Économie
L'explosion sociale peut-elle être évitée ?
Les journalistes – c’est bien connu – n’annoncent que des mauvaises nouvelles. Pour deux raisons : la première, c’est que sang et les larmes donnent de l’épaisseur à la vie, alors que le divertissement en souligne la vacuité. Ne dit-on pas que les peuples heureux n’ont pas d’histoire ? Les tragédies ennoblissent l’info. Le journaliste qui en parle se sent investi d’une mission morale. La seconde, c’est que la peur a une valeur marchande. Les media amplifient les situations tragiques qui les nourrissent. Le traitement de la pandémie en fut une illustration. Aussi quand un journaliste prophétise un cataclysme, il y a lieu de le soupçonner de vouloir faire l’intéressant et de nous fourguer quelque chose. On pourrait le penser de l’article de Marc Landré, chargé de l’économie au Figaro. Selon lui, la rentrée ne sera pas difficile, comme le prévoit l’exécutif, mais « apocalyptique ». Sur l’échelle de Richter de l’anxiomètre, l’épithète ne souffre aucune comparaison. De fait, le PIB va dévisser d’au moins 11 % ; les déficits, prêts bancaires, aides et autres cautères sociales vont atteindre des centaines de milliards (ce qui devient très abstrait) ; quant aux destructions d’emploi, elles « vont sans doute frôler le million sur l’année ». À cela s’ajoutent les centaines de milliers de jeunes, de 700.000 à 900.000, qui « vont trouver portes closes dans les entreprises privées qui ont déjà gelé toutes leurs embauches ». Bigre. « Du jamais vu en temps de paix ! » relève Marc Landré. « On peut craindre le pire si une plus grande part de la population se mobilise – à commencer par sa jeunesse qui se voit déjà sacrifiée. »
L’explosion sociale peut-elle être évitée ? Qu’en disent les oracles du capitalisme ? Après trois jours de débats à Paris, Les Rencontres économiques d'Aix-en-Seine viennent de lancer un appel autour de 15 propositions. Financé par des grands groupes, cet événement promeut le Cercle des économistes, sorte de confrérie présidée par Jean-Hervé Lorenzi. L’ancien professeur à Dauphine se définit lui-même comme un « Jacques Attali au petit pied ». Il fait partie, selon Laurent Mauduit de Mediapart, de ces « experts médiatiques au service de la finance » – qui conseilla Nicolas Sarkozy et soutint François Hollande, en même temps... Comme tant d’autres, il fait l’essuie-glace entre la droite et la gauche, plus précisément « entre le centre-droit et le centre-gauche » et sert sur un plateau TV à peu près toujours le même plat, « celui de la raison néolibérale (…) des milieux dominants ». Or que préconise le Cercle des économistes ? En tête de ses propositions, il demande « au MEDEF, à la CPME et à l’U2P de s’engager avant fin juillet afin que les entreprises s’engagent à recruter au minimum un jeune en fin d’études. Ce recrutement sera pris en charge totalement ou partiellement par l'État pour une durée d'un an », lit-on dans la déclaration finale des Rencontres, également signée la fondation catholique Les apprentis d'Auteuil. Tiens, tiens, l’État serait-il l’ultime recours ? Cette proposition a de quoi surprendre car ils font penser aux emplois administrés qui masquaient le chômage au temps du paradis socialiste. Ces économistes ont-ils peur de la rue au point de vouloir acheter la paix sociale au frais de la collectivité ? « Pour ceux n’ayant pas pu bénéficier de ce dispositif, [Il faut] proposer de poursuivre une formation pour une durée d’un an tout en étant rémunérés au RSA ». Ce filet de sécurité est pourtant bien peu néolibéral... Ce cercle, auquel appartiennent Patrick Artus, Jean-Paul Betbèze ou Christian Saint-Étienne, propose même d'instaurer « une allocation unique universelle qui regroupe toutes les prestations sociales existantes de lutte contre la pauvreté et la précarité en une seule prestation unique, évolutive et simple ». Ce dispositif est-il compatible avec un « État frugal » (6e proposition) ? Mais peut-être s’agit-il là aussi d’arroser, au deux sens du terme : dépenser pour éteindre l’incendie qui couve ?
D’autres propositions s’inspirent du pragmatisme anglo-saxon, comme celle d’un « Buy European Act » pour que les gouvernements s'engagent à acheter européen, ou celle de « créer des agences européennes sur le modèle des DARPA et BARDA américaines pour financer les innovations de rupture. Ces agences couvriraient les domaines de la défense, de l’énergie, du numérique et de la santé ». De belles idées qui ne verront jamais le jour tant que les Américains vassaliseront l’UE.
Une chose frappe ici : les économistes s’en remettent aux politiques, sans proposer de solution issue de la recherche en science économique. Pourtant, c’est ce qu’on attend d’eux. L’opinion est toujours obligée de penser dans le même cadre, bien que les verbes « réguler » ou « relocaliser » marquent des points depuis la pandémie.
L’explosion sociale peut-elle être évitée ? Qu’en disent les oracles du capitalisme ? Après trois jours de débats à Paris, Les Rencontres économiques d'Aix-en-Seine viennent de lancer un appel autour de 15 propositions. Financé par des grands groupes, cet événement promeut le Cercle des économistes, sorte de confrérie présidée par Jean-Hervé Lorenzi. L’ancien professeur à Dauphine se définit lui-même comme un « Jacques Attali au petit pied ». Il fait partie, selon Laurent Mauduit de Mediapart, de ces « experts médiatiques au service de la finance » – qui conseilla Nicolas Sarkozy et soutint François Hollande, en même temps... Comme tant d’autres, il fait l’essuie-glace entre la droite et la gauche, plus précisément « entre le centre-droit et le centre-gauche » et sert sur un plateau TV à peu près toujours le même plat, « celui de la raison néolibérale (…) des milieux dominants ». Or que préconise le Cercle des économistes ? En tête de ses propositions, il demande « au MEDEF, à la CPME et à l’U2P de s’engager avant fin juillet afin que les entreprises s’engagent à recruter au minimum un jeune en fin d’études. Ce recrutement sera pris en charge totalement ou partiellement par l'État pour une durée d'un an », lit-on dans la déclaration finale des Rencontres, également signée la fondation catholique Les apprentis d'Auteuil. Tiens, tiens, l’État serait-il l’ultime recours ? Cette proposition a de quoi surprendre car ils font penser aux emplois administrés qui masquaient le chômage au temps du paradis socialiste. Ces économistes ont-ils peur de la rue au point de vouloir acheter la paix sociale au frais de la collectivité ? « Pour ceux n’ayant pas pu bénéficier de ce dispositif, [Il faut] proposer de poursuivre une formation pour une durée d’un an tout en étant rémunérés au RSA ». Ce filet de sécurité est pourtant bien peu néolibéral... Ce cercle, auquel appartiennent Patrick Artus, Jean-Paul Betbèze ou Christian Saint-Étienne, propose même d'instaurer « une allocation unique universelle qui regroupe toutes les prestations sociales existantes de lutte contre la pauvreté et la précarité en une seule prestation unique, évolutive et simple ». Ce dispositif est-il compatible avec un « État frugal » (6e proposition) ? Mais peut-être s’agit-il là aussi d’arroser, au deux sens du terme : dépenser pour éteindre l’incendie qui couve ?
D’autres propositions s’inspirent du pragmatisme anglo-saxon, comme celle d’un « Buy European Act » pour que les gouvernements s'engagent à acheter européen, ou celle de « créer des agences européennes sur le modèle des DARPA et BARDA américaines pour financer les innovations de rupture. Ces agences couvriraient les domaines de la défense, de l’énergie, du numérique et de la santé ». De belles idées qui ne verront jamais le jour tant que les Américains vassaliseront l’UE.
Une chose frappe ici : les économistes s’en remettent aux politiques, sans proposer de solution issue de la recherche en science économique. Pourtant, c’est ce qu’on attend d’eux. L’opinion est toujours obligée de penser dans le même cadre, bien que les verbes « réguler » ou « relocaliser » marquent des points depuis la pandémie.