Sciences
Les maths à l'épreuve du virus
À 53 ans, Laurent Lafforgue est une sommité française trop peu connue. Lauréat de la médaille Fields en 2002, l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques, ce normalien, professeur à l'Institut des hautes études scientifiques (IHES), devient membre de l’Académie des Sciences l’année suivante, à 36 ans.
Ses convictions classiques lui valurent de démissionner du Haut Conseil de l’Éducation (2005). Proche de la Fondation pour l’école, Laurent Lafforgue se fait le héraut de l’instruction publique « canal historique ». Il dénonce la méthode globale et promeut les langues anciennes. Son site contient une multitude de réflexions de grande tenue.
Notre homme vient de publier dans L’Obs repris par Les Crises une tribune dénommée De l’utilité des mathématiques pour comprendre la dynamique des pandémies. Sans être alarmiste, le mathématicien ne partage pas une position très répandue dans les milieux qui l’apprécient pourtant, celle qui consiste à minimiser la propagation du virus. Il met en garde contre les attitudes désinvoltes observées depuis le déconfinement, comme si l'irresponsabilité devenait l’étendard de nos libertés.
Ici, Laurent Lafforgue prend les mathématiques à témoin. Tout élève de lycée et même de fin de collège peut les comprendre. Sa modélisation recourt aux notions de multiplication, de division, de puissances successives d'un nombre r :
r^n = "r puissance n" = "r exposant n" = produit de r par lui-même n fois.
La seule formule employée est : (r - 1) . (1 + r + r^2 + ... + r^n ) = r^(n+1) - 1.
Que dit Laurent Lafforgue ?
Qu’avec 250 000 morts, les pays occidentaux paient leur mauvais enseignement de base, des mathématiques en particulier. Sur une kyrielle de sujets (immigration, démographie, etc.), politiques et media ne parlent que de chiffres absolus. Or, c’est le coefficient multiplicateur qui compte, ce que l’on comprit très vite en Extrême-Orient. Laurent Lafforgue explique : « Ce coefficient dépend du fameux R0, le nombre moyen de personnes que chaque personne infectée contamine à son tour, mais aussi du temps moyen entre deux contaminations. Il est plus important que le R0. Il pouvait être estimé dès la fin janvier par les statistiques publiques chinoises, avant d’être confirmées par celles de l’Italie puis des autres pays occidentaux à partir de la fin février. » Qu’est-ce à dire ? « Que la nature “géométrique” d’une épidémie signifie que chaque intervalle de temps de retard dans la réaction multiplie le nombre final des victimes par ce coefficient. »
Selon Laurent Lafforgue, l’ampleur du mal était multipliée par au moins 10 tous les dix jours, autrement dit par au moins 2 tous les trois jours. La Chine confina le 22 janvier avec 17 morts et la France le 17 mars avec 175 morts. En valeur absolue, la différence ne paraît pas sidérante. Mais pris de manière dynamique, cet écart devient cataclysmique car la fonction exponentielle ne peut être interrompue que par les mesures de distanciation sociale et de confinement. En clair, précise Laurent Lafforgue, « si ces mesures avaient été prises dix jours plus tôt, nous aurions aujourd’hui seulement quelques milliers de morts. Si elles avaient été prises trois jours plus tôt, nous aurions environs 2 fois moins de morts ». Mais « si ces mesures avaient été prises dix jours plus tard, nous aurions aujourd’hui des centaines de milliers de morts. »
Laurent Lafforgue s’appuie sur des chiffres officiels. Il intègre les aléas arithmétiques : on pourrait se dire par exemple que si 3 personnes en contaminent 30, 30 personnes n’en contaminent pas 90, car les 30 fréquentent principalement celles qui les infectèrent. Ses calculs tiennent compte aussi du décalage puisqu’une victime de l’épidémie ne meurt pas tout de suite.
À l’arrivée, le mathématicien établit un classement : « la Chine a été la plus rapide, suivie de l’Allemagne, suivie de la France, de l’Espagne et de l’État de New York, suivis de l’Italie (qui a été la première frappée en Europe) et du Royaume-Uni. » Une médaille de bronze pour le duo Macron-Philippe ? Pas si sûr. Car les pouvoirs publics viennent une nouvelle fois de modifier leur mode de calcul (-720 par rapport au total précédent : 152 045 à 151 325). Une information cruciale disparaît. La seule donnée qui compte est le quotient du comptage de chaque semaine par celui de la semaine précédente. Or l’épidémie n’est pas terminée. Le nombre des nouvelles contaminations identifiées est passé de 3015 dans la semaine du 18 au 24 mai à 6518 dans la semaine du 25 au 31 mai. Dans quelle mesure cette tendance va-t-elle se confirmer et le nouveau mode de calcul la reflétera-t-il ? C’est toute la question à cette heure-ci.
Ses convictions classiques lui valurent de démissionner du Haut Conseil de l’Éducation (2005). Proche de la Fondation pour l’école, Laurent Lafforgue se fait le héraut de l’instruction publique « canal historique ». Il dénonce la méthode globale et promeut les langues anciennes. Son site contient une multitude de réflexions de grande tenue.
Notre homme vient de publier dans L’Obs repris par Les Crises une tribune dénommée De l’utilité des mathématiques pour comprendre la dynamique des pandémies. Sans être alarmiste, le mathématicien ne partage pas une position très répandue dans les milieux qui l’apprécient pourtant, celle qui consiste à minimiser la propagation du virus. Il met en garde contre les attitudes désinvoltes observées depuis le déconfinement, comme si l'irresponsabilité devenait l’étendard de nos libertés.
Ici, Laurent Lafforgue prend les mathématiques à témoin. Tout élève de lycée et même de fin de collège peut les comprendre. Sa modélisation recourt aux notions de multiplication, de division, de puissances successives d'un nombre r :
r^n = "r puissance n" = "r exposant n" = produit de r par lui-même n fois.
La seule formule employée est : (r - 1) . (1 + r + r^2 + ... + r^n ) = r^(n+1) - 1.
Que dit Laurent Lafforgue ?
Qu’avec 250 000 morts, les pays occidentaux paient leur mauvais enseignement de base, des mathématiques en particulier. Sur une kyrielle de sujets (immigration, démographie, etc.), politiques et media ne parlent que de chiffres absolus. Or, c’est le coefficient multiplicateur qui compte, ce que l’on comprit très vite en Extrême-Orient. Laurent Lafforgue explique : « Ce coefficient dépend du fameux R0, le nombre moyen de personnes que chaque personne infectée contamine à son tour, mais aussi du temps moyen entre deux contaminations. Il est plus important que le R0. Il pouvait être estimé dès la fin janvier par les statistiques publiques chinoises, avant d’être confirmées par celles de l’Italie puis des autres pays occidentaux à partir de la fin février. » Qu’est-ce à dire ? « Que la nature “géométrique” d’une épidémie signifie que chaque intervalle de temps de retard dans la réaction multiplie le nombre final des victimes par ce coefficient. »
Selon Laurent Lafforgue, l’ampleur du mal était multipliée par au moins 10 tous les dix jours, autrement dit par au moins 2 tous les trois jours. La Chine confina le 22 janvier avec 17 morts et la France le 17 mars avec 175 morts. En valeur absolue, la différence ne paraît pas sidérante. Mais pris de manière dynamique, cet écart devient cataclysmique car la fonction exponentielle ne peut être interrompue que par les mesures de distanciation sociale et de confinement. En clair, précise Laurent Lafforgue, « si ces mesures avaient été prises dix jours plus tôt, nous aurions aujourd’hui seulement quelques milliers de morts. Si elles avaient été prises trois jours plus tôt, nous aurions environs 2 fois moins de morts ». Mais « si ces mesures avaient été prises dix jours plus tard, nous aurions aujourd’hui des centaines de milliers de morts. »
Laurent Lafforgue s’appuie sur des chiffres officiels. Il intègre les aléas arithmétiques : on pourrait se dire par exemple que si 3 personnes en contaminent 30, 30 personnes n’en contaminent pas 90, car les 30 fréquentent principalement celles qui les infectèrent. Ses calculs tiennent compte aussi du décalage puisqu’une victime de l’épidémie ne meurt pas tout de suite.
À l’arrivée, le mathématicien établit un classement : « la Chine a été la plus rapide, suivie de l’Allemagne, suivie de la France, de l’Espagne et de l’État de New York, suivis de l’Italie (qui a été la première frappée en Europe) et du Royaume-Uni. » Une médaille de bronze pour le duo Macron-Philippe ? Pas si sûr. Car les pouvoirs publics viennent une nouvelle fois de modifier leur mode de calcul (-720 par rapport au total précédent : 152 045 à 151 325). Une information cruciale disparaît. La seule donnée qui compte est le quotient du comptage de chaque semaine par celui de la semaine précédente. Or l’épidémie n’est pas terminée. Le nombre des nouvelles contaminations identifiées est passé de 3015 dans la semaine du 18 au 24 mai à 6518 dans la semaine du 25 au 31 mai. Dans quelle mesure cette tendance va-t-elle se confirmer et le nouveau mode de calcul la reflétera-t-il ? C’est toute la question à cette heure-ci.