Économie
Le coronavirus ? Un "game changer" !
Selon Bruno Le Maire, le coronavirus « aura un impact sur la croissance mondiale (…) à travers deux canaux de diffusion » : le tourisme, « la France comptant « plus de 2,5 millions de touristes chinois chaque année (…) et « les chaînes d’approvisionnement industrielles, en particulier l'industrie automobile et le secteur de la santé ». Sur ce dernier point, le ministre de l’Économie livre une information peu connue : « Nous ne pouvons pas continuer à dépendre à 80 % ou 85 % de principes actifs pour les médicaments qui sont produits en Chine, ce serait irresponsable et déraisonnable. » C’est le moins qu’on puisse dire mais qui savait que notre degré de dépendance atteignait ici une telle proportion ? Pour peu réjouissante que soit cette réalité, le coronavirus a le mérite de « gripper » la machine de la mondialisation prétendument heureuse. Pour Bruno Le Maire, cette épidémie est même « un game changer », un événement qui change la donne. Rien que ça. Et de souligner « la nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d'activités et d'être plus indépendant ». Tiens donc. La peur voire la panique sont les grandes sœurs de la lucidité. Comme si l’état d’urgence rendait subitement raisonnable. Á croire que sans le coronavirus, Bruno Lemaire n’aurait jamais pris conscience de la fragilité de notre situation, ou en tout cas ne s’en serait jamais ému.
Raymond Lévy (1927-2018), ancien p-dg de Renault, avait coutume de dire que « la mondialisation, ça consiste à donner le salaire des patrons américains aux patrons français et le salaire des ouvriers chinois aux ouvriers français ». Cet axiome appauvrit le peuple et enrichit les possédants – qui se maintiennent au pouvoir en vue de le perpétuer. Il n’est que partiellement vrai : il n’y a pas de marché mondial des patrons, lesquels restent très dépendants de logiques nationales. En revanche, moins les ouvriers sont qualifiés, plus ils sont interchangeables.
Le choix de départ est clair : production dans le tiers monde, consommation en Occident. La valeur ajoutée s’obtient par l’effet de levier publicitaire. Si une paire de chaussures de sport coûte quelques euros à fabriquer, on la vendra un bon prix en matraquant les populations-cibles. Notre désir mimétique est la clé du tiroir-caisse.
Ainsi entretient-on un système esclavagiste tout en ruinant notre industrie. Certes, il est cher de produire en France, ni la réglementation ni les syndicats ne nous y aident. Mais jamais aucun pays ne pourra supporter d'être mis en concurrence avec une tyrannie dont le réservoir humain est infini. L'Allemagne et la Suisse font exceptions car leur production haut de gamme dépend peu de l'élasticité-prix.
La mondialisation n'est pas que le biais par lequel les puissants s'enrichissent. La mise en concurrence des travailleurs permet d'exercer une domination :
1. en mettant au rebut la main d’œuvre non qualifiée. Notre économie devient si peu résiliente qu'elle se révèle incapable d’insérer les personnes mal orientées dans leurs études ou celles, souvent étrangères, n’ayant que des bras pour survivre. Ce point est à nuancer car il existe des niches de services très rémunérateurs (ex. : auxiliaire de vie, « nounous »).
2. en gelant les salaires. Le chômage, en disciplinant le corps social, lui fait accepter son sort. Il joue le même rôle que le goulag : rendre la contestation impossible.
3. en obligeant à cultiver une mobilité permanente, et à se qualifier toujours plus. Mais jusqu’à quels sanctuaires se réfugier pour ne pas subir la loi de l’esclavagisme ? Si la Chine croît par transpiration, elle se développe de plus en plus par innovation. Encore faudrait-il que l’État en France crée des conditions adaptées à cette réalité-là. Or, dissuadés de s'engager, beaucoup songent à devenir fonctionnaires, c’est-à-dire à se préserver de la mondialisation. Ce faisant, l’immobilisme gagne, les impôts et les déficits se creusent car la population non productive s'accroît, que les aînés vieillissent et ne se renouvellent pas assez. La précarité encourage le « made in China ».
Au bout du compte, sacrifier la production nationale est beaucoup plus qu'un choix économique. C'est le rapport à la vie qui change, devient moins concret, plus captif des figures imposées par la publicité. L'outil s'éloigne au profit d'une mentalité tertiarisée. Cette évolution contribue à déviriliser nos sociétés, à les pétrir de tout un discours axé sur les loisirs et la facilité, sur le tout accessible – qui sont à l’esprit ce que le « made in China » est à la matière. Il ne s'agit pas de regretter Les Temps modernes mais de réhabiliter le travail productif, le geste de la main. Le talent plutôt que l'écran !
Paradoxe : la mise en concurrence des travailleurs abîme la planète et contredit les injonctions écologiques. Est-il normal que le prix du fret soit si bas, comme si la distance n'existait pas ? À présent, on est impatient de savoir quel coup de génie nous promet Bruno Le Maire sur l'échiquier de la mondialisation heureuse.
Raymond Lévy (1927-2018), ancien p-dg de Renault, avait coutume de dire que « la mondialisation, ça consiste à donner le salaire des patrons américains aux patrons français et le salaire des ouvriers chinois aux ouvriers français ». Cet axiome appauvrit le peuple et enrichit les possédants – qui se maintiennent au pouvoir en vue de le perpétuer. Il n’est que partiellement vrai : il n’y a pas de marché mondial des patrons, lesquels restent très dépendants de logiques nationales. En revanche, moins les ouvriers sont qualifiés, plus ils sont interchangeables.
Le choix de départ est clair : production dans le tiers monde, consommation en Occident. La valeur ajoutée s’obtient par l’effet de levier publicitaire. Si une paire de chaussures de sport coûte quelques euros à fabriquer, on la vendra un bon prix en matraquant les populations-cibles. Notre désir mimétique est la clé du tiroir-caisse.
Ainsi entretient-on un système esclavagiste tout en ruinant notre industrie. Certes, il est cher de produire en France, ni la réglementation ni les syndicats ne nous y aident. Mais jamais aucun pays ne pourra supporter d'être mis en concurrence avec une tyrannie dont le réservoir humain est infini. L'Allemagne et la Suisse font exceptions car leur production haut de gamme dépend peu de l'élasticité-prix.
La mondialisation n'est pas que le biais par lequel les puissants s'enrichissent. La mise en concurrence des travailleurs permet d'exercer une domination :
1. en mettant au rebut la main d’œuvre non qualifiée. Notre économie devient si peu résiliente qu'elle se révèle incapable d’insérer les personnes mal orientées dans leurs études ou celles, souvent étrangères, n’ayant que des bras pour survivre. Ce point est à nuancer car il existe des niches de services très rémunérateurs (ex. : auxiliaire de vie, « nounous »).
2. en gelant les salaires. Le chômage, en disciplinant le corps social, lui fait accepter son sort. Il joue le même rôle que le goulag : rendre la contestation impossible.
3. en obligeant à cultiver une mobilité permanente, et à se qualifier toujours plus. Mais jusqu’à quels sanctuaires se réfugier pour ne pas subir la loi de l’esclavagisme ? Si la Chine croît par transpiration, elle se développe de plus en plus par innovation. Encore faudrait-il que l’État en France crée des conditions adaptées à cette réalité-là. Or, dissuadés de s'engager, beaucoup songent à devenir fonctionnaires, c’est-à-dire à se préserver de la mondialisation. Ce faisant, l’immobilisme gagne, les impôts et les déficits se creusent car la population non productive s'accroît, que les aînés vieillissent et ne se renouvellent pas assez. La précarité encourage le « made in China ».
Au bout du compte, sacrifier la production nationale est beaucoup plus qu'un choix économique. C'est le rapport à la vie qui change, devient moins concret, plus captif des figures imposées par la publicité. L'outil s'éloigne au profit d'une mentalité tertiarisée. Cette évolution contribue à déviriliser nos sociétés, à les pétrir de tout un discours axé sur les loisirs et la facilité, sur le tout accessible – qui sont à l’esprit ce que le « made in China » est à la matière. Il ne s'agit pas de regretter Les Temps modernes mais de réhabiliter le travail productif, le geste de la main. Le talent plutôt que l'écran !
Paradoxe : la mise en concurrence des travailleurs abîme la planète et contredit les injonctions écologiques. Est-il normal que le prix du fret soit si bas, comme si la distance n'existait pas ? À présent, on est impatient de savoir quel coup de génie nous promet Bruno Le Maire sur l'échiquier de la mondialisation heureuse.