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Les opposants politiques en Russie : une espèce en voie d'extinction ?

Par Peter Bannister. Synthèse n°2123, Publiée le 22/02/2024 - Image : Fleurs à la mémoire d'Alexeï Navalny, St Pétersbourg, le 16 février 2024. (Wikimedia Commons)

Que reste-t-il de l'opposition russe après le décès toujours inexpliqué d'Alexeï Navalny dans la colonie pénitentiaire « Loup polaire » dans l'Arctique ? Si on parle de l'opposition en exil, elle a été très présente dans les médias occidentaux ces derniers jours, mais presque tous les commentateurs considèrent l'opposition au sein même de la Russie comme décimée en tant que résistance organisée. La mort de Navalny, à quelques semaines des élections présidentielles en Russie, semble avoir parachevé son éradication.

La veille, l'ancien conseiller municipal de Moscou et critique de la guerre en Ukraine Boris Nadejdine avait perdu son appel devant la Cour suprême de Russie contre sa disqualification en tant que candidat à la présidence (supposément à cause de fausses signatures de soutien). Sa campagne « anti-guerre » avait d'abord été accueillie avec scepticisme par certains opposants, qui l'ont même traité de « marionnette  », étant donné que Nadejdine avait souvent participé aux débats télévisés des chaînes d'État. Sa candidature avait pourtant été approuvée par l'équipe de Navalny et le leader de l'opposition basé à Londres Mikhaïl Khodorkovski. Un sondage mené par Russian Field a estimé le soutien électoral de Nadejdine à 10 % suite à une poussée inattendue ces dernières semaines - un niveau suffisamment problématique pour Vladimir Poutine pour qu'on l'écarte du scrutin, semblerait-il.

Il est évident qu'Alexeï Navalny représentait une toute autre menace politique que Nadejdine pour Poutine, son opposition au président russe ayant débuté en 2007 en tant que militant anti-corruption (avec des opinions ultranationalistes qui ont conduit à son exclusion du parti libéral Yabloko). Ayant organisé des manifestations de masse en 2011-2012 contre le parti Russie Unie de Poutine, Navalny est condamné pour la première fois en 2013 pour des malversations présumées, mais obtient 27,24 % des voix lors d'une élection à la mairie de Moscou. Interdit de briguer la présidence de Russie lors des élections en 2018, des agents de la FSB russe essaient de le tuer en 2020 à l'aide de l'arme chimique Novitchok. Suite à une convalescence en Allemagne, Navalny est arrêté en sortant de l'avion lors de son retour en Russie le 17 janvier 2021, écopant d'une peine prolongée à 19 ans en août 2023 pour « extrémisme ». En décembre 2023, on le retrouve dans la colonie pénitentiaire de l'Arctique où il meurt le 16 février 2024 (les autorités ont retenu son corps pour « examen chimique » pendant 14 jours…) La sévérité de son traitement montre bien son statut en tant qu'ennemi politique de Poutine, le plus dangereux – abstraction faite du putsch avorté d'Evgueni Prigojine en juin 2023 – depuis Boris Nemtsov, tué devant le Kremlin en 2015 dans des circonstances qui restent opaques.

Ancien vice-premier ministre sous Boris Eltsine (1997-1998), Nemtsov était en train d'écrire un rapport à l'heure de sa mort accusant Vladimir Poutine d'avoir déclenché la guerre en Ukraine en 2014 par le moyen des séparatistes dans les provinces de Donetsk et Louhansk. Ses partisans ont réussi à publier le document « Poutine. La Guerre » de manière posthume, présenté par Ilia Iachine du parti d'opposition RPR-Parnad. Le 9 décembre 2022, Iachine est lui-même condamné à huit années et demie de prison pour avoir dénoncé le massacre de civils ukrainiens par l'armée russe à Boutcha. On craint actuellement pour sa vie, tout comme pour celle du journaliste Vladimir Kara-Mourza, condamné le 17 avril 2023 à 25 ans de réclusion pour « haute trahison » à cause de son opposition à la guerre en Ukraine. Parmi les rares opposants encore en liberté en Russie, le plus connu est sans doute le Prix Nobel de la Paix Oleg Orlov (70 ans, co-fondateur de l'ONG désormais fermée Memorial, dont le travail documentait les crimes de l'URSS). Orlov risque actuellement jusqu'à 5 ans de prison pour avoir « discrédité l'armée », sort qui menace également l'ex-maire d'Ekaterinbourg Evgueni Roïzman, très loquace contre le Kremlin avant son procès inachevé en 2023 — mais devenu très discret depuis.

Pour l'instant, par élimination, les leaders de l'opposition russe se trouvent donc en exil, ce qui réduit leur crédibilité en Russie, où la propagande d'État peut facilement les traiter d' « agents étrangers ». Parmi les porte-paroles les plus en vue on peut citer Khodorkovski, Garry Kasparov, le Prix Nobel de la Paix Dmitri Mouratov (éditeur du journal Novaïa Gazeta) et Janna Nemtsova, fille de Boris Nemtsov. Ils ont maintenant été rejoints par la veuve de Navalny, Ioulia Navalnaïa (47 ans), qui se voue à continuer le combat de son mari. Dans l'absence d'un leader visible pour unifier l'opposition démocratique russe, beaucoup estiment qu'elle pourrait endosser ce rôle. On verra cependant si ses interventions, certes fortes dans les médias occidentaux et sur les réseaux sociaux, auront un impact réel dans le pays pour lequel Alexei Navalny a donné sa vie. Pays où les opposants seraient désormais « une espèce proche de l'extinction », dixit Janna Nemtsova.


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Mort d’Alexeï Navalny : qui sont les autres opposants à Vladimir Poutine ?
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1 commentaire
Le 23/02/2024 à 18:36
Très instructif
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