
Le "conservatisme", nouvelle Internationale
Du colloque de Rome à l’élection en Thuringe, il y a plus qu’une similitude. La question migratoire devient si aiguë qu’elle commence à faire sauter les verrous très forts imposés par la culture mémorielle ouest-allemande. Depuis sa naissance il y a 7 ans, et contrairement à la situation autrichienne, toutes les formations politiques, y compris la CDU, excluent de coopérer avec l’AfD, parti anti-migrants et anti-élites, principale force d'opposition au Bundestag avec 89 députés. L’AfD n’est rien d’autre que l’enfant que Merkel eut sur le tard, l’enfant rejeté de sa politique généreuse – qu’elle lègue à une Allemagne désorientée et affaiblie. Figurez-vous que, comme l’écrivait le Times of Israël dès septembre 2018, « apparemment, parmi certains Juifs, les craintes nourries face au nazisme à l’AfD ont été éclipsées par la peur de l’antisémitisme au sein de plus d’un million de réfugiés musulmans arrivés depuis 2015 en Allemagne ». 75 ans après la libération d’Auschwitz, qui eût imaginé pareille « éclipse » ? De même, qui eût imaginé un sommet populiste co-organisé par une figure israélienne ?
Un autre verrou demeure, et de taille : le pape François. Le conservatisme essaie d’enfoncer un coin entre la sociologie catholique et le Vatican, entre une opinion craintive et une institution fragilisée, notamment par les affaires de mœurs. Sous Reagan, l’Église romaine apparaissait comme l’aumônerie du camp du bien face à l’ogre soviétique et quatre présidents américains s‘étaient rendus aux obsèques de Karol Wojtyła ! Mais, une fois le Mur tombé, on oublia vite que Jean-Paul II avait aussi mis en garde contre les errements du paradigme consumériste.
Le pape François se retrouve un peu dans la situation d’Angela Merkel : il est « travaillé » par une opinion que son discours pro-migrants ne cesse de déboussoler. Les droites dites « populistes », « identitaires » ou « conservatrices » savent dédoubler la vision chrétienne dans leur registre : nostalgie du paradis perdu ou d’un âge d’or, Sauveur et homme providentiel, vision eschatologique et mythe de la décadence, etc. Les mots peuvent inviter à des connivences voire à des basculements, et l’on comprend comment, selon Marion Maréchal, « la tradition conservatrice française adhère au catholicisme mais peut être hostile à l’Église ». En appeler au christianisme pour unir l’Europe et en exclure les indésirables ne peut évidemment pas convenir au chef de l’Église universelle, sauf à souscrire à un malentendu. Mais en ne faisant pas de l’avenir de l’Europe sa priorité, le pape risque de rendre une opinion encore christianisée toujours plus étrangère à l’Église et à ses messages.