
La difficile médiatisation des chrétiens persécutés
La question, c’est : pourquoi un tel silence autour de cette réalité sanglante ? Normalement, la tragédie, la souffrance et la mort se vendent bien. Certes, le voyeurisme n'apporte rien sinon un frisson malsain mais les media ne fabriquent pas les drames ; ils les portent à la connaissance du monde. Sinon, ces horreurs ne laisseraient pas d’autres traces que celle des coups gravés sur le corps des victimes. Alors, pourquoi faire l’impasse ? Même un BHL, indigné par la situation au Nigeria, ne fait pas florès.
On peut donner plusieurs explications :
La principale, c'est que victime, ce sont les musulmans et, dans le regard des media, la rente victimaire ne se partage pas. Les chrétiens sont perçus comme un héritage colonial, une communauté surplombante, un reliquat de l’oppression occidentale. L’opinion ignore qu’ils vivent sur leurs terres depuis l’aube de l’ère chrétienne, bien avant l’islam, comme en témoigne l’Arménie, première nation chrétienne au IVe siècle. Osons un parallèle : les chrétiens sont à l’Orient ce que les aborigènes sont à l’Australie : une sorte de peuple premier. Mais ils ne capitalisent pas sur cette image en raison de l’immixtion constante des puissances européennes. Les musulmans les soupçonnent d’en être l’avant-garde et les relais, alors que tous les prélats orientaux n’ont de cesse de dire aux journalistes qu’ils sont indigènes et qu’ils parlent au nom de tous. Comme les chrétiens sont globalement plus lettrés et industrieux, moins cadenassés par le légalisme religieux, leur mode de vie et leur psychologie les éloignent des archaïsmes des sociétés musulmanes et les rapprochent de l’Occident.
Le sort des Ouïghours, minorité islamique du Xinjiang fort maltraitée par Pékin, émeut le monde entier. Et on le comprend. Ils ont droit à la médiatisation – qui permet de placer les musulmans dans le camp du bien et d’en faire, comme des Tibétains, un timide objet transactionnel entre diplomaties occidentale et chinoise. Aucun équivalent n’existe dans le monde chrétien. Malgré des décennies de persécution, aucune voix ne les considère comme une espèce à protéger. L’idéologie décoloniale risque d’agrandir ce trou noir médiatique. La repentance organise l’amnésie. Le nombre des musulmans en France fait de l’islam un enjeu politique de premier ordre. Il ne faut pas déplaire en prenant des positions risquées en « terre islamique ».
Pourtant, les faits sont là, criants. Selon le rapport de l'ONG Portes ouvertes publié mercredi, plus de 340 millions de chrétiens ont été « fortement persécutés » dans le monde en 2020. « Le Covid a amplifié les tendances que nous voyons émerger depuis plusieurs années », écrit l'ONG protestante dans son index ciblant les 50 pays les plus durs : catholiques, orthodoxes, protestants, baptistes, évangéliques, pentecôtistes, tout le monde y passe. Ils étaient déjà 260 millions à souffrir en 2019, note l'ONG, qui recense toutes les atteintes, de « l’oppression quotidienne discrète » aux « violences les plus extrêmes ». Le nombre de chrétiens tués a fortement augmenté (+60%, passant de 2983 à 4761).
Portes Ouvertes s'alarme notamment de l'extension d'un « arc rouge-orangé » allant de l'Afrique sub-saharienne à l'Asie du Sud en passant par le Moyen-Orient, avec deux moteurs : « le nationalisme religieux », en Asie notamment, et « l'extrémisme islamique, qui s'étend » en Afrique. La Chine est de loin le pays où le plus grand nombre d'églises ont été ciblées (3088, après 5576 en 2019), devant le Nigeria. Notons que l’AED évalue à « seulement » 200 millions le nombre de chrétiens persécutés. Mais les statistiques portent peu quand ni le cœur ni l'oreille ne sont prêts à les écouter.