Politique
Le Nudge, l’art de faire passer la pilule des mesures coercitives
Ne dites plus propagande, dites Nudge, littéralement "coup de coude" en anglais. Au fond, les temps ont changé mais le principe demeure le même : inciter de manière douce les citoyens à penser ce que l’on souhaite et faire ce que l’on attend. Et pour faire passer les nombreuses pilules successives depuis le début de la pandémie de Covid-19, le gouvernement a très largement fait appel à cette technique marketing fondée sur les sciences comportementales. Mais en les appliquant à des décisions politiques et de santé publique, et sans en aviser ceux qui en sont les victimes. Vous avez dit manipulation ? En effet !
"Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes", disait Machiavel, expert s’il en fut en matière de manipulation des masses, clé essentielle au pouvoir et à sa conservation. Mais le gouvernement de l’homme par l’homme, de nos jours, repose bien plus sur le marketing issu de la publicité que sur l'appel à la raison de citoyens éclairés.
Toute la magie de la technique du nudge réside dans le fait d’influencer vos décisions sans que vous en ayez conscience… Après tout, quand il n'existe plus qu'une seule (bonne) réponse envisageable, comment se tromper ? Le Nudge est un héritage des années Obama, à compter de 2009, ou de la Behavioural Insight Team (BIT) de David Cameron. C’est a priori à Ismaël Emelien, l’un des "mormons" du premier cercle présidentiel, que l’on doit l’entrée du Nudge au gouvernement au printemps 2020. Pourtant officiellement parti en 2019 suite à l’affaire Benalla, ce proche historique d’Emmanuel Macron demeure l’un de ses proches conseillers. Il propose de faire appel aux experts en marketing comportemental du groupe BVA, pionnier en la matière en 2013 sous l’égide de Eric Singler, pour gommer les couacs de communication sur les mesures prises, et surtout déminer ces erreurs en amont. Il faut dire que la méthode a déjà été utilisée jadis pour inciter les hésitants du premier tour de la présidentielle à pencher pour le candidat Macron. Le coup de pouce suffira, en sus de l’affaire Fillon, pour lui faire atteindre un second tour impossible à perdre.
La journaliste Audrey Chabal a récemment décrypté l’usage de cet outil marketing durant la crise du Covid-19 dans son livre Souriez, vous êtes nudgé. Pour vous faire accepter une décision, et même vous donner l’impression de l’avoir pris seul, sont définis des "normes sociales", des "rôles modèles" ou "messagers", des leviers d’action et des frictions potentielles à réduire. Impossible de ne pas connaître l’expression "Français en première ligne" : c’est du Nudge, incitant chacun, inconsciemment, à connaître sa place, y rester et jouer son rôle. Parler de "masques grand public" ? C’est du Nudge, une méthode d’influence douce théorisée aux Etats-Unis par l’économiste Richard Thaler (Prix Nobel 2017) et le juriste Cass Sunstein, en 2008. On ne compte pas les notes (non publiées) facturées par les équipes de BVA soumettant des "recommandations " visant à "préparer et communiquer positivement autour du reconfinement", ou "créer un discours engageant mobilisateur, qui permette à chacun de comprendre pourquoi un reconfinement est nécessaire et de le vivre bien."
Comment métamorphoser des mesures coercitives en libres initiatives personnelles ?… Couvre-feu, pass sanitaire, obligation de vaccination… Tous ces thèmes sont "nudgés", les éléments de langage préparant l’opinion à faire un choix, ou plutôt un non choix, entre une alternative souhaitable, positive, et une autre, inacceptable et discréditée. Car là sont les deux bémols de la technique : d’une part en faire usage dans le champ politique sans en aviser les citoyens, d’autre part nécessairement fragmenter la société et l’opinion pour obtenir la réaction souhaitée. L’usage de cette technique de marketing comportemental laissera clairement des séquelles dans la société française.
Que l’exécutif s’appuie sur des experts en sciences comportementales pour inciter les Français à suivre les recommandations sanitaires pose plus largement la question du libre consentement. On est à la frontière entre propagande, manipulation de masse et techniques de communication poussées. D’autant plus qu’au coup de coude, ou de pouce, des injonctions comportementales, finit toujours par être associée l’incitation négative, la menace du coup de bâton. Telle la récente annonce de l’élargissement du pass sanitaire. Quand le Nudge ne suffit pas, la bonne vieille coercition ne tarde jamais à faire son grand retour…
"Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes", disait Machiavel, expert s’il en fut en matière de manipulation des masses, clé essentielle au pouvoir et à sa conservation. Mais le gouvernement de l’homme par l’homme, de nos jours, repose bien plus sur le marketing issu de la publicité que sur l'appel à la raison de citoyens éclairés.
Toute la magie de la technique du nudge réside dans le fait d’influencer vos décisions sans que vous en ayez conscience… Après tout, quand il n'existe plus qu'une seule (bonne) réponse envisageable, comment se tromper ? Le Nudge est un héritage des années Obama, à compter de 2009, ou de la Behavioural Insight Team (BIT) de David Cameron. C’est a priori à Ismaël Emelien, l’un des "mormons" du premier cercle présidentiel, que l’on doit l’entrée du Nudge au gouvernement au printemps 2020. Pourtant officiellement parti en 2019 suite à l’affaire Benalla, ce proche historique d’Emmanuel Macron demeure l’un de ses proches conseillers. Il propose de faire appel aux experts en marketing comportemental du groupe BVA, pionnier en la matière en 2013 sous l’égide de Eric Singler, pour gommer les couacs de communication sur les mesures prises, et surtout déminer ces erreurs en amont. Il faut dire que la méthode a déjà été utilisée jadis pour inciter les hésitants du premier tour de la présidentielle à pencher pour le candidat Macron. Le coup de pouce suffira, en sus de l’affaire Fillon, pour lui faire atteindre un second tour impossible à perdre.
La journaliste Audrey Chabal a récemment décrypté l’usage de cet outil marketing durant la crise du Covid-19 dans son livre Souriez, vous êtes nudgé. Pour vous faire accepter une décision, et même vous donner l’impression de l’avoir pris seul, sont définis des "normes sociales", des "rôles modèles" ou "messagers", des leviers d’action et des frictions potentielles à réduire. Impossible de ne pas connaître l’expression "Français en première ligne" : c’est du Nudge, incitant chacun, inconsciemment, à connaître sa place, y rester et jouer son rôle. Parler de "masques grand public" ? C’est du Nudge, une méthode d’influence douce théorisée aux Etats-Unis par l’économiste Richard Thaler (Prix Nobel 2017) et le juriste Cass Sunstein, en 2008. On ne compte pas les notes (non publiées) facturées par les équipes de BVA soumettant des "recommandations " visant à "préparer et communiquer positivement autour du reconfinement", ou "créer un discours engageant mobilisateur, qui permette à chacun de comprendre pourquoi un reconfinement est nécessaire et de le vivre bien."
Comment métamorphoser des mesures coercitives en libres initiatives personnelles ?… Couvre-feu, pass sanitaire, obligation de vaccination… Tous ces thèmes sont "nudgés", les éléments de langage préparant l’opinion à faire un choix, ou plutôt un non choix, entre une alternative souhaitable, positive, et une autre, inacceptable et discréditée. Car là sont les deux bémols de la technique : d’une part en faire usage dans le champ politique sans en aviser les citoyens, d’autre part nécessairement fragmenter la société et l’opinion pour obtenir la réaction souhaitée. L’usage de cette technique de marketing comportemental laissera clairement des séquelles dans la société française.
Que l’exécutif s’appuie sur des experts en sciences comportementales pour inciter les Français à suivre les recommandations sanitaires pose plus largement la question du libre consentement. On est à la frontière entre propagande, manipulation de masse et techniques de communication poussées. D’autant plus qu’au coup de coude, ou de pouce, des injonctions comportementales, finit toujours par être associée l’incitation négative, la menace du coup de bâton. Telle la récente annonce de l’élargissement du pass sanitaire. Quand le Nudge ne suffit pas, la bonne vieille coercition ne tarde jamais à faire son grand retour…