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Mohammed Ben Salmane, le nouveau maître du Moyen-Orient

Par Maximilien Kopriwa. Synthèse n°2258, Publiée le 03/09/2024 - Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed bin Salman Al Saud recevait le président chinois, Xi Jinping au palais de Yamamah à Riyad, le 8 décembre 2022 (Photo Anadolu Agency via AFP)
En moins de dix ans, la révolution culturelle opérée par Mohammed Ben Salmane (MBS) a métamorphosé l'Arabie Saoudite. Le prince héritier entend faire du royaume une puissance mondiale. À cette fin, il veut dédiaboliser son pays. Sa marque ? Celle d'un prince modernisateur et autoritaire.

A priori MBS ne devait pas régner. Né en 1985, troisième dans l'ordre de succession, il a écarté ses rivaux l'un après l'autre. Son ascension débute en 2015. Ministre de la Défense, il déclenche la guerre au Yémen et commence à concentrer les pouvoirs autour de lui. Le prince Moukhrine, son demi-frère, est écarté en échange de 750 millions de dollars et d'un yacht. Deux ans plus tard, son cousin, M. Bin Nayef, est contraint sous la menace d'un revolver de lui prêter allégeance. MBS n'hésite pas à emprisonner d'autres princes et hommes d'affaires qu'il accuse de corruption. Il accumule les ennemis. On le dit paranoïaque. En 2018, le journaliste Jamal Khashoggi, trop critique de ses méthodes, est assassiné sauvagement à Istanbul… MBS ne tolère aucune contestation.

Sa vision pour l'Arabie Saoudite est claire : transformer le pays tout en préservant son identité culturelle. C'est une révolution. Il défait un pacte vieux de deux siècles entre la famille Saoud et les wahhabites. Les réformes sont spectaculaires. Les femmes peuvent désormais conduire, aller au restaurant sans leur mari, et voyager sans autorisation d'un tuteur. La jeunesse, qui représente 70 % de la population et dont les loisirs se limitaient autrefois aux jeux vidéo, a dorénavant accès à une vie culturelle plus riche : concerts, cinémas et boîtes de nuit sont à présent autorisés. Toutefois, le prince reste inflexible sur certaines valeurs. L'homosexualité reste passible de la peine de mort (par décapitation), la liberté d'expression est inexistante, et les médias sont étroitement contrôlés. La modernisation, oui, mais sans trop toucher au socle religieux et autocratique.

Pour changer l'image de son pays, MBS mise sur le développement du "soft power". Des événements d'envergure, comme les Jeux asiatiques d'hiver en 2029, l'Exposition Universelle de 2030, doivent faire briller le royaume aux yeux du monde. Le tourisme aussi, puisque désormais des visas touristiques sont délivrés dans ce pays jadis fermé. Pour la première fois, l'Arabie Saoudite dispose d'un ministère de la Culture à travers lequel elle établit des partenariats avec d'autres pays, dont la France (Centre Pompidou). En ligne de mire, la création de musées. Parallèlement, le royaume investit massivement dans le sport. Il attire des stars du football comme Cristiano Ronaldo et projette la création d'une écurie de Formule 1. Le cinéma n'est pas en reste. En 2019 est créé le Festival International de la Mer Rouge, rassemblant des professionnels du monde entier.

Anticipant un futur post-pétrole, MBS initie un programme de développement à 500 milliards de dollars pour diversifier l'économie. Le projet Neom sort du lot par son gigantisme. Il vise la création d'une mégapole dans la région de Tabuk située stratégiquement entre l'Asie et l'Afrique. Ce projet comprend trois villes futuristes : The Line, une ville linéaire de 170 km passant à travers le désert, Oxagon, une cité flottante et Trojna, une station de ski artificielle. L'ensemble réalisé devrait couvrir une superficie équivalente à celle de la Belgique... Mais le passage du rêve à la réalité reste incertain.

Sur la scène internationale, MBS adopte la stratégie de la "polygamie diplomatique" Le but est double : garantir l'indépendance de l'Arabie Saoudite et la stabilité régionale. Il faut dire que MBS a changé. En 2019, alors agressif, il intensifie les tensions avec l'Iran. En réponse, les Houthis frappent avec l'appui de Téhéran des sites pétroliers. Lorsque Trump annonce que les États-Unis n'interviendront pas en cas d'escalade, MBS décide de s'affranchir du protecteur traditionnel. En 2023, lors d'une rencontre à Pékin, il surprend le monde en tendant la main à l'Iran, scellant un accord historique sous l'égide de la Chine, qu'il désigne comme protecteur du Moyen-Orient. La guerre en Ukraine le met en position de force. Biden veut qu'il augmente la production de pétrole. Il refuse. En adhérant au BRICS en janvier dernier, Riyad envoie un message clair : il n'est plus l'allié obéissant et des Américains.

Reste la question israélienne. Bien qu'attaché à la cause palestinienne, MBS n'a pas hésité à vouloir normaliser les relations avec Israël. La guerre à Gaza a rebattu les cartes. Désirant continuer sur cette voie, il doit ménager l'opinion arabe. Le fait qu'il ait demandé la création d'un État palestinien n'a pas mis fin aux négociations. Au bout du compte, MBS cherche à transformer un État tribal et religieux en un État-nation moderne animé par l'idée de grandeur. Pour un regard occidental, cette ouverture, accomplit d'une main de fer, peut sembler paradoxale. Conjuguant réformes audacieuses et autoritarisme, MBS, en redessinant le visage de son pays, s'affirme comme le nouveau maître du Moyen-Orient. Il s'impose comme l'un des visages incontournables d'un monde multipolaire… Au mépris de certains droits humains, si nécessaire, mais ça bouge !

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