L'archipel du dragon rouge
International

L'archipel du dragon rouge

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°1473, Publiée le 03/01/2022
Le « contrat du siècle » entre la France et l’Australie a fait les frais de la nouvelle alliance AUKUS dans le Pacifique. Les États-Unis s’inquiètent de l’agressivité chinoise sur les zones bordant ses frontières, tout particulièrement en Mer de Chine méridionale. Depuis des années, les analystes voient dans cette partie du monde le nouveau centre névralgique des tensions internationales. Le but majeur de la Chine reste de faire venir dans son giron l’île rebelle de Taïwan : c’est une constante de la propagande du Parti Communiste au pouvoir. Mais un assaut sur cette grande île montagneuse et bien défendue serait évidemment très couteux et risqué. Bradley Devlin, pour The American Conservative (voir son article en lien), soutient que le « dragon rouge » n’a pas intérêt à précipiter les choses. Sa priorité est d’abord de tester la volonté américaine à soutenir ses alliés asiatiques après le retrait calamiteux d’Afghanistan…

Les Chinois se sont enhardis à naviguer ou voler très près de la zone de défense taïwanaise. Cette attitude a eu le désavantage d’alarmer les membres du Congrès U.S. – Démocrates comme Républicains – qui se demandent s’il n’est pas temps de reconsidérer l’ambiguïté stratégique liée au Taïwan Relations Act de 1979. Après la reconnaissance de la République Populaire de Chine, Washington avait dû revoir ses relations avec Taïwan. L’objectif de cette loi était à la fois d’empêcher une déclaration d’indépendance unilatérale d’une « République de Chine » et une annexion par la Chine continentale. Les Américains ne s’engageaient pas à intervenir pour Taïwan mais autorisaient les ventes d’armes à des fins défensives. Pékin ne veut surtout pas pousser les Américains à s’engager à défendre Taïwan…

La priorité est de tester la volonté de réaction américaine tout en maintenant une pression maximale sur Taïpei. Cibler des îlots revendiqués par Taïwan est une stratégie qui permettrait de poursuivre ces deux objectifs. Elle garde une part de risque, mais limitée. La Chine a deux options possibles : capturer les îles de Kinmen et Matsu ou alors les chaînes d’îlots des Paracels et Spratleys. Kinmen et Matsu présentent l’avantage d’offrir un succès garanti car elles ne sont quasiment pas défendues. S’attaquer aux Paracels et Spratleys pose un problème diplomatique : d’autres pays de la région y ont des prétentions comme le Vietnam et les Philippines.

Si l’objectif premier de Pékin est de tester la réaction occidentale, et que toucher à Taïwan est jugé trop risqué, alors d’autres options existent… En 2013, les Philippines ont fait appel à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) pour faire barrage à l’avance chinoise en Mer de Chine. Trois ans plus tard, le tribunal d’arbitrage de la CNUDM a jugé « illégales » les prétentions chinoises sur les archipels Paracels et Spratleys. Il a aussi indiqué que toute action contre des navires philippins dans cette zone constituerait une violation de souveraineté des Philippines. Pékin a déclaré cet arbitrage « nul et non avenu ». S’attaquer à des rochers isolés dans les Spratleys est une option qui serait en ligne avec la non-reconnaissance de la décision de la CNUDM. Le problème est que l’administration Biden a maintenu que le traité de défense en vigueur avec Manille couvrait l’archipel des Spratleys… Au nord-est de la région, les îles Senkaku sont une autre cible. Les Japonais ont déjà déclaré qu’ils défendraient le moindre bout de caillou en cas d’agression. Là encore, Washington a confirmé qu’ils interviendraient au côté de Tokyo, en vertu de l’accord de sécurité qui les lie.

L’option à moindre risque pour la Chine ? Continuer à faire sortir de l’eau des îlots artificiels en bordure des zones revendiquées par ses voisins. Depuis 2016, la vocation de ces plateformes de cailloux et de ciment est devenue clairement militaire. Étendre peu à peu sa présence en Mer de Chine, c’est aussi augmenter son contrôle sur les énormes richesses de son sous-sol. On estime qu’y dorment des réserves inexploitées équivalentes à plus de 11 milliards de barils de pétrole et 5,4 mille milliards de mètres cubes de gaz naturel. Aujourd’hui, près de 40% du gaz naturel liquéfié transporté dans le monde (en plus de biens estimés à 3,37 mille milliards de dollars) passent par la Mer de Chine méridionale chaque année. Pas loin de 40% des échanges commerciaux de la Chine avec le monde (et 80% de ses importations énergétiques) empruntent la même voie. Les ressources en poissons et coraux sont, enfin, abondantes dans cette mer.

L’Occident risque de passer le XXIème siècle à décider s’il veut continuer à dominer le monde, juste survivre, ou se laisser mourir… La Chine sait que le temps joue pour elle et qu’elle dispose de multiples options pour tester la réactivité de son rival principal. Les Occidentaux ont besoin d’une stratégie pour répondre dans le temps long aux velléités chinoises tout en refondant une relation avec cette nouvelle puissance.
La sélection
L'archipel du dragon rouge
The red dragon's archipelago
The American Conservative
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