International
Mikhaïl Gorbatchev, l'envers de Poutine
Dans une précédente LSDJ (n°1466), nous parlions des 30 ans de la fin de l’URSS, le jour de Noël 1991. Mikhaïl Gorbatchev, son fossoyeur, est mort à son tour, à 91 ans. Le dernier dirigeant soviétique excluait l’impérialisme. Pour beaucoup de Russes, l’homme eut une mentalité de perdant, alors qu’il prit acte de la grande illusion que fut l’Union soviétique. Sa capacité de nuisance masquait une société tiers-mondisée, aussi grise et vide que les grandes artères de Moscou. Il suffisait de comparer deux logements moyens, russe et américain : dans les années 50, les intérieurs se ressemblent encore. En 1980, plus du tout.
Si un homme seul peut changer l’ordre du monde, Gorbatchev y parvient, non en utilisant ses armées (ce qui est banal depuis la haute Antiquité) mais en refusant la répression. Pour cela, il reçoit le prix Nobel de la paix (octobre 1990), bien qu’en janvier de cette année-là ses chars aient roulé sur Vilnius (14 morts, 700 blessés). Dommage collatéral, dirait un Américain.
Les plus jeunes n’ont aucune idée de ce que l’URSS, machine à broyer de l’humain, avait de kafkaïen et de menaçant. Le mal absolu se limitait au nazisme, et on le pense encore. On en oublie que la guerre froide était une guerre nucléaire qui pouvait anéantir la planète à tout moment. Certes, il y avait l’équilibre de la terreur : le tango USA/URSS surjoua le choc de titans. Mais tout Européen redoute alors que l’apocalypse pulvérise la planète. Sans cette peur, on ne peut comprendre ce que les générations présentes doivent à Mikhaïl Gorbatchev.
Grâce au paysan de Stavropol, une fenêtre s’ouvrait subitement et un vent de liberté submergea l’Europe. Le Mur tombé, pleurant de joie, on rêva d’un monde enfin débarrassé du duel entre superpuissances. Les cœurs sont d’autant plus nostalgiques de ce moment romantique – la soviétologue Françoise Thom parle du « moment Gorbatchev » – que ses promesses durèrent peu de temps (1989-1991). La suite sera triste : le pillage de la Russie par les prédateurs de l’ère Eltsine et le retour à l’État obsidional sous Vladimir Poutine. Que le récit soviétique soit intégré à la rhétorique impériale du Kremlin montre que Gorbatchev ne fut pas prophète en son pays.
Un régime s'effondre-t-il sitôt qu'il doute de sa puissance ? Plusieurs signes amènent à le penser :
Il y a d'abord le coup de poker de Ronald Reagan, avec le très coûteux projet de bouclier spatial anti-missile IDS (mars 1983). Gorbatchev se persuade que son industrie ne peut plus rivaliser avec l’Amérique lancée dans la « guerre des étoiles ». Plombée par la chute des cours des matières premières, l’URSS consacre déjà 20% de son PIB à la course aux armements. L’aide aux « pays frères » l’asphyxie. Le colosse n’a plus les moyens de ses ambitions. Gorbatchev veut et doit sortir de la confrontation. Le Kremlin vend son or à Londres jusqu’aux pièces héritées du tsarisme (1986). Un an après l’échec du sommet de Reykjavik, le numéro un soviétique signe le traité d'élimination des missiles de moyenne portée à Washington (1987), retire 500 000 soldats de l’est européen (1988) et quitte l’Afghanistan (1989).
Le doute encore s'installe, lorsque la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (avril 1986) révèle l’impéritie du système. La glasnost (transparence) s'impose avec la perestroïka (restructuration). À 54 ans, Gorbatchev voit dans ses réformes une seconde NEP mais le régime fossilisé n’est plus guidé par le bolchévisme conquérant. Si on fait fondre la glace, elle se disloque. Gorbatchev autorise le roman de Boris Pasternak, Le Docteur Jivago (novembre 1985), puis libère le physicien Andrei Sakharov (décembre 1986).
L'étincelle se transforme en incendie à Berlin-Est (octobre 1989) quand devant son vassal de RDA Erich Honecker, Gorbatchev déclare que « celui qui est en retard est puni par la vie ». Un mois plus tard, le Mur tombe.
S'ensuit la rencontre avec le pape Jean-Paul II (décembre 1989) et les retrouvailles allemandes. Gorbatchev et le chancelier Helmut Kohl s'entendent pour une Allemagne unifiée, souveraine et libre d'appartenir à l'OTAN (juillet 1990). Quoiqu’athée même s’il sera baptisé orthodoxe, le chef du Kremlin partage avec le pape polonais la vision d’une Europe réconciliée, celle des « deux poumons » chère à Wojtyla et celle de la « maison commune européenne » dont Gorbi fait son slogan. Les deux slaves croient que le vieux continent, de l'Atlantique à l'Oural, peut s’éloigner des États-Unis. Les milieux pro-US se méfient. Est-ce d’une énième ruse du KGB ? De toute façon, l’Oncle Sam n’a aucun intérêt à délaisser son protectorat.
Faut-il aider l'URSS à se reconstruire ? Invité au G7 de Londres (juillet 1991), Gorbatchev espère un plan Marshall. Mitterrand et Kohl y sont favorables mais les États-Unis et la Grande-Bretagne s’y opposent. Ainsi lâché, Gorbatchev est condamné, d’autant que Boris Eltsine vient d'être élu au suffrage universel président de la Fédération de Russie (juin 1991). On découvre que « le nationalisme est à prendre en compte », relève l'historien Pierre Rigoulot.
« Sous le Soviétique le Russe », disait de Gaulle. Noël jouera le requiem pour une URSS défunte. Et l'étoile rouge de Mikhaïl Gorbatchev s'éteindra pour l'histoire.
Si un homme seul peut changer l’ordre du monde, Gorbatchev y parvient, non en utilisant ses armées (ce qui est banal depuis la haute Antiquité) mais en refusant la répression. Pour cela, il reçoit le prix Nobel de la paix (octobre 1990), bien qu’en janvier de cette année-là ses chars aient roulé sur Vilnius (14 morts, 700 blessés). Dommage collatéral, dirait un Américain.
Les plus jeunes n’ont aucune idée de ce que l’URSS, machine à broyer de l’humain, avait de kafkaïen et de menaçant. Le mal absolu se limitait au nazisme, et on le pense encore. On en oublie que la guerre froide était une guerre nucléaire qui pouvait anéantir la planète à tout moment. Certes, il y avait l’équilibre de la terreur : le tango USA/URSS surjoua le choc de titans. Mais tout Européen redoute alors que l’apocalypse pulvérise la planète. Sans cette peur, on ne peut comprendre ce que les générations présentes doivent à Mikhaïl Gorbatchev.
Grâce au paysan de Stavropol, une fenêtre s’ouvrait subitement et un vent de liberté submergea l’Europe. Le Mur tombé, pleurant de joie, on rêva d’un monde enfin débarrassé du duel entre superpuissances. Les cœurs sont d’autant plus nostalgiques de ce moment romantique – la soviétologue Françoise Thom parle du « moment Gorbatchev » – que ses promesses durèrent peu de temps (1989-1991). La suite sera triste : le pillage de la Russie par les prédateurs de l’ère Eltsine et le retour à l’État obsidional sous Vladimir Poutine. Que le récit soviétique soit intégré à la rhétorique impériale du Kremlin montre que Gorbatchev ne fut pas prophète en son pays.
Un régime s'effondre-t-il sitôt qu'il doute de sa puissance ? Plusieurs signes amènent à le penser :
Il y a d'abord le coup de poker de Ronald Reagan, avec le très coûteux projet de bouclier spatial anti-missile IDS (mars 1983). Gorbatchev se persuade que son industrie ne peut plus rivaliser avec l’Amérique lancée dans la « guerre des étoiles ». Plombée par la chute des cours des matières premières, l’URSS consacre déjà 20% de son PIB à la course aux armements. L’aide aux « pays frères » l’asphyxie. Le colosse n’a plus les moyens de ses ambitions. Gorbatchev veut et doit sortir de la confrontation. Le Kremlin vend son or à Londres jusqu’aux pièces héritées du tsarisme (1986). Un an après l’échec du sommet de Reykjavik, le numéro un soviétique signe le traité d'élimination des missiles de moyenne portée à Washington (1987), retire 500 000 soldats de l’est européen (1988) et quitte l’Afghanistan (1989).
Le doute encore s'installe, lorsque la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (avril 1986) révèle l’impéritie du système. La glasnost (transparence) s'impose avec la perestroïka (restructuration). À 54 ans, Gorbatchev voit dans ses réformes une seconde NEP mais le régime fossilisé n’est plus guidé par le bolchévisme conquérant. Si on fait fondre la glace, elle se disloque. Gorbatchev autorise le roman de Boris Pasternak, Le Docteur Jivago (novembre 1985), puis libère le physicien Andrei Sakharov (décembre 1986).
L'étincelle se transforme en incendie à Berlin-Est (octobre 1989) quand devant son vassal de RDA Erich Honecker, Gorbatchev déclare que « celui qui est en retard est puni par la vie ». Un mois plus tard, le Mur tombe.
S'ensuit la rencontre avec le pape Jean-Paul II (décembre 1989) et les retrouvailles allemandes. Gorbatchev et le chancelier Helmut Kohl s'entendent pour une Allemagne unifiée, souveraine et libre d'appartenir à l'OTAN (juillet 1990). Quoiqu’athée même s’il sera baptisé orthodoxe, le chef du Kremlin partage avec le pape polonais la vision d’une Europe réconciliée, celle des « deux poumons » chère à Wojtyla et celle de la « maison commune européenne » dont Gorbi fait son slogan. Les deux slaves croient que le vieux continent, de l'Atlantique à l'Oural, peut s’éloigner des États-Unis. Les milieux pro-US se méfient. Est-ce d’une énième ruse du KGB ? De toute façon, l’Oncle Sam n’a aucun intérêt à délaisser son protectorat.
Faut-il aider l'URSS à se reconstruire ? Invité au G7 de Londres (juillet 1991), Gorbatchev espère un plan Marshall. Mitterrand et Kohl y sont favorables mais les États-Unis et la Grande-Bretagne s’y opposent. Ainsi lâché, Gorbatchev est condamné, d’autant que Boris Eltsine vient d'être élu au suffrage universel président de la Fédération de Russie (juin 1991). On découvre que « le nationalisme est à prendre en compte », relève l'historien Pierre Rigoulot.
« Sous le Soviétique le Russe », disait de Gaulle. Noël jouera le requiem pour une URSS défunte. Et l'étoile rouge de Mikhaïl Gorbatchev s'éteindra pour l'histoire.