Le naufrage d’EDF expertisé par ses anciens patrons
Économie

Le naufrage d’EDF expertisé par ses anciens patrons

Par Philippe Oswald. Synthèse n°1774, Publiée le 20/12/2022 - Photo : nouveaux retards sur le réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville, en cours de construction depuis 2007 (Samer Al-Doumy, AFP).
Débarqués du navire, ses anciens capitaines témoignent devant l'Assemblée nationale. Les anciens PDG d'EDF, Pierre Gadonneix (2004-2009), Henri Proglio (2009-2014) et Jean-Bernard Lévy (2014-2022) ont été auditionnés par la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France". Tous pointent l'incompétence des politiques, et accusent l'Union Européenne et l'Allemagne d'être à l'origine de ce sabordage.

Les trois ex-PDG dénoncent en particulier l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) mis en place depuis juillet 2011. La France (contrairement à l'Espagne et au Portugal) continue de se plier à cette directive européenne qui ouvre à la concurrence la production d'électricité. Les trois anciens patrons d'EDF dénoncent à qui mieux mieux une "pilule empoisonnée", un "mécanisme pernicieux", "surréaliste". Concrètement, ce dispositif impose à EDF de vendre à ses concurrents son électricité nucléaire, à un prix fixé par avance, à savoir 42 euros le mégawatt-heure. "Monstrueux !", "absurde !" s'est écrié Pierre Gadonneix devant les députés le 8 décembre. Cela revient en effet pour EDF à "subventionner ses concurrents". Même son de cloche de la part du successeur de Gadonneix, Henri Proglio, auditionné le 13 décembre : "Le principe même pour un industriel d'accepter de céder sa propre production à ses concurrents virtuels, qui n'ont aucune obligation de production eux-mêmes, c'est quand même surréaliste" s'est exclamé l'ancien PDG, en expliquant que l'Arenh faisait "la fortune des traders".

Ce prix est "manifestement sous-évalué", d'autant qu'il n'a pas évolué depuis 2011 et que le prix du mégawatt-heure sur le marché de gros européen est passé sous les 42 euros à la fin de l'année 2015, a complété le 14 décembre Jean-Bernard Lévy. L'Arenh a donc infligé à EDF une double peine : non seulement le prix initial était trop bas, faisant "des concurrents d'EDF des rentiers", mais dès qu'ils ont pu acheter de l'électricité sur le marché à un prix inférieur, ceux-ci lui ont tourné le dos, plombant ses recettes en 2016 et 2017. Résultat : "Un plan de restructuration sévère (...) imposé par les agences de notation" puis l'intervention de l'État qui, sortant de sa léthargie, "a renoncé pour la première fois aux dividendes d'EDF payés cash" et a souscrit "à hauteur de 3 milliards d'euros à une augmentation de capital". Conséquence à long terme de l'Arenh, selon Pierre Gadonneix : EDF a été "privée des moyens de faire des investissements non immédiatement rentables".

Ce désastre national n'est pas arrivé par hasard. Il y a d'abord l'impéritie des gouvernements français et l'ignorance au sein de la classe politique des données scientifiques et des enjeux industriels. Témoin cet échange entre le président (LR) de la commission d'enquête et Henri Proglio : "D'où vient l'objectif de réduire la part de nucléaire à 50% du mix électrique ?" demande le président. Réponse de Proglio : "C'est complètement au doigt mouillé. Totalement ! Personne n'a jamais estimé autrement que comme ça. On n'a d'ailleurs jamais su d'où viendraient les autres 50%. Des énergies renouvelables, peut-être ?" ajoute-t-il, sarcastique.

Il y a surtout le torpillage du nucléaire français par l'Union européenne et sa vraie patronne, l'Allemagne, soumises aux diktats des Verts. À ce sujet, Henri Proglio a révélé cette conversation entre lui et la chancelière allemande Angela Merkel : "Elle m'a dit qu'elle croyait totalement au nucléaire. Mais elle devait bâtir un accord de coalition avec les Verts conservateurs". "Le pouvoir politique allemand était très conscient que la France avait un avantage particulier avec les prix de l'électricité bas", a ajouté Pierre Gadonneix, en dénonçant une "collusion bruxelloise et allemande" pour empêcher EDF de s'imposer sur le marché afin de protéger l'industrie allemande. "Comment voulez-vous que ce pays qui a fondé sa richesse, son efficacité, sa crédibilité, sur son industrie accepte que la France dispose d'un outil compétitif aussi puissant qu'EDF à sa porte ?" s'est exclamé Henri Proglio. Pour lui, "toute [la réglementation] européenne est une réglementation allemande" : si "le prix de marché a été indexé sur le gaz [c'est] parce que les Allemands utilisent le gaz" a-t-il déclaré devant les députés de la commission d'enquête. Celle-ci poursuivra les auditions en début d'année prochaine. On y commentera sans doute les derniers coups durs subis par EDF : l'entreprise vient d'annoncer l'impossibilité de redémarrer deux réacteurs nucléaires dans les délais prévus (fin janvier et mi-février), et l'arrêt en 2023 de six autres réacteurs pour des réparations de corrosion. Actuellement, 16 de nos réacteurs nucléaires sur 56 sont à l'arrêt. Jamais EDF n'a produit aussi peu d'électricité, et la France importe au prix fort des volumes records... produits par des centrales fortement polluantes.
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Le naufrage d’EDF expertisé par ses anciens patrons
« Un poison », « une monstruosité », « absurde » : le réquisitoire de trois anciens PDG d’EDF contre l’Arenh
LCP
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