Christianisme
L'Église est-elle jacobine ?
Violentés par des semaines de confinement, les catholiques vont retrouver leurs églises pour la Pentecôte. Depuis l’Ascension, le culte reprend ici ou là de manière « sanitairement correcte ». Il y aura encore des interdits à respecter mais le retour à la normale se profile.
Normale ? Pas si sûr.
Un retour d’expérience s’impose. Peut-on dire que cette privation de vie sociale fut bien gérée ? Dès les premières heures du confinement, les prêtres, en ordre dispersé, poursuivirent leur ministère en célébrant la messe par écran interposé. Ainsi pensaient-ils pallier l’éloignement de la Présence réelle. Sur le coup, on y vit le signe d’une réactivité de bon aloi : l’Église parvenait à se redéployer efficacement. De plus, les clercs profitaient de l'oisiveté imposée à leurs ouailles pour raffermir les liens avec une communauté devenue virtuelle. À cette situation inédite répondit une certaine dramaturgie – comme si l’on avait vécu le couvre-feu sous l’Occupation. Tout un discours sur le « manque » se mêla au climat médiatique obsessionnel que la pandémie faisait se répandre dans les esprits.
Certains commentateurs pointèrent une exploitation de la situation. Sur son blog, René Poujol, ancien patron du Pèlerin, écrivit que « l’obligation à la messe dominicale est un commandement de l’Église, pas un commandement divin ! » et que celle-ci, de toute façon, « est pour beaucoup l’expérience de l’ennui ». Même le philosophe Denis Moreau, auteur de l’essai remarqué Comment peut-on être catholique ? (Seuil, 2018), eut cette phrase : « Moi qui n’ai jamais raté la messe du dimanche depuis plus de 30 ans, je dois bien avouer (…) qu’en vrai ne pas communier ne me manque pas. » Et Poujol de renchérir : « Le manque éprouvé était-il de nature communautaire ou sacramentel ? » Ces messes à distance libérèrent une parole sur une forme de routine : ne va-t-on pas à l’église parce qu’il s’agit d’une oasis au milieu du désert relationnel contemporain ? Le parvis demeure un vrai lieu de socialisation, même si le troupeau est clairsemé. Partout dans le monde, se dit-on, l’église du coin peut donner accès à des « gens de confiance ». Mais ce que souligna la réclusion, c'était juste le besoin de relations sociales, rien de plus. Le confinement fit-il apparaître le Bon Dieu comme un alibi ? Ce procès fut soulevé par le père Alphonse Borras dans la Nouvelle Revue Théologique. Comme l’œil poursuit Caïn, ce professeur émérite de droit canonique de l'Université de Louvain zyeute cette espèce de fidèles qui « fait de sa propre survie la principale valeur de son engagement ». Survie sociale, s'entend. Pour résumer, le confinement menaça d’asphyxie une sociologie paroissiale et les messes à distance servirent de respirateur artificiel.
Bien que d'une autre sensibilité, Grégory Solari n'est pas loin de penser la même chose. Cet éditeur et universitaire suisse, spécialiste de John Henry Newman, est connu pour son ton mesuré. Son blog hébergé par La Croix situe bien son état esprit : « (...) Progressistes-conservateurs : les clivages perdurent dans l’Église et sont souvent entretenus par le primat accordé à l’attachement à une communauté plutôt qu’à l’Église dans son entier. » Tiens tiens : on retrouve l'argument sociologique énoncé par Poujol. Grégory Solari nomma son papier « Absence réelle » – un titre à la Libé. Celui-ci déclencha un tsunami de commentaires suivi d'une mise au point. À ses yeux, « les célébrations à distance réintroduisent un sacramentalisme abstrait (« communion de désir ») en même temps que le cléricalisme qui fait système avec lui ». Si ce choix convient à la « messe en latin » – « qui ne possède pas de rite de communion » –, celui-ci crée un décalage par rapport la synodalité chère au pape François. Car sur quoi repose la ligne post-Vatican II ? « Sur la communauté – (…) le Peuple saint des baptisés », répond Solari. Or ladite communauté se retrouva exclue subito, condamnée à la réclusion spirituelle. Écran rimait avec écrou.
Pouvait-on faire autrement ? L’universitaire eut droit d'héberger le Saint-Sacrement. Selon lui, il fallait rappeler que les foyers chrétiens sont de petites églises domestiques (ecclésiola). Ce confinement offrait l’occasion de les responsabiliser, « plutôt que de les maintenir dans cette posture passive (…) d’une pastorale pensée par et (…) pour les pasteurs ». La critique est un peu facile mais il est révélateur, si on écoute Solari, que les clercs aient préférer exister sur YouTube, alors qu'ils auraient pu déconfiner les baptisés chez eux. Précision essentielle : pour celui qui enseigne à l'université de Genève, l'ecclésiola ne s'oppose pas à la vie paroissiale mais la renforce. En aucun cas, Solari ne cherche des noises au clergé. Tout juste est-il influencé par l'esprit de conciliation helvétique et le dialogue avec les réformés en Suisse. Malgré ses montagnes, c’est en France qu’on chérit le sommet et qu'on soit curé ou ministre, finalement, tout le monde est jacobin.
Normale ? Pas si sûr.
Un retour d’expérience s’impose. Peut-on dire que cette privation de vie sociale fut bien gérée ? Dès les premières heures du confinement, les prêtres, en ordre dispersé, poursuivirent leur ministère en célébrant la messe par écran interposé. Ainsi pensaient-ils pallier l’éloignement de la Présence réelle. Sur le coup, on y vit le signe d’une réactivité de bon aloi : l’Église parvenait à se redéployer efficacement. De plus, les clercs profitaient de l'oisiveté imposée à leurs ouailles pour raffermir les liens avec une communauté devenue virtuelle. À cette situation inédite répondit une certaine dramaturgie – comme si l’on avait vécu le couvre-feu sous l’Occupation. Tout un discours sur le « manque » se mêla au climat médiatique obsessionnel que la pandémie faisait se répandre dans les esprits.
Certains commentateurs pointèrent une exploitation de la situation. Sur son blog, René Poujol, ancien patron du Pèlerin, écrivit que « l’obligation à la messe dominicale est un commandement de l’Église, pas un commandement divin ! » et que celle-ci, de toute façon, « est pour beaucoup l’expérience de l’ennui ». Même le philosophe Denis Moreau, auteur de l’essai remarqué Comment peut-on être catholique ? (Seuil, 2018), eut cette phrase : « Moi qui n’ai jamais raté la messe du dimanche depuis plus de 30 ans, je dois bien avouer (…) qu’en vrai ne pas communier ne me manque pas. » Et Poujol de renchérir : « Le manque éprouvé était-il de nature communautaire ou sacramentel ? » Ces messes à distance libérèrent une parole sur une forme de routine : ne va-t-on pas à l’église parce qu’il s’agit d’une oasis au milieu du désert relationnel contemporain ? Le parvis demeure un vrai lieu de socialisation, même si le troupeau est clairsemé. Partout dans le monde, se dit-on, l’église du coin peut donner accès à des « gens de confiance ». Mais ce que souligna la réclusion, c'était juste le besoin de relations sociales, rien de plus. Le confinement fit-il apparaître le Bon Dieu comme un alibi ? Ce procès fut soulevé par le père Alphonse Borras dans la Nouvelle Revue Théologique. Comme l’œil poursuit Caïn, ce professeur émérite de droit canonique de l'Université de Louvain zyeute cette espèce de fidèles qui « fait de sa propre survie la principale valeur de son engagement ». Survie sociale, s'entend. Pour résumer, le confinement menaça d’asphyxie une sociologie paroissiale et les messes à distance servirent de respirateur artificiel.
Bien que d'une autre sensibilité, Grégory Solari n'est pas loin de penser la même chose. Cet éditeur et universitaire suisse, spécialiste de John Henry Newman, est connu pour son ton mesuré. Son blog hébergé par La Croix situe bien son état esprit : « (...) Progressistes-conservateurs : les clivages perdurent dans l’Église et sont souvent entretenus par le primat accordé à l’attachement à une communauté plutôt qu’à l’Église dans son entier. » Tiens tiens : on retrouve l'argument sociologique énoncé par Poujol. Grégory Solari nomma son papier « Absence réelle » – un titre à la Libé. Celui-ci déclencha un tsunami de commentaires suivi d'une mise au point. À ses yeux, « les célébrations à distance réintroduisent un sacramentalisme abstrait (« communion de désir ») en même temps que le cléricalisme qui fait système avec lui ». Si ce choix convient à la « messe en latin » – « qui ne possède pas de rite de communion » –, celui-ci crée un décalage par rapport la synodalité chère au pape François. Car sur quoi repose la ligne post-Vatican II ? « Sur la communauté – (…) le Peuple saint des baptisés », répond Solari. Or ladite communauté se retrouva exclue subito, condamnée à la réclusion spirituelle. Écran rimait avec écrou.
Pouvait-on faire autrement ? L’universitaire eut droit d'héberger le Saint-Sacrement. Selon lui, il fallait rappeler que les foyers chrétiens sont de petites églises domestiques (ecclésiola). Ce confinement offrait l’occasion de les responsabiliser, « plutôt que de les maintenir dans cette posture passive (…) d’une pastorale pensée par et (…) pour les pasteurs ». La critique est un peu facile mais il est révélateur, si on écoute Solari, que les clercs aient préférer exister sur YouTube, alors qu'ils auraient pu déconfiner les baptisés chez eux. Précision essentielle : pour celui qui enseigne à l'université de Genève, l'ecclésiola ne s'oppose pas à la vie paroissiale mais la renforce. En aucun cas, Solari ne cherche des noises au clergé. Tout juste est-il influencé par l'esprit de conciliation helvétique et le dialogue avec les réformés en Suisse. Malgré ses montagnes, c’est en France qu’on chérit le sommet et qu'on soit curé ou ministre, finalement, tout le monde est jacobin.
La sélection
Absence réelle
La Croix