussi vaste sur notre passage sur terre et sur nos relations en société.
Total creuserait-il des puits où il n’y a plus de pétrole ? Rome redistribue son énergie sur d’autres continents, Zemmour le reconnaît mais ne l’accepte pas. Aux Européens de montrer leur aptitude à espérer autre chose que passer des vacances aux Maldives ou à Ibiza. Le pape du sud n’est pas si à l’ouest que le journaliste le dit. Notre vieille Europe aux classes moyennes écrasées et appauvries ressemblera, sous certains traits, à ce continent sud-américain, perclus d’inégalités, de questions indigènes et de violences criminelles. Qui d’autre que l’Église peut dire au monde l’urgence d’être frère ? En quoi Fratelli tutti, réquisitoire contre l’égoïsme, est-il dérangeant ? Et si cela gênait la toute-puissance de l’Amérique du nord ? Quand Jean-Paul II s’attaqua à l’URSS, son alignement avec Washington le rendait bankable. Quand le pape actuel se retourne et résiste à tout ce que véhicule l’empire US, les relais d'un prétendu conservatisme nous font violemment migrer sur Fox news.
Pendant un quart d’heure, en début d’émission, Éric Zemmour donna son avis sur l’encyclique Tous frères. Avis, le mot est faible. La séquence restera un « grand » moment de télévision. Ou plutôt de délire télévisuel. Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI furent très sévèrement critiqués, y compris par des personnages de l’État (comme Alain Juppé). Sur la pilule, le mariage ou le préservatif, on les ridiculisa, on les culpabilisa même tous zizimuts.
Cette fois, c’est différent. L’attaque est brute et brutale. On sait Éric Zemmour toujours prompt à vilipender l’extrême-gauche – qui profane tout ce qu’elle renverse, décapite les statues, celles de nos églises comme celle de Colbert. Le mépris des institutions est son trait le plus saillant. Comment un homme de droite peut-il s’abaisser au niveau des sans-culottes ? Question d’éducation sans doute. Car le polémiste se comporta d’une manière analogue à ceux dont il dénonce l’idéologie délétère. Le verbatim est impressionnant. Le pape est aussi « naïf » qu’un « adolescent boutonneux ». Son texte est comparé à la mélopée du slameur de banlieue, Grand Corps Malade. Puis François est fustigé pour son tropisme « marxiste » hérité de la théologie de la libération (sans remettre dans le contexte de la dictature militaire argentine). Il est qualifié de « post-catholique ». Le journaliste lui reproche de « brader l’héritage catholique », d’être « bisounoursien », de « détourner le dogme », et tout à l’avenant. Bref, ce n’est pas la curie mais la curée. Si Jean-Paul II prit une balle, François se mange une rafale. L’acmé de ce pope bashing survient quand Zemmour se fait injonctif en s’écriant à plusieurs reprises que « les catholiques ne sont pas obligés d’obéir au pape. »
Quelle leçon tirer d’une pareille séquence ?
En premier lieu, c’est le signe d’une dégradation continue du débat public. Les TV s’asseyent dessus depuis longtemps, il est vrai. Qui s’intéresse encore à l’éthique de la discussion chère à Habermas ? Néanmoins, on est surpris qu’une personne si attachée à ce que la France incarne ne se conforme pas davantage à l’idéal de l’honnête homme. Celui-ci s’efforce de livrer une analyse équilibrée et argumentée, audible. Zemmour aurait pu nous aider à comprendre l’intention du pape, à la fois chef d’État et conscience universelle. François pas plus que ses prédécesseurs ne sont les porte-parole des peuples européens en pleine déréliction. En revanche, l’acuité de son regard sur nos modes de vie post-modernes éclaire le malaise spirituel, culturel, identitaire dont s’inquiète justement le journaliste.
François n’est pas responsable de la déchristianisation, il en hérite comme un fardeau. Il ne sacrifie pas l'Europe, c’est elle qui se sacrifie toute seule. Le pape regarde ailleurs, et raisonne à l’échelle du monde. C’est le propre de l’Église catholique de ne pas privatiser son discours, de se sentir concernée par la destinée de toute l’humanité. Aucune autre religion, aucune autre institution n’offre un regard aussi profond et aussi vaste sur notre passage sur terre et sur nos relations en société.
Total creuserait-il des puits où il n’y a plus de pétrole ? Rome redistribue son énergie sur d’autres continents, Zemmour le reconnaît mais ne l’accepte pas. Aux Européens de montrer leur aptitude à espérer autre chose que passer des vacances aux Maldives ou à Ibiza. Le pape du sud n’est pas si à l’ouest que le journaliste le dit. Notre vieille Europe aux classes moyennes écrasées et appauvries ressemblera, sous certains traits, à ce continent sud-américain, perclus d’inégalités, de questions indigènes et de violences criminelles. Qui d’autre que l’Église peut dire au monde l’urgence d’être frère ? En quoi Fratelli tutti, réquisitoire contre l’égoïsme, est-il dérangeant ? Et si cela gênait la toute-puissance de l’Amérique du nord ? Quand Jean-Paul II s’attaqua à l’URSS, son alignement avec Washington le rendait bankable. Quand le pape actuel se retourne et résiste à tout ce que véhicule l’empire US, les relais d'un prétendu conservatisme nous font violemment migrer sur Fox news.
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