Spiritualité
Noël, encore et toujours
Ô Noël que de frime on commet en ton nom ! Et comme illusoire est ta féerie ! Oui, il faut un abîme d’imagination pour passer de la grève à la trêve, des bouchons parisiens aux bouchons de Champagne, des cégétistes grincheux aux lutins malicieux, de l’énervement généralisé à l’aménité totale. On ne troque pas comme ça la galère contre la gaîté, les matraques policières contre le matraquage publicitaire. Les pubs de Noël, parlons-en, d’ailleurs. Leur ton sucré donne des caries jusqu'aux oreilles ! Ces messages plein d’effervescence niaise et surjouée dénotent tellement avec l’ambiance visqueuse des manifs à répétition, des nuages de lacrymogène, des foules d'usagers à cran s’injuriant dans une rame bondée.
Noël, c’est l’envers de ce monde-là. Comme le chante Douce nuit, tout est calme plus de bruit et une armée paisible de flocons enveloppe le vacarme pour l'étouffer de sa pureté cristalline. Ce temps assourdit les passions, se love dans l’intimité pour rappeler que le don est au fondement de toute sociabilité, à rebours du cynisme, de l’égoïsme et des rapports de forces. L’Enfant dans la mangeoire symbolise ainsi le triomphe de la fragilité – qui désarme la haine. Au crépuscule des nuits les plus longues, Noël exalte ainsi la famille, la met en scène pour célébrer sa raison d’être, son évidence. Nul ne choisit de venir au monde. Dès lors, la famille apparaît comme ce lieu, ce lien et ce liant entre des êtres unis par le sang. L’âge les rend inégaux mais tous ont des obligations les uns envers les autres. Le devoir prime sur le droit. La nation n’est que la déclinaison king size de cet écosystème domestique. Quand cette évidence n’est plus, le vivre ensemble disparaît, l’espace s’emplit d’une grande souffrance, et la guerre de tous contre tous infecte l'atmosphère. Un mécanisme pervers se met alors en place : Noël joue alors à contre-emploi en devenant le miroir du malheur des blessés de la vie, isolés ou séparés, un miroir qui juge, comme celui de la reine de Blanche-Neige. Combien de nos contemporains vivent ce moment comme quelque chose d'insupportable où le bonheur des uns est plus intense et le malheur des autres plus vif ! Noël vous dit si vous êtes en train de réussir ou de rater votre vie, rien que ça. Car sous l'apparente candeur de son rituel, cette fête charrie un idéal exigeant, une sorte de voie étroite fort peu compatible avec les choix de vie promus par une société libérée de tout.
Noël se fracasse ainsi sur l'esprit du monde où la déliaison devient la norme. Au sortir de la guerre, Jean-Paul Sartre prophétisait que « l’homme est condamné à être libre ». Partant de là, « on ne saurait trouver à ma liberté d’autres limites qu’elle-même ». Bien que Sartre soit né, ait grandi dans une famille, sa pensée s'enferme dans un huis-clos : « L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. » Il se trouve qu'aujourd'hui, ce credo très petit-bourgeois se superpose à merveille avec toutes les potentialités du marché – où l’argent est la seule limite de l’argent. Noël et la famille sont des môles de résistance à ce mouvement qui, en opposant la liberté au don, entraîne toute la société dans une farandole macabre. Qu'il est injuste de voir la logique marchande parasiter à ce point Noël comme le chancre sur l'arbre fruitier ! Elle lui prend sa sève et l'affaiblit. Le pape, ce jardinier des âmes, lui oppose « l’amour inconditionnel et gratuit ». Car le « chacun pour soi » de Sartre fait la guerre à « la place du pauvre », ce couvert en plus que le riche est censé mettre pour le mendiant de passage. Si plus rien ne nous lie, à qui tendre la main, sur qui poser le regard pourquoi agir ainsi envers autrui ? Même Dieu, en son temps, prit la peine de se faire tout-petit, pour que ses parents se penchent sur Lui.
Noël, c’est l’envers de ce monde-là. Comme le chante Douce nuit, tout est calme plus de bruit et une armée paisible de flocons enveloppe le vacarme pour l'étouffer de sa pureté cristalline. Ce temps assourdit les passions, se love dans l’intimité pour rappeler que le don est au fondement de toute sociabilité, à rebours du cynisme, de l’égoïsme et des rapports de forces. L’Enfant dans la mangeoire symbolise ainsi le triomphe de la fragilité – qui désarme la haine. Au crépuscule des nuits les plus longues, Noël exalte ainsi la famille, la met en scène pour célébrer sa raison d’être, son évidence. Nul ne choisit de venir au monde. Dès lors, la famille apparaît comme ce lieu, ce lien et ce liant entre des êtres unis par le sang. L’âge les rend inégaux mais tous ont des obligations les uns envers les autres. Le devoir prime sur le droit. La nation n’est que la déclinaison king size de cet écosystème domestique. Quand cette évidence n’est plus, le vivre ensemble disparaît, l’espace s’emplit d’une grande souffrance, et la guerre de tous contre tous infecte l'atmosphère. Un mécanisme pervers se met alors en place : Noël joue alors à contre-emploi en devenant le miroir du malheur des blessés de la vie, isolés ou séparés, un miroir qui juge, comme celui de la reine de Blanche-Neige. Combien de nos contemporains vivent ce moment comme quelque chose d'insupportable où le bonheur des uns est plus intense et le malheur des autres plus vif ! Noël vous dit si vous êtes en train de réussir ou de rater votre vie, rien que ça. Car sous l'apparente candeur de son rituel, cette fête charrie un idéal exigeant, une sorte de voie étroite fort peu compatible avec les choix de vie promus par une société libérée de tout.
Noël se fracasse ainsi sur l'esprit du monde où la déliaison devient la norme. Au sortir de la guerre, Jean-Paul Sartre prophétisait que « l’homme est condamné à être libre ». Partant de là, « on ne saurait trouver à ma liberté d’autres limites qu’elle-même ». Bien que Sartre soit né, ait grandi dans une famille, sa pensée s'enferme dans un huis-clos : « L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. » Il se trouve qu'aujourd'hui, ce credo très petit-bourgeois se superpose à merveille avec toutes les potentialités du marché – où l’argent est la seule limite de l’argent. Noël et la famille sont des môles de résistance à ce mouvement qui, en opposant la liberté au don, entraîne toute la société dans une farandole macabre. Qu'il est injuste de voir la logique marchande parasiter à ce point Noël comme le chancre sur l'arbre fruitier ! Elle lui prend sa sève et l'affaiblit. Le pape, ce jardinier des âmes, lui oppose « l’amour inconditionnel et gratuit ». Car le « chacun pour soi » de Sartre fait la guerre à « la place du pauvre », ce couvert en plus que le riche est censé mettre pour le mendiant de passage. Si plus rien ne nous lie, à qui tendre la main, sur qui poser le regard pourquoi agir ainsi envers autrui ? Même Dieu, en son temps, prit la peine de se faire tout-petit, pour que ses parents se penchent sur Lui.