Négocier la paix en Ukraine : le défi majeur de la nouvelle administration Trump
Depuis sa victoire aux élections présidentielles américaines, nous assistons à beaucoup de spéculations sur la future politique étrangère d'une administration Donald Trump 2.0, en particulier concernant son affirmation célèbre qu'il pourrait faire cesser la guerre entre Russie et Ukraine « en 24 heures ». Certains pensent que Trump donnera un ultimatum à Volodymr Zelensky en le menaçant d'arrêter l'aide militaire des États-Unis, ce qui obligerait les Ukrainiens à capituler face aux demandes de Moscou. Donald Trump Jr et Elon Musk ont certes fait des commentaires allant dans ce sens (Musk s'est même moqué de la notion de la souveraineté de l'Ukraine). Il est également vrai que l'ex-démocrate Tulsi Gabbard, nommée en tant que cheffe du Renseignement américain, a défrayé la chronique par le passé avec des propos proches des positions du Kremlin, ce qui a provoqué des réserves chez certains républicains qui pourraient mettre en péril sa nomination.
Pourtant, un examen des nominations de Trump liées au dossier ukrainien révèle des attitudes beaucoup plus nuancées, notamment chez Keith Kellogg, futur envoyé pour la paix en Ukraine. Ses avis ont été publiés en avril 2024 dans un long papier coécrit avec Fred Fleitz, dans lequel les deux auteurs ont fustigé l'approche de Biden comme étant diplomatiquement maladroite et tactiquement inepte. Selon Kellogg et Fleitz, il aurait fallu armer l'Ukraine à la fin de 2021, quand la menace d'une invasion se profilait, puis au début de la guerre, afin d'expulser les forces russes. Par contre, l'aide militaire trop timide et trop tardive aurait simplement prolongé le conflit en irritant la Russie, sans perspective de victoire ukrainienne ni de voie de sortie par la négociation. Au mois de juin, Kellogg et Fleitz ont présenté à Donald Trump un plan qui recommandait de conditionner l'aide américaine à Kiev à l'acceptation de négocier ; d'un autre côté, ils ont suggéré de forcer Moscou à entamer des pourparlers en menaçant, en cas de refus, d'augmenter l'aide militaire à l'Ukraine. Kellogg a estimé (contrairement à Trump lui-même) que l'autorisation par Biden de tirer les missiles à longue portée ATACMS contre des cibles en Russie pourrait renforcer la position occidentale lors de futures négociations.
Il faudrait également prendre en compte le futur chef de la diplomatie américaine Marco Rubio, qui appartient à l'aile interventionniste du Parti républicain. Beaucoup qualifient ce fils d'immigrés cubains de « faucon » et de « néoconservateur », favorable à un rôle global fort pour les USA avec l'implication des forces armées, contrairement à la mouvance MAGA (Make America Great Again), qui prône le désengagement international. Rubio a notamment été le co-auteur en 2023, au Congrès, d'une loi bipartisane interdisant à un président américain de se retirer de l'OTAN de manière unilatérale. Farouchement anticommuniste, Rubio pourrait prendre une ligne dure surtout en Amérique latine (en voulant changer les régimes à Cuba et au Venezuela) mais aussi envers la Chine. Sur l'Ukraine, il a certes voté contre les 95 milliards de dollars d'aide militaire américaine en 2024 et voudrait une paix négociée pour sortir de l'« impasse » actuelle. Il a néanmoins traité Vladimir Poutine de « gangster » et de « voyou » lors de sa propre campagne présidentielle en 2015, a loué le « courage » des Ukrainiens, et dit qu'il souhaiterait qu'une éventuelle paix leur soit avantageuse – une paix qui permettrait aux Américains de se focaliser sur ce que Rubio voit comme la menace principale : les actions de Pékin.
Nous trouvons des positions semblables à celles de Rubio chez Mike Waltz, nommé au poste de conseiller à la sécurité nationale. Généralement favorable au soutien à Kiev, il a pourtant insisté pour que ce ne soit pas un chèque en blanc et que les Européens augmentent leur propre apport financier. Waltz veut mettre fin à une guerre qui ressemble pour lui à celle de 1914-1918 et s'alarme face à l'escalade récente (engagement de troupes nord-coréennes, test russe du missile hypersonique Orechnik). En même temps, Waltz souligne sa collaboration avec son prédécesseur Jake Sullivan, présentant un front uni malgré leurs différences : « Pour nos adversaires qui pensent que c'est un moment d'opportunité, qu'ils peuvent jouer une administration contre l'autre – ils se trompent. »
Pour l'instant, la promesse de Donald Trump d'arrêter la guerre en 24 heures semble utopique. Comme l'a dit l'influent républicain Michael McCaul, si Trump a réellement appelé Poutine par téléphone (conversation niée par Moscou) pour éviter toute escalade envers Ukraine, la Russie semble avoir riposté par une « contre-offensive ». Y compris dans les médias : suivant le supposé appel de Trump, l'émission phare de la télévision d'État russe 60 minutes a ressorti des photos de Melania Trump quasi nue datant de l'an 2000, visant de toute évidence à ridiculiser le futur président. Le message était certes destiné au public russe, mais il semblerait indiquer que le respect pour Donald Trump lors d'éventuelles négociations n'aura rien d'automatique. Le « plus grand deal pour la paix dans l'histoire » est loin d'être acquis.