Le retour des autocrates en Asie du Sud-Est ou la résurrection des cloportes
International

Le retour des autocrates en Asie du Sud-Est ou la résurrection des cloportes

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°1626, Publiée le 30/06/2022
Les crises successives – le Covid-19 puis la guerre en Ukraine – ont relégué l’Asie du Sud-Est dans l’ombre de l’actualité internationale. Plusieurs anciens dirigeants corrompus et autoritaires en ont profité pour reconquérir le pouvoir. Le communautarisme et les tensions religieuses, combinés à une faiblesse des institutions politiques, sont des moisissures dont ils comptent bien profiter pour arriver à leur fin. Au Myanmar (ex-Birmanie) l’année dernière, un coup d’état militaire a interrompu une décennie de démocratisation prudente. En Malaisie et aux Philippines, les kleptocrates chassés de leurs trônes sont en train de regagner les faveurs d’une partie de l’opinion publique. On aurait tort de ne pas s’intéresser à ce qui se trame dans une région dite « émergente » sur le plan économique, prévient Imran Said depuis la Malaisie (voir son article en lien).

L’intervention de l’armée birmane à Rangoon le 1er février 2021 a été le premier signal. Dans l’indifférence des grands médias internationaux, c’est une guerre civile qui ravage ce pays opposant le « Tatmadaw » (le nom officiel de l’armée birmane) aux « Forces de Défense du Peuple » (« PDF ») qui regroupent des mouvements de résistance à travers le pays. La monnaie locale s’est écroulée de 30% depuis février dernier. Alors que la croissance économique atteignait une moyenne de 7% par an dans les années 2011-2016, elle s’est évaporée. Si la junte corrompue a repris les rênes du pouvoir, elle n’a pas réussi à reconquérir le pays. Les « PDF » ont installé leurs propres administrations dans les zones rurales « libérées » et sont passées à l’offensive. Elles attaquent des bases militaires et sont responsables d’assassinats ciblés sur des officiels du gouvernement. On estime que ce conflit a fait 11 000 morts en 2021…

Aux Philippines, le fils de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos a remporté une victoire écrasante le 9 mai dernier : 60% des voix alors que son premier rival en remportait moins de 28%... C’est une revanche de la famille Marcos chassée du pouvoir en 1986, après avoir mis le pays en coupe réglée pendant une vingtaine d’années… Quand le clan Marcos a fui pour Hawaï, c’est avec une fortune estimée à 10 milliards de dollars. Les efforts du gouvernement philippin pour récupérer cette fortune depuis lors sont aujourd’hui remis en question.

Dans la Malaisie voisine, l’ancien Premier Ministre Najib Tun Razak parti après sa défaite électorale en mai 2018, cherche à revenir. La coalition Barisan Nasional (« Front National ») a perdu cette élection après 61 ans de règne sans partage depuis l’indépendance obtenue du Royaume-Uni en 1957. Un énorme scandale a savonné la planche de Najib et révélé l’étendue de la corruption dans ce pays. 700 millions de dollars avaient atterri sur le compte personnel du Premier Ministre en exercice. Aucune explication cohérente n’avait pu être fournie par l’intéressé quant à la provenance d’un « don » aussi généreux venu de la péninsule arabique… Et encore ! Ces 700 millions de dollars que le richissime Najib n’avait pas remarqué sur son relevé de compte, ne seraient que le sommet d’un iceberg de 4,5 milliards de dollars. C’est en effet la somme siphonnée du fonds étatique "1MDB"… Une fois défait dans les urnes, Najib a été condamné à 12 ans de prison pour abus de pouvoir et blanchiment d’argent en 2021. Toujours libre après avoir fait appel, il garde le soutien d’une partie importante de la majorité malaise. Le Barisan National a remporté des élections dans les États du Johor (mars 2022) et de Malacca (novembre 2021) en Malaisie occidentale. Et Najib était la figure centrale de la campagne… Il est en train, avec d’autres leaders de l’UMNO (parti malais appartenant au Barisan Nasional) qui traînent eux aussi de lourdes casseroles, d’exercer une pression majeure sur Ismail Sabri Yaakob, le Premier Ministre en exercice. Leur but ? Déclencher des élections générales anticipées que le Barisan Nasional gagnerait largement… Et qui permettrait à un Najib revenu au sommet de s’accorder un généreux pardon. D’ailleurs, une enquête lancée en 2021 contre le juge qui a condamné Najib semble être une étape préparatoire en vue d’exonérer l’homme qui a reçu 700 millions de dollars « à l’insu de son plein gré ».

Quelle est la raison du retour en grâce de ces crapules ? Imran Said répond sans détour : l’effet délétère du communautarisme. La junte birmane s’est maintenue au pouvoir en jouant sur les divisions entre les 135 ethnies du pays. En Malaisie, Najib et ses acolytes de l’UMNO attisent les peurs de la majorité malaise qui bénéficie de multiples avantages : la coalition rivale, largement soutenue par les Chinois et les Indiens, voudrait les leur retirer…

Les systèmes de pouvoir en Asie du Sud-Est reposent encore largement sur la collusion de clans et la corruption. Le communautarisme est le terreau qui protège les cloportes. Jusqu’à la révolte des nouvelles générations qui, à l’opposé des « déconstructeurs » à la mode en Occident, rêvent de libérer leurs pays du piège communautaire…
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Le retour des autocrates en Asie du Sud-Est ou la résurrection des cloportes
In Southeast Asia, the bad guys are staging a comeback
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