Politique
L'omelette au lard et l'euthanasie
La poule et le cochon sont affectés très différemment dans la recette de l’omelette au lard : la première est concernée, le second est impliqué. Certes, la poule n’est pas étrangère à l’affaire : elle donne ses œufs. Mais pour le cochon qui fournit le lard, le sujet est existentiel : il s’agit de sa peau.
La parabole peut s’appliquer au grand public et aux soignants sur l’euthanasie : l’un est concerné, l’autre est impliqué. Le sujet s’adresse à tout le monde, bien sûr, mais pour le grand public, cela restera globalement une question assez lointaine, tandis que, pour les personnels soignants qui seront, si la loi passe, obligés de préparer eux-mêmes le produit létal, de faire eux-mêmes le geste de piquer, et d’injecter eux-mêmes le poison mortel dans le corps de leur patient, la perspective est tout autre.
Ce rapport différent et inégal au sujet explique le décalage total entre le public et les soignants. Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie vient de se prononcer à une large majorité en faveur de l’euthanasie, que les députés s’apprêtent à voter sans problème ni obstacle le changement de loi et que les sondages assènent que le grand public y est favorable, les soignants sont, à l’inverse, vent debout contre la réforme : dans une démarche d’une ampleur inédite, 13 organisations, représentant 800 000 soignants accompagnant chaque jour des personnes en fin de vie, ont lancé un cri d’alarme en déclarant dans une tribune leur opposition à faire de la mort médicalement provoquée un acte de leur quotidien. L’obligation de procéder à ce geste « questionne fondamentalement la pratique et l’éthique soignantes » et conduirait à « subvertir la notion même de soin ». Car, comme le rappelle Claire Fourcade dans notre sélection, « donner la mort n’est pas un acte de soin ».
Le serment d’Hippocrate, qui fonde l’engagement des personnels soignants depuis 2 400 ans, est sans appel et interdit formellement ce type d’acte : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Il s’agirait donc d’un « glissement éthique majeur », explique la tribune qui propose d’emprunter une autre direction en « laissant le monde du soin à l’écart de toute implication dans une forme de mort administrée » et en « améliorant significativement le cadre d’accompagnement des personnes en fin de vie ». Même si la loi intégrait une clause de conscience comme l’a demandé le président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) le 15 septembre dernier dans le Quotidien du Médecin, cette clause serait certainement aussi difficile à invoquer que celle qui existe théoriquement pour éviter de pratiquer un avortement. Par ailleurs, pour les organisations représentant les soignants, le plus urgent n’est pas de changer une loi qui convient dans l’immense majorité des cas, mais de faire bien davantage pour la prise en charge de la douleur et l’universalité des soins palliatifs. Au lieu de conduire à la multiplication de situations dramatiques (cf. toutes les expériences de légalisation de l’euthanasie à l’étranger) et de mettre en danger les plus faibles (cf. le livre Docteur, ai-je le droit de vivre encore un peu ? de Tugdual Derville), cet effort permettrait une amélioration réelle et concrète de l’accompagnement de la fin de vie, comme pourrait être aussi très importante une véritable formation des médecins et du personnel soignant en soins palliatifs qui se trouvent régulièrement confrontés à des cas limites et difficiles où il faut discerner avec prudence s’il y a ou non acharnement thérapeutique.
Le projet de loi actuel pose, en fait, une question à la démocratie : un processus démocratique s’appuyant sur une majorité de personnes non impliquées a-t-il le droit d’imposer à des personnes impliquées une pratique qui heurte profondément leur conscience et leur pratique séculaire de la médecine et du soin ? Peut-on toucher, au gré des majorités législatives fluctuantes et d’une opinion publique influencée par les médias et les idéologies du moment, aux fondements de la civilisation ? Le commandement fondateur « Tu ne tueras pas » peut-il être réexaminé, mis au vote, nié et rejeté ? Son exact opposé peut-il être imposé par une majorité populaire désinvolte à des personnels soignants qui n’en veulent pas ? Il est clair que la loi transgressive qui se profile nous décharge de notre responsabilité collective sur d’autres qui devront exécuter des actes graves et traumatisants et qu’elle pose de ce fait un énorme problème moral.
La parabole peut s’appliquer au grand public et aux soignants sur l’euthanasie : l’un est concerné, l’autre est impliqué. Le sujet s’adresse à tout le monde, bien sûr, mais pour le grand public, cela restera globalement une question assez lointaine, tandis que, pour les personnels soignants qui seront, si la loi passe, obligés de préparer eux-mêmes le produit létal, de faire eux-mêmes le geste de piquer, et d’injecter eux-mêmes le poison mortel dans le corps de leur patient, la perspective est tout autre.
Ce rapport différent et inégal au sujet explique le décalage total entre le public et les soignants. Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie vient de se prononcer à une large majorité en faveur de l’euthanasie, que les députés s’apprêtent à voter sans problème ni obstacle le changement de loi et que les sondages assènent que le grand public y est favorable, les soignants sont, à l’inverse, vent debout contre la réforme : dans une démarche d’une ampleur inédite, 13 organisations, représentant 800 000 soignants accompagnant chaque jour des personnes en fin de vie, ont lancé un cri d’alarme en déclarant dans une tribune leur opposition à faire de la mort médicalement provoquée un acte de leur quotidien. L’obligation de procéder à ce geste « questionne fondamentalement la pratique et l’éthique soignantes » et conduirait à « subvertir la notion même de soin ». Car, comme le rappelle Claire Fourcade dans notre sélection, « donner la mort n’est pas un acte de soin ».
Le serment d’Hippocrate, qui fonde l’engagement des personnels soignants depuis 2 400 ans, est sans appel et interdit formellement ce type d’acte : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Il s’agirait donc d’un « glissement éthique majeur », explique la tribune qui propose d’emprunter une autre direction en « laissant le monde du soin à l’écart de toute implication dans une forme de mort administrée » et en « améliorant significativement le cadre d’accompagnement des personnes en fin de vie ». Même si la loi intégrait une clause de conscience comme l’a demandé le président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) le 15 septembre dernier dans le Quotidien du Médecin, cette clause serait certainement aussi difficile à invoquer que celle qui existe théoriquement pour éviter de pratiquer un avortement. Par ailleurs, pour les organisations représentant les soignants, le plus urgent n’est pas de changer une loi qui convient dans l’immense majorité des cas, mais de faire bien davantage pour la prise en charge de la douleur et l’universalité des soins palliatifs. Au lieu de conduire à la multiplication de situations dramatiques (cf. toutes les expériences de légalisation de l’euthanasie à l’étranger) et de mettre en danger les plus faibles (cf. le livre Docteur, ai-je le droit de vivre encore un peu ? de Tugdual Derville), cet effort permettrait une amélioration réelle et concrète de l’accompagnement de la fin de vie, comme pourrait être aussi très importante une véritable formation des médecins et du personnel soignant en soins palliatifs qui se trouvent régulièrement confrontés à des cas limites et difficiles où il faut discerner avec prudence s’il y a ou non acharnement thérapeutique.
Le projet de loi actuel pose, en fait, une question à la démocratie : un processus démocratique s’appuyant sur une majorité de personnes non impliquées a-t-il le droit d’imposer à des personnes impliquées une pratique qui heurte profondément leur conscience et leur pratique séculaire de la médecine et du soin ? Peut-on toucher, au gré des majorités législatives fluctuantes et d’une opinion publique influencée par les médias et les idéologies du moment, aux fondements de la civilisation ? Le commandement fondateur « Tu ne tueras pas » peut-il être réexaminé, mis au vote, nié et rejeté ? Son exact opposé peut-il être imposé par une majorité populaire désinvolte à des personnels soignants qui n’en veulent pas ? Il est clair que la loi transgressive qui se profile nous décharge de notre responsabilité collective sur d’autres qui devront exécuter des actes graves et traumatisants et qu’elle pose de ce fait un énorme problème moral.
La sélection
Donner la mort n'est pas un acte de soin
Le Figaro