La mobilisation en Russie : pas de retour possible ?
International

La mobilisation en Russie : pas de retour possible ?

Par Peter Bannister. Synthèse n°1700, Publiée le 25/09/2022
« Ce n'est pas du bluff »... les médias occidentaux ont passé beaucoup de temps à scruter ces paroles désormais très citées de Vladimir Poutine dans son discours du 21 septembre qui marque clairement le début d'une nouvelle phase de la guerre en Ukraine. Menaçant d'utiliser tous les moyens pour défendre les intérêts nationaux de la Russie contre l'Occident, y compris des armes dont il a loué la grande modernité, Poutine a ordonné la mobilisation de réservistes et l'organisation immédiate de « référendums » dans quatre régions occupées d'Ukraine. La logique de la déclaration du président russe est claire et comporte deux points. Premièrement, les scrutins – initialement prévus pour novembre – visent clairement l'annexion immédiate de ces régions par la Fédération de Russie. Les nouveaux conscrits pourraient donc légalement rejoindre les régions ukrainiennes concernées (devenues territoires russes) sans déclaration de guerre officielle. Deuxièmement, les opérations militaires ukrainiennes dans ces zones pourraient désormais être perçues comme une attaque contre la Russie elle-même. De nombreux commentateurs en ont tiré la conclusion alarmante que cela pourrait fournir le prétexte nécessaire à l'utilisation d'armes nucléaires, comme prévu par la doctrine militaire du Kremlin, pour défendre l'intégrité territoriale de la Russie.

Au niveau de la réception du décret par l’opinion publique en Russie, on estime que son « commandeur suprême » essaie une tour d’équilibriste, voulant plaire aux ultra-nationalistes, très critiques envers sa gestion de la guerre, sans procéder à la mobilisation générale, jugée très impopulaire. Cependant, les mesures de mobilisation même partielle – anticipées la veille par un vote de la Douma pour mettre en place des sanctions très dures contre d’éventuels déserteurs – ont plutôt été mal accueillies par la partie de la population russe directement concernée. Officiellement, le ministre de la défense Sergueï Shoïgu a parlé de mobiliser 300 000 personnes, mais le journal d’opposition Novaya Gazeta a affirmé que le paragraphe n°7 du décret, caché du public, parlerait plutôt d’un million de conscrits éventuels (1,2 millions selon le site dissident Meduza). Si, pour des raisons évidentes, les protestations ouvertes en Russie ont été relativement peu suivies, beaucoup de Russes potentiellement mobilisables semblent avoir cherché à fuir. Les vols en sens unique vers des pays accueillant les Russes sans visa (Turquie, Serbie, Azerbaïdjan, Arménie) ont été pris d’assaut. À la frontière avec la Géorgie – où la mémoire de l’invasion russe de 2008 reste pourtant vive – on a constaté des fils d’attente de 24 heures pour les voitures voulant quitter le territoire russe.

Pour l’instant, la question de l’attitude à adopter envers ces refuseniks divise l’Europe. La ministre de l’intérieur allemande Nancy Faeser ainsi que le ministre de la justice Marco Buschmann ont signalé que Berlin serait prête à leur accorder l’asile politique, mais les voisins directs de la Russie se sont montrés plus circonspects. En Finlande, le seul pays de l’UE dont la frontière avec la Russie reste relativement ouverte, le gouvernement a décidé vendredi de ne plus accueillir les Russes ayant des visas de tourisme des pays de l’espace Schengen. Les pays baltes ainsi que la Pologne ont carrément décidé de fermer leurs frontières aux citoyens russes. Le ministre letton des Affaires étrangères a cité des motifs de sécurité, mais a également estimé que ceux qui n’ont pas protesté dans le passé contre la guerre ne méritent pas d'être considérés comme des « objecteurs de conscience » de la dernière l’heure.

La rhétorique de Poutine a été condamnée par plusieurs pays lors de l’Assemblée Générale des Nations-Unies cette semaine. La diplomatie russe, par contre, persiste et signe : jeudi, lors d'une réunion du Conseil de Sécurité, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a quitté la salle après un discours (qualifié par le britannique James Cleverly de « nouveau catalogue de malhonnêteté et de désinformation ») dans lequel il a affirmé que c’était plutôt l’Ukraine qui méritait d’être punie pour ses actions. Le même jour, sur sa chaîne Telegram, l'ex-président russe et vice-president du conseil de sécurité Dmitri Medvedev a été encore plus explicite que Poutine avec ses menaces. Dans le cas (assuré) d'un vote positif lors des référendums dans les 4 régions, elles seraient incorporées tout de suite dans la Fédération Russe et pourraient alors être défendues par la Russie, y compris avec des armes nucléaires stratégiques (et non seulement tactiques). Medvedev a terminé son message en disant que « l'establishment occidental et tous les citoyens des pays de l'OTAN en général doivent comprendre que la Russie a choisi sa propre voie. Il n'y a pas de retour possible. » Toute la question est de savoir quelles seraient les implications de cette voie de non-retour si les forces russes n’arrivent pas à la victoire en Ukraine avec des armes conventionnelles…

Photo : Wikimedia Commons
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