Politique
Marchons enfants ! est-il "en marche" ?
Sept ans après le feuilleton du « mariage pour tous », la manifestation du dimanche 6 octobre inaugurait un nouvel épisode de la série, sur le mode prévisible/imprévisible. S’il devait se rejouer quelque chose de 2012-2013, le paysage politique avait changé, et l’événement, allant dans le décor médiatique, risquait de ne pas en être un. Le « mariage » était passé et la Manif pour Tous avait « tout lâché ». Il s’était ensuivi la débâcle de l’affaire Fillon, sans laquelle Ludovine de La Rochère fût peut-être devenue ministre de la Famille. Toute issue de cet ordre étant enterrée, la Manif pour Tous semblait se retrouver dans l’impasse, au point que deux questions se posaient quant à l’effet « repoussoir » que ce mouvement pouvait susciter :
À ces deux questions, la mobilisation nationale d’hier a partiellement répondu :
Pour les besoins de cette synthèse, essayons de faire un bilan en dégageant quatre points négatifs et positifs :
Points négatifs
Points positifs
- Fallait-il le dissoudre et recréer une autre dynamique autour de nouveaux codes plus consensuels, comme avait su le faire Frigide Barjot, fossoyeur du boutinisme anti-Pacs de 1998 ?
- Ne risquait-il de devenir un obstacle à sa propre cause en hypothéquant l’émergence dans les années à venir d’un grand mouvement social contre la GPA ?
À ces deux questions, la mobilisation nationale d’hier a partiellement répondu :
- La Manif pour Tous s’est largement effacée pour faire place à d’autres entités organisatrices, avec un effort pour renouveler l’identité visuelle. Le vert est devenu la couleur dominante et les slogans moins nombreux témoignaient d’une atmosphère plus grave. Cette image est-elle passée dans les media ? Difficile à dire. Beaucoup de manifestants portaient aussi les sweats de 2012 et pour le grand public, Ludovine de La Rochère demeure l’unique figure de proue de cette mobilisation.
- S'il y avait un jour une prochaine étape avec la GPA, elle devrait mobiliser plus fort et plus large. Or si Marchons enfants ! a vu la présence de membres du Collectif pour le Respect de la Personne, Sylviane Agacinski, principale égérie du CoRP, n’y était pas, ce qui pose question par rapport à la tentative d’ouverture vers d’autres milieux que la cathosphère conservatrice. Le 6 octobre 2019 ne marque pas encore l’amorce d’une « convergence des luttes », pour reprendre une expression chère à la gauche.
Pour les besoins de cette synthèse, essayons de faire un bilan en dégageant quatre points négatifs et positifs :
Points négatifs
- La sociologie demeure pour l'instant trop homogène, correspondant toujours à celle des stéréotypes versaillais de la France bien élevée. Absolument pas diversitaire. Groupe dominé, le catholicisme conservateur se retrouve face à une image qui lui ressemble tellement que d’autres étages sociaux ont pour l'instant du mal à se rallier à lui. Ludovine de la Rochère les représente trop, et ils en ont conscience. Ils aspirent à plus d’exotisme et se découvrent à une kermesse.
- Il y avait peu de politiques, donc peu de relais dans les media, lesquels évaluent le succès d’une mobilisation à l’exploitation tactique qui peut en être fait. Or, sur ce point, l’expérience de Sens commun a laissé des traces. Aucun parti ne veut se risquer à prendre des engagements avec des forces qui feraient pression sur lui. Hormis l'ex-députée Marion Maréchal, les quelques élus LR (François-Xavier Bellamy, Guillaume Larrivé, Xavier Breton, Julien Aubert) ou du Rassemblement national (Nicolas Bay, Gilbert Collard, Emmanuelle Ménard) qui avaient annoncé leur présence n'ont pas le poids qu'avaient Laurent Wauquiez ou François Fillon il y a sept ans. Á ce jour, l’événement n’a aucun débouché politique. Les LR sont divisés sur le sujet, Geoffroy Didier et François-Xavier Bellamy incarnant bien deux positions contradictoires.
- L’ambiguïté à l’égard d’Emmanuel Macron constitue une fragilité. « En 2013, descendre dans la rue, c'était aussi pour dire non à François Hollande », rappelle Frédéric Dabi, de l'IFOP. Hier, très peu de slogans visaient pour l'instant le chef de l’État. C’est un atout pour engager le dialogue souhaité par Ludovine de la Rochère. C’est une faiblesse dans la mesure où une part importante des catholiques a voté pour le président actuel, et ne se situe donc pas dans l’opposition, laquelle, dans ces conditions, a peu de chance d’exister. Emmanuel Macron est en droit d’espérer que ce mouvement est domestiqué et que, contrairement à ce que les organisateurs proclament depuis hier, tout est déjà joué. Ce positionnement ambigu est illustré par ce message que j’ai recueilli : « Je suis contre le projet de loi, fondamentalement ! Je n’ai pas manifesté hier, ayant participé plusieurs fois à la Manif contre la loi du mariage homo. Pourquoi pas hier ? Pour n’avoir pas à entendre des manifestants déclarer qu’ils votent LREM mais qu’ils sont contre cette loi. Comme si les deux questions étaient distinctes. C’est comme si la victime souriait à son bourreau ! »
- Cette ambiguïté pose une question plus profonde : le verdissage écolo n’évince pas l’accointance de milieux catholiques aisés avec le système libéral, jugé par certains comme la matrice de toutes les fantaisies sociétales. La montée en puissance de l’éthique de l’autonomie professe de libérer l’individu de tous les liens de la biologie. Un courant libertarien anime puissamment ce projet de société, comme l’atteste La Famille par contrat (Puf, 2018) de Daniel Borrillo, essai préfacé par le young leader Gaspard Koenig, ex-plume de Christine Lagarde et promoteur du Cato institute (et pas Catho...).
Points positifs
- Les pronostics pessimistes ont été déjoués. La question « à quoi ça sert de manifester ? » avait instillé défaitisme et morosité. Elle semble avoir perdu une bonne part de sa vigueur. Hier, l’opposition à la PMA dite « pour toutes » a fait bien mieux qu'éviter le bide. Qu’il y ait eu 600.000 personnes semble assez exagéré ; il y a 25.000 m2 tout au plus sur le lieu de convergence final, la place du 18 juin, le boulevard du Montparnasse et les rues adjacentes : même en comptant trois personnes par m2 et en ajoutant celles qui n’ont jamais pu arriver, le nombre le plus probable avoisine les 100.000, au mieux 150.000. Même s’il est macronien, le cabinet Occurrence, financé par les media pour compter au plus juste, offre une estimation assez plausible (74.500), quoique basse. Á vrai dire, la controverse sur « le vol de manifestants » dont parle Ludovine de la Rochère importe peu. Á ma connaissance, aucun commentateur ne conclut aujourd’hui à un échec, ce que les media mainstream se serait empressés de faire s’ils l’avaient constaté.
- C’était une mobilisation familiale, un peu comme des « retrouvailles » selon l’expression du sociologue Yann Raison du Cleuziou, auteur d’Une contre-révolution catholique. Aux origines de la Manif pour tous (Seuil, 2019). On peut supposer qu’un passage de relais militant a eu lieu. Les jeunes de 18 ans n’en avaient que 11 à l’époque de la loi Taubira. Ils étaient nombreux dans le cortège.
- Comme le souligne également Yann Raison du Cleuziou, « peu de sociologies sont capables de mobiliser dans la rue ». Partis politiques et syndicats sont largement désavoués et inopérants. Quant aux Gilets jaunes, les ressorts du phénomène méritent encore d’être structurellement analysés. Hier, le catholicisme conservateur a montré qu’il disposait de relais institutionnels efficaces.
- Ainsi que nous le disions plus haut, La Manif pour Tous a réussi sa mutation vers un label collectif, ce qui n’était pas acquis compte tenu des divergences qui avaient animé ce monde associatif en 2013. Une sorte de principe de réalité a prévalu. La conscience aussi qu’on avait changé de quinquennat. L'avenir est maintenant ouvert, des dates étant fixées pour écrire la suite de l'histoire (1er décembre, 19 janvier, 8 mars, 17 mai, 14 juin), faisant écho à ce que l'Archevêque de Paris disait la semaine dernière dans une tribune publiée largement dans la presse : sur la PMA, rien n'est encore joué.