Le pouvoir salutaire du rire
Société

Le pouvoir salutaire du rire

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°1468, Publiée le 28/12/2021
« Les sourires des gens sont le cauchemar des dictateurs » a dit le dissident chinois Liu Xiaobo. Nous vivons des temps de grands bouleversements qui laissent, a priori, peu de place à l’espérance. On est en droit de se demander si la civilisation occidentale pourra survivre au XXIème siècle… L’essayiste américain N.S. Lyons consacre son blog à la revue des bouleversements dans nos sociétés. Mais nous gardons une arme redoutable, nous dit-il dans son dernier essai (voir le lien ci-dessous), dont nous devrions faire usage sans modération en 2022 : l’humour. Le rire est le signe d’une société vivante. Examinons le corollaire à cette observation : si nous voulons un monde meilleur, commençons par rire de soi et des autres…

L’humour est d’abord un redoutable dynamiteur contre tous les autocrates et utopistes... Le ridicule sape l’autorité illégitime. Milan Kundera a écrit dans « La plaisanterie » : « Aucun grand mouvement ayant l’ambition de changer le monde ne peut supporter le sarcasme ou la moquerie, parce qu’ils sont la rouille qui corrode tout ce qu’elle touche. » C’est le propre des croyances ou religions solides que de supporter de bonne grâce la critique, a rappelé G.K. Chesterton. Nous savons instinctivement que cela s’applique aux individus et aux groupes. Nous avons une manière de « lancer des piques » et de moquer nos amis qui sert à isoler les egos mal dimensionnés, à rejeter les sociopathes en puissance, mais aussi à renforcer la cohésion du groupe. À l’inverse, le tyran ne doit son pouvoir qu’à la force, la peur ou le mensonge : c’est une position fragile qui lui fait détester toute forme de dérision.

Il n’y a pas d’humour sans une connexion avec la vérité, la chute d’une plaisanterie fonctionnant comme une révélation. L’ironie, par exemple, joue sur le fossé entre les mots et leur signification réelle. L’expérience comique, selon le sociologue Peter Berger, révèle que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. « Le roi est nu » et le fou est comme l’enfant : sa langue est une épée qui déchire le mensonge. Puisque les systèmes totalitaires sont construits sur des fondations mensongères, un seul homme libre, selon les mots de Soljenitsyne, a le pouvoir de faire s’écrouler le château de cartes. Mais le dissident choisit un chemin très périlleux. Il est nécessaire que le diseur de vérité et le fou s’associent. Ce n’est pas une coïncidence si, à la mort de Staline en 1953, 200 000 des 2,5 millions de prisonniers des goulags avaient été condamnés pour avoir osé « plaisanter ».

Ce n’est pas un hasard non plus si un rapport de l’U.E. en 2021 s’intitulait : « Ce n’est plus drôle ». Les autorités européennes dénonçaient « l’humour transgressif » d’extrémistes qui pratiqueraient une « condescendance anti-élite ». Il est urgent, selon elles, pour protéger les innocentes brebis des opinions publiques, de travailler de concert avec « Big Tech » et les « communautés de progrès » pour surveiller le contenu des réseaux sociaux…

La relation intrinsèque entre humour et réalité explique pourquoi le pouvoir autoritaire est incapable d’user de cette arme. Si la chute d’une histoire drôle n’est plus la révélation de la vérité mais la répétition du mensonge, on ne peut pas attendre de l’auditoire un rire sincère. C’est sans doute pour cela que ce rapport de l’U.E. se lamente que « contrer l’humour extrémiste par une forme d’humour alternatif se révèle être très difficile ». Le pouvoir soviétique avait essayé sans succès… Le magazine satirique « Krokodil », dont la mission était de « corriger par le rire » en se moquant des adversaires capitalistes ou des paysans était tellement nul qu’il attirait les quolibets des Russes et ne faisait que renforcer leur défiance face au Parti. Aujourd’hui, la dissidence humoristique est sur internet…

L’humour est un antidote à l’autoritarisme parce qu’il sous-entend une compréhension entre les individus. Même dans le cas où les liens que constituent une croyance ou une histoire commune sont ténus, alors la dérision agit comme un ciment qui vient les renforcer. L’humour construit un pont entre les sphères privée et sociale, et forme une barrière contre la mainmise du despote. Le rêve de l’État totalitaire – gouverner des individus isolés – est brisé à chaque fois qu’il est visé par une moquerie qui fait rire…

Le rire a une valeur profonde : il sous-entend une reconnaissance du vrai et du faux. C’est la preuve d’une conscience libre. Chesterton a dit que chaque plaisanterie avait un ressort théologique puisqu’in fine elle parle de la chute de l’Homme et révèle une humanité partagée. Ce « defensor hominis » avait sa place dans les tranchées et les camps de concentration parce qu’il y était nécessaire.

N.S. Lyons nous engage à entrer en 2022 en riant aux éclats face aux déconstructivistes qui visent à démonter ce qui nous lie : une humanité partagée. C’est un bouclier qui a fait ses preuves contre le mensonge et la bêtise !
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Le pouvoir salutaire du rire
Humor and humanity
The Upheaval
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