Légion d’honneur : controverse autour d’un ruban rouge
Société

Légion d’honneur : controverse autour d’un ruban rouge

Par Jacques Lucchesi. Synthèse n°1481, Publiée le 12/01/2022
Contrairement à un préjugé répandu, la Légion d’honneur n’avait pas, à l’origine, vocation à ne récompenser que les seuls hauts faits d’armes. Quand Bonaparte (encore premier consul) la créa en mai 1802, il entendait distinguer tant la bravoure militaire que les multiples talents issus de la société civile. Certes, ses maréchaux (Murat, Ney, Soult, entre autres) furent les premiers à l’accrocher à leur poitrine. Mais des savants (Cuvier, Monge), des industriels (Oberkampf, Delessert) et des artistes (David, Gros, Houdon) furent également promus sous l’Empire. Une noblesse républicaine prendra forme autour de cet ordre qui place le mérite au dessus de la naissance, actant la diversité des services rendus à la patrie.

Evidemment, avec les guerres du XXème siècle, les prétendants au ruban rouge vont majoritairement sortir des rangs de l’armée et de la Résistance, entraînant une inflation de récipiendaires (320 000 en 1962). D’où la décision de De Gaulle de fixer à 125 000 le nombre des décorés vivants. L’Ordre National du Mérite, qu’il crée en 1963 quasiment sur le même modèle, se chargera d’attribuer un nouvel insigne républicain à tous ceux qui, sans cela, seraient restés à la porte de la reconnaissance publique. Précisons que dans les deux cas, nul ne peut en faire la demande pour soi. Celle-ci se fait sur la base d'un dossier constitué par une administration, un préfet ou une association ; dossier qui sera ensuite transmis à un ministre qui décidera (ou pas) d'en faire la proposition. D'autre part, ces décorations n’ouvrent pas de droits à une substantielle pension.

Avec 547 nominés par décret au Journal Officiel, la promotion du 1er janvier 2022 se situe bien en dessous du plafond annuel fixé à 2250 personnes. Dans un souci réaffirmé de parité, on y trouve des personnalités peu connues ou reconnues (comme l’historienne Michèle Perrot, élevée au grade de grand officier) venant de divers horizons : culture, sports, associations, travail, médecine, politique. Si la nomination au grade de commandeur de Jean-François Delfraissy, immunologue et président du conseil scientifique Covid-19, n’a soulevé aucune controverse, il n’en est pas allé de même pour Agnès Buzyn, promue au grade de chevalier – le premier degré dans l’échelle de l’Ordre.

Certes Agnès Buzyn n’est pas n’importe qui. Elle possède un CV impressionnant, non seulement dans la recherche médicale (hématologue et enseignante-chercheuse) mais aussi dans les institutions publiques, comme L'institut National du Cancer et la Haute Autorité de Santé, qu'elle présida. Elle a été enfin ministre des solidarités et de la santé dans le gouvernement d’Edouard Philippe entre 2017 et 2020, avant de s’engager dans la campagne pour la mairie de Paris. Cette distinction serait largement méritée, malgré l’impopularité de quelques-unes de ses mesures, comme le déremboursement de quatre médicaments contre la maladie d’Alzheimer en 2018 et celui, progressif, des produits homéopathiques en 2019. Sans parler de son parti-pris pour la retraite à 65 ans.

Mais la principale ombre au tableau reste sa désinvolture dans la gestion de la crise débutante du Covid-19. Il y eût d'abord sa déclaration publique du 24 janvier 2020 qui minimisait le risque d'extension à la France de l’épidémie de coronavirus, alors que celle-ci flambait déjà depuis un mois en Chine, à Wu Han. Selon elle « Les risques de propagation du coronavirus dans la population étaient très faibles. ». Deux jours plus tard, elle déclarait que « les masques chirurgicaux sont totalement inutiles pour les personnes non contaminées » et qu'il n'y avait « aucune indication à acheter des masques pour la population française. ». On sait ce qu’il adviendra quelques semaines plus tard. Et pourtant, si l'on en croit ses propos dans Le Monde du 17 mars 2020, elle savait dès janvier que « la vague du tsunami était devant nous. ».

Depuis, 14 500 plaintes ont été déposées contre sa gestion peccamineuse de cette crise sanitaire et 16 d’entre elles ont été jugées recevables par la Cour de Justice de la République – où elle comparaîtra dès le 30 juin 2020. Enfin, le 10 septembre 2021, Agnès Buzyn est mise en examen, avec le statut de témoin assisté, pour « mise en danger de la vie d’autrui » par cette même institution. On comprend pourquoi sa Légion d’honneur a suscité, dès son annonce, les vives critiques de l’opposition, du Rassemblement National à la France Insoumise en passant par les Républicains. Rappelons que dans le cas où elle serait condamnée, elle pourrait bien se la voir retirée, ainsi que le prévoient les textes de loi.

Mais de tout cela, Emmanuel Macron n’a cure. En tant que président de la République, il est le garant suprême des Ordres Nationaux et entend bien assumer ses choix jusqu’au bout. Une attitude souveraine qui devrait, tout comme ses dérapages verbaux, être exploitée par ses adversaires durant la prochaine campagne présidentielle.
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Légion d’honneur : controverse autour d’un ruban rouge
Après une démission et une mise en examen, Agnès Buzyn décroche la Légion d'honneur
Marianne
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