L’intifada sur TikTok : vieux conflit, nouveau champ de bataille
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L’intifada sur TikTok : vieux conflit, nouveau champ de bataille

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°1284, Publiée le 25/05/2021
Le volcan israélo-palestinien s’est réveillé brutalement. Cette éruption a surpris les observateurs. On pensait que l’accord d’Abraham conclu le 13 août 2020, sous patronage américain, entre Israël et de nombreux pays arabes (en premier lieu l’Arabie Saoudite), allait durablement geler le vieux conflit en Palestine. Le Hamas se retrouvait isolé et son parrain iranien sous pression… L’arrivée de Joe Biden à la présidence a brouillé les cartes. Le nouveau président a cherché à renouer le dialogue avec l’Iran tout en prenant ses distances avec la monarchie saoudienne. On peut raisonnablement penser que ce changement de pied a joué un rôle dans cette nouvelle éruption de violence. Mais pour la première fois, tout a commencé sur un champ de bataille virtuel. C’est sur l’application chinoise TikTok que l’étincelle a mis le feu aux poudres le mois dernier…

Une vidéo encourageait les utilisateurs à se filmer en train d’agresser des Juifs orthodoxes dans la rue. En réponse, un groupe d’extrémistes juifs a manifesté sa colère. Des bagarres ont éclaté contre des Arabes israéliens à la Porte de Damas. C’est donc en partant d’une application populaire chez les adolescents que tout a dégénéré. « C’est un concours à celui qui obtiendra le plus de « likes » et de « vues » a expliqué un garçon de 15 ans.

Bienvenue dans un nouveau monde où des ados en mal de reconnaissance sont en mesure de réveiller un conflit, et de lui donner un écho mondial ! Le génie des algorithmes est d’identifier ce que l’on apprécie et d’en fournir toujours plus. YouTube fait dans la vidéo, Facebook et Instagram dans la photo, Twitter y ajoute des discussions, mais le petit dernier, TikTok, combine toutes ces options, offrant un format très populaire à près de 730 millions d’utilisateurs. Dès le début des nouvelles violences en Israël et à Gaza, personne ne pouvait échapper aux images et aux commentaires sans aucune analyse à froid des événements rapportés… La viralité globale est telle que ce type de contenu parcourt le monde en quelques secondes. C’est ce qui explique la multiplication des manifestations propalestiniennes dans les grandes métropoles du village-monde. Les applications comme TikTok exacerbent le penchant bien humain à diviser le monde entre « bons » et « mauvais ». Ce qui rend la résolution de conflits compliqués d’autant plus difficile. En plus de fournir l’étincelle, les réseaux sociaux jettent de l’huile sur le feu.

Il y a juste une décennie, on pensait naïvement que les réseaux sociaux allaient permettre aux êtres humains de communiquer plus facilement, de mieux se comprendre… La démocratie devait gagner en interdisant aux dictatures, aux injustices du quotidien de rester dans l’ombre. Les révoltes du printemps arabe en 2011 n’ont pas été provoquées mais facilitées par Twitter et Facebook. Mais ce sont bien des puissances étrangères qui ont éliminé Kadhafi et alimenté les rebelles syriens.

Une étape a été franchie dans la seconde moitié de la décennie 2010. Les réseaux ont gagné en audience, leurs algorithmes en pouvoir sur les individus. Plus un « post » est choquant, plus il a du succès. Les foules ont trouvé un espace virtuel où les pulsions les plus violentes peuvent s’exprimer librement. Les personnalités politiques adoptent typiquement un ton plus agressif sur Twitter que face à des journalistes. Un public qui ne montrait aucun intérêt pour la politique internationale se retrouve à casser du mobilier urbain après avoir consulté quelques courtes vidéos. Le « monde d’avant » médiatique n’était pas parfait mais offrait plus de garanties en termes de distance face à l’événement et d’analyse.

On suspecte donc les réseaux sociaux de favoriser les divisions pour générer toujours plus de milliards. A Washington comme à Bruxelles, on cherche des moyens de mieux contrôler les GAFAM. Imposer la censure sur certains sujets reviendrait à limiter la liberté d’expression. On régulerait alors l’opinion populaire plutôt que les « Big Techs ». Casser les positions dominantes est une option qui paraît incontournable pour favoriser l’apparition d’acteurs concurrents. Mais l’émergence de TikTok, révélée par la nouvelle Intifada, démontre que la multiplication des acteurs n’est pas une solution définitive. Nous avons du moins le droit d’exiger la transparence de ces nouveaux géants. Quand Twitter a décidé de bannir le Président des Etats-Unis en exercice, Donald Trump, on attendait une justification circonstanciée. Si, aujourd’hui, TikTok fait circuler du contenu en faveur de la cause palestinienne, le public a le droit de savoir comment et pourquoi.

L’invention de l’imprimerie a eu des répercussions majeures : développement des savoirs et déclenchement de conflits sanglants. Nous sommes à un nouveau tournant qui dévoile les mêmes risques. Il est encore temps de maîtriser ces nouveaux acteurs aux pouvoirs immenses, estime l’essayiste James Ball, dans le magazine britannique The Spectator (en lien ci-dessous). 
La sélection
L’intifada sur TikTok : vieux conflit, nouveau champ de bataille
TikTok intifada : the role of new media in old conflicts
The Spectator
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