Économie
Les juges de Karlsruhe ne sont pas nationalistes
Ainsi donc, depuis le 5 mai, une crise institutionnelle affecte la zone euro. La banque centrale (BCE) se retrouve sous le coup d’un ultimatum lancé par le Tribunal constitutionnel fédéral allemand. Outre-Rhin, le BverfG (Bundesverfassungsgericht) équivaut à la Cour suprême US. Par leur arrêt du 5 mai, les juges germaniques indiquent que la BCE excède son mandat. Ils visent le programme de rachat massif de la dette publique, soit l'essentiel des 2.600 mds € injectés sur les marchés entre mars 2015 et décembre 2018 dans le cadre du « QE » (Quantitative easing), réactivé en novembre dernier. Ce programme s’appelle PSPP (programme de rachat de dette du secteur public). Ce jugement ne concerne donc pas le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) décidé en mars par la BCE.
Dans LSDJ n°763, l'homme d'affaires Jean-François Hénin parla pertinemment des conséquences de cet arrêt et renvoya à l’interprétation de l'économiste Charles Gave, président de l’Institut des Libertés. L'opinion de ce financier libéral anti-euro est que « toute mutualisation de dettes en Europe (…) est strictement interdite et par le Traité [de Maastricht] et surtout par la Constitution Allemande ». Et il indique les points limitant la délégation de souveraineté de la Bundesbank à la BCE.
Mais tous les libéraux n’interprètent pas l’arrêt de la même manière. Le concept de souveraineté les divise. Si Charles Gave y est attaché, Éric Chaney, conseiller économique de l’Institut Montaigne, l’est moins. Pour l’ancien chef économiste d’AXA, cet arrêt n’est sans doute qu’« une aigreur judiciaire sans conséquence pratique ». Jaloux de son prestige, la Cour de Karlsruhe ferait une « guerre des juges » à la Cour de justice européenne (CJE). Entreprise vaine. Selon Éric Chaney, « la BCE n’est "justiciable" que devant la CJE ». La Bundesbank transmettra au Parlement (Bundestag) l’argumentaire que lui fourniront les banquiers centraux. Point barre. En clair, la BCE n'a pas de comptes à rendre à une justice nationale.
De toute façon, souligne Éric Chaney, « la Cour allemande reconnaît que les politiques quantitatives sont parfaitement légales, qu’elles relèvent de la politique monétaire et non pas du financement monétaire des États membres » proscrit par l’UE. C’est le point-clé : la banque centrale ne cesse de plaider pour cet « assouplissement quantitatif » comme solution anti-crise. Ses détracteurs y voient un financement illégal du train de vie des États. Mais au grand dam des requérants, les juges de Karlsruhe ne font pas ce procès-là. Ce que fournira la BCE, c’est un argumentaire sur l’ampleur et non le principe du PSPP. Quant à l’idée de forcer la Bundesbank à vendre les obligations qu’elle détient, « cela ne se produira évidemment pas », ajoute Éric Chaney. Une telle issue « pourrait relever le coût de financement de l’Allemagne au moment où ses besoins explosent ». La réaction des marchés le prouve : au moment où l’arrêt est tombé, le rendement des obligations allemandes augmentait de 10 points de base.
Les juges de Karlsruhe ne sont pas nationalistes. Les arrêts Solange I et II (1974, 1986) sur les droits fondamentaux montrent qu'ils ne freinent pas la construction européenne mais l'accompagnent au plus près. L’arrêt du 5 mai obéit au même esprit : la politique monétaire relève de la compétence exclusive de l’Union, alors que la politique économique et budgétaire demeure du ressort des États membres. C'est une faille et un flou. Les magistrats allemands veulent eux-mêmes contrôler le PSPP, arguant que la CJE laisse la banque européenne s'aventurer sur un terrain qui n'est pas le sien. C'est d'abord une question de droit. La BCE n'a qu'une compétence monétaire consistant à garantir un certain niveau d'inflation. Gare à tout débordement. Mais, observe Éric Chaney, « l’argument relève du débat d’économistes plutôt que de juristes. Il est difficile d’établir sur quel terrain on pourrait critiquer la CJE pour avoir considéré les justifications de la BCE satisfaisantes ». On s'approche ici de la querelle d'Allemand...
L'arrêt pose la question de la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes. Depuis Maastricht (1992), des États comme la France ou l’Allemagne rongent leurs piliers fondateurs. Du coup, l’arrêt du 5 mai ressemble à un sursaut. La BCE se voit coincée entre une cour de justice supranationale (CJE) et la cour de justice nationale la plus puissante (Karlsruhe). L’équilibre devient politique. Éric Chaney pense que cet arrêt peut accélérer « l’évolution de la zone euro vers une forme de fédéralisme plus prononcée qu’aujourd’hui ». C'est une hypothèse.
Dans LSDJ n°763, l'homme d'affaires Jean-François Hénin parla pertinemment des conséquences de cet arrêt et renvoya à l’interprétation de l'économiste Charles Gave, président de l’Institut des Libertés. L'opinion de ce financier libéral anti-euro est que « toute mutualisation de dettes en Europe (…) est strictement interdite et par le Traité [de Maastricht] et surtout par la Constitution Allemande ». Et il indique les points limitant la délégation de souveraineté de la Bundesbank à la BCE.
Mais tous les libéraux n’interprètent pas l’arrêt de la même manière. Le concept de souveraineté les divise. Si Charles Gave y est attaché, Éric Chaney, conseiller économique de l’Institut Montaigne, l’est moins. Pour l’ancien chef économiste d’AXA, cet arrêt n’est sans doute qu’« une aigreur judiciaire sans conséquence pratique ». Jaloux de son prestige, la Cour de Karlsruhe ferait une « guerre des juges » à la Cour de justice européenne (CJE). Entreprise vaine. Selon Éric Chaney, « la BCE n’est "justiciable" que devant la CJE ». La Bundesbank transmettra au Parlement (Bundestag) l’argumentaire que lui fourniront les banquiers centraux. Point barre. En clair, la BCE n'a pas de comptes à rendre à une justice nationale.
De toute façon, souligne Éric Chaney, « la Cour allemande reconnaît que les politiques quantitatives sont parfaitement légales, qu’elles relèvent de la politique monétaire et non pas du financement monétaire des États membres » proscrit par l’UE. C’est le point-clé : la banque centrale ne cesse de plaider pour cet « assouplissement quantitatif » comme solution anti-crise. Ses détracteurs y voient un financement illégal du train de vie des États. Mais au grand dam des requérants, les juges de Karlsruhe ne font pas ce procès-là. Ce que fournira la BCE, c’est un argumentaire sur l’ampleur et non le principe du PSPP. Quant à l’idée de forcer la Bundesbank à vendre les obligations qu’elle détient, « cela ne se produira évidemment pas », ajoute Éric Chaney. Une telle issue « pourrait relever le coût de financement de l’Allemagne au moment où ses besoins explosent ». La réaction des marchés le prouve : au moment où l’arrêt est tombé, le rendement des obligations allemandes augmentait de 10 points de base.
Les juges de Karlsruhe ne sont pas nationalistes. Les arrêts Solange I et II (1974, 1986) sur les droits fondamentaux montrent qu'ils ne freinent pas la construction européenne mais l'accompagnent au plus près. L’arrêt du 5 mai obéit au même esprit : la politique monétaire relève de la compétence exclusive de l’Union, alors que la politique économique et budgétaire demeure du ressort des États membres. C'est une faille et un flou. Les magistrats allemands veulent eux-mêmes contrôler le PSPP, arguant que la CJE laisse la banque européenne s'aventurer sur un terrain qui n'est pas le sien. C'est d'abord une question de droit. La BCE n'a qu'une compétence monétaire consistant à garantir un certain niveau d'inflation. Gare à tout débordement. Mais, observe Éric Chaney, « l’argument relève du débat d’économistes plutôt que de juristes. Il est difficile d’établir sur quel terrain on pourrait critiquer la CJE pour avoir considéré les justifications de la BCE satisfaisantes ». On s'approche ici de la querelle d'Allemand...
L'arrêt pose la question de la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes. Depuis Maastricht (1992), des États comme la France ou l’Allemagne rongent leurs piliers fondateurs. Du coup, l’arrêt du 5 mai ressemble à un sursaut. La BCE se voit coincée entre une cour de justice supranationale (CJE) et la cour de justice nationale la plus puissante (Karlsruhe). L’équilibre devient politique. Éric Chaney pense que cet arrêt peut accélérer « l’évolution de la zone euro vers une forme de fédéralisme plus prononcée qu’aujourd’hui ». C'est une hypothèse.