
Le nationalisme, ça fonctionne ?
Mais que doit-on entendre par nationalisme ? Aux Etats-Unis, qui se sont tenus à une certaine distance des dérives nationalistes de l’Europe au XXe siècle, le terme est certes moins chargé et péjoratif qu’en Europe. Peut-être faudrait-il traduire le terme par « sentiment national » et parler, comme de Gaulle, de « nationaux » plutôt que de nationalistes. Mais il serait impropre de lui opposer le terme de « patriotisme » qui n’est, selon l’auteur, qu’une forme de nationalisme. Car il provient de la même idée, qui est que les membres d’une nation, constituée de citoyens égaux, doivent la gouverner, et ce dans l’intérêt de la nation. Cette idée est si centrale qu’elle n’est pas liée à un seul camp idéologique (on trouve des nationalismes de droite, de gauche, progressistes ou réactionnaires). Elle est si puissante que moins de 200 ans après les révolutions américaine et française, elle s’est répandue à la face du globe, façonnant les Etats-nations qui constituent aujourd’hui l’écrasante majorité du globe.
Parmi les mérites du nationalisme, il lui revient d’avoir fourni un cadre permettant l’éclosion de la démocratie et de l’Etat-providence, justifiés par l’idée d’une nation unie dans un sentiment d’appartenance et de solidarité. Ce sentiment est une intarissable source de puissance pour les Etats, qui peuvent puiser plus d’impôts dans une masse consentante et lever des armées pour la défense de la patrie (c’est la France révolutionnaire qui inventa la conscription). C’est ainsi que le nationalisme a permis de défaire les empires coloniaux ou encore l’Union soviétique.
Mais le nationalisme a une part d’ombre bien connue, et que l’auteur n’occulte pas. Il s’affirme souvent contre les autres pays et a historiquement mené à l’augmentation du risque de guerre. Il exacerbe le problème des minorités, ethniques ou linguistiques, entraînant parfois la domination exclusive de la majorité, des conflits sécessionnistes et, dans les cas extrêmes, des épurations ethniques. Les Etats qui ont pu éviter ces écueils sont ceux qui avaient une longue tradition de centralisation, comme en France, ou de partage du pouvoir entre groupes ethnolinguistiques, comme en Suisse.
Andreas Wimmer en tire deux conclusions. Premièrement, les interventions extérieures pour résoudre les crises dans les Etats fragiles seront vaines si elles ne contribuent pas à renforcer ces Etat-nations, y compris leurs sociétés civiles et leur capacité d’intégration des minorités. Deuxièmement, la crise des démocratie occidentales impose de refonder le contrat national(iste), en remettant l’accent sur l’intérêt général plutôt que sur des préférences politiques, communautaires ou géographiques, qui excluent une large part de la population, souvent au cœur de la construction historique de la nation. Si l’auteur mentionne les blancs de la working class américaine, majoritairement électeurs de Trump, on pense inévitablement à la « France périphérique » qui fournit ses contingents au mouvement des Gilets Jaunes ...
